Deux féminicides en quinze jours. Pour Mokshda Pertaub, avocate, experte en genre et présidente de MPower NGO, c’est la colère et la frustration d’un combat qui semble sans fin. Militante engagée depuis 2022 contre la violence basée sur le genre, elle dénonce une société encore incapable de protéger ses femmes. Dans cet entretien, elle appelle à une réaction nationale urgente et à des réformes concrètes.
Deux féminicides en l’espace de quinze jours. Quel est votre point de vue sur cette situation ?
Mon point de vue sur les deux féminicides survenus en l’espace de quinze jours est empreint de colère, de frustration et de désespoir face au fait que cette situation persiste encore. Depuis 2022, je travaille continuellement sur cette question, à travers des actions de sensibilisation et de conscientisation via les médias et les réseaux sociaux, la rédaction d’articles, etc. Le 18 novembre 2023, par l’intermédiaire de mon ONG MPower, nous avons organisé notre premier atelier sur le féminicide et la violence basée sur le genre, et avons publié une liste de recommandations partagée sur les réseaux sociaux.
Deux ans après ces premières initiatives, quel constat faites-vous ?
Il est consternant de constater que, deux ans plus tard, les mêmes situations se reproduisent inlassablement. Je crois qu’en tant que société, nous devons construire des familles offrant à chaque membre un environnement sûr et sécurisé pour grandir et s’épanouir, un environnement exempté de toute forme de violence et, en particulier, de la forme extrême de violence basée sur le genre qu’est le féminicide.
Vous mettez l’accent sur l’importance de la sécurité dans les relations intimes. Pouvez-vous développer ?
Une femme qui entretient une relation intime avec un homme doit pouvoir avoir la certitude que cet homme ne la tuera pas, ni ne tentera de le faire un jour. Nous avons observé des cas de féminicide et de tentatives de féminicide dans toutes les couches de la société à Maurice, de la classe aisée à la classe moyenne. Dans de nombreux cas, c’est lorsque la femme quitte l’homme ou souhaite le quitter que ce dernier tente de la tuer, et parfois avec succès.
Vous soulignez aussi les conséquences pour les enfants.
Parce que tuer une femme affecte l’ensemble de la cellule familiale — la femme est morte et le meurtrier incarcéré — que deviennent les enfants ? Sans parler du traumatisme que ces derniers subissent en voyant leur mère assassinée et leur père en tant que meurtrier. Ce crime aura des répercussions intergénérationnelles pour ces enfants traumatisés, en particulier dans un petit pays comme Maurice.
Quelle est, selon vous, la véritable portée du terme “féminicide” ?
Le féminicide revêt une définition plus large que le simple fait de tuer une femme par son partenaire intime : il constitue la principale cause de décès non naturels chez les femmes dans le monde et la septième cause de mortalité prématurée féminine à l’échelle mondiale (Dayan & Bitton, 2022). La mort d’une femme par son conjoint est généralement considérée comme un homicide genré, car la relation et les dynamiques de pouvoir et de contrôle qui y sont associées sont centrales dans le passage à l’acte (Pierobom de Avila, 2018 ; Walklate et al., 2020). On ne peut donc considérer l’assassinat d’une femme par son conjoint comme un simple meurtre. On ne doit pas oublier non plus les séquelles intergénérationnelles d’un féminicide.
Quels sont les manquements selon vous ?
La prévention du féminicide exige une approche globale, en s’attaquant aux causes profondes et aux normes sociales, en renforçant les lois et politiques ciblant spécifiquement la violence envers les femmes, et en assurant une collaboration multisectorielle entre tous les acteurs clés, tels que la police, le système judiciaire et la profession juridique, le gouvernement et la société civile.
Comment passer des discours à l’action face au féminicide ?
Nous ne pouvons pas permettre que ce crime devienne normalisé. À mon avis, six mesures essentielles doivent être mises en œuvre pour tenter d’éradiquer le féminicide :Ratifier la Convention de l’Union africaine sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles au niveau régional, car cette convention, datant de février 2025, définit le féminicide comme un crime.
Établir une définition claire du féminicide et adopter une loi spécifique contre ce crime dans notre Code pénal.
Renforcer les sanctions pour les auteurs de meurtres de partenaires intimes.
Sensibiliser et former tous les acteurs concernés, y compris la police et le pouvoir judiciaire, et faire en sorte que la loi soit mise en œuvre comme il le faut en pratique.
Initier des programmes de sensibilisation pour les enfants dès l’école primaire, une éducation visant à prévenir la violence dans la famille, et surtout la violence envers les femmes et les filles.
Et finalement, impliquer les hommes et les garçons dans la lutte contre le féminicide. Ce combat les concerne aussi.

