Me Yusuf Mohamed : « Qui la police cherche-t-elle à protéger dans l’affaire Wakashio ? »

Après les derniers épisodes de l’affaire Wakashio, nous avons eu un entretien avec Me Yusuf Mohamed, qui a été pendant quelques jours l’avocat du capitaine du vraquier. Et puis, comme vous le constaterez, la conversation a pris un tour plus politique.

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l Décidément, on vous récuse souvent. Vous l’avez déjà été par l’ancienne présidente de la République.
– Permettez-moi de vous corriger. Il ne s’agit pas de la même chose. L’ex-présidente de la République avait déclaré que je lui avais dit : «It is illegal but for tactical reasons you can do it. » Je peux prouver qu’elle avait l’habitude d’utiliser le terme « tactic » et elle l’avait déjà fait quand elle avait poursuivi l’université pour sa non-nomination au, poste de vice-chancelier. Dans ce cas, elle avait d’ailleurs également, selon ses propres dires, joué sur son appartenance communale.

l Pourquoi est-ce qu’après avoir retenu vos services, le capitaine du Wakashio a fini par vous récuser ?
– Je ne le comprends toujours pas. Sa sœur et son épouse avaient retenu mes services et je suis allé le voir au Detention Centre de Moka, où il m’avait raconté certaines choses. Et puis, le lendemain, nous sommes allés en Cour et il a déclaré qu’il ne voulait pas de moi comme avocat. Sa sœur est intervenue par téléphone pour lui demander de me garder comme avocat, il a accepté et j’ai fait une motion en cour pour que la charge provisoire contre lui soit rayée et qu’il soit libéré sous caution. Nous avons pris rendez-vous le lendemain en cour pour les débats sur ma motion et avant, au bureau du CCID, il a dit qu’il ne voulait plus de moi comme avocat. Je suis très étonné par cette attitude et je me suis dit que la nuit lui avait porté conseil.

l Quelle est votre interprétation de l’attitude contradictoire du capitaine à votre endroit ?
– On ne voulait pas de moi pour des raisons occultes de la part de certaines personnes également occultes qui l’ont influencé pour des raisons qui m’échappent. Je tiens à dire que son épouse et sa sœur, ainsi que les membres de l’Association des capitaines, dont il est membre, voulaient m’avoir comme avocat, comme le démontre la correspondance que nous avons échangée. Mais comme vous le savez, le client est roi.

l Pourquoi venez-vous d’employer deux fois le mot occulte ?
– C’est la grande question de cette affaire. Quand j’ai rencontréle capitaine du Wakashio au Detention Centre de Moka, il m’a donné des instructions pour sa défense. Il m’a dit qu’il avait donné des instructions verbales à son second « to sail five miles off the south coast of Mauritius » qui les a transmises à l’officier en charge. Selon le capitaine, ce Duty Officer, au lieu de suivre les instructions données, est venu « one mile close to land ». Je lui ai alors demandé pourquoi ses instructions n’ont pas été suivies, le capitaine m’a répondu « probably he dit not do the proper monitoring and was busy trying to catch mobile signal ».

l Que vous a encore dit le capitaine ?
– Il m’a dit « we reached land around 19 hrs 25 on the 25th of July. The coast guard was contacted on the same date to report the grounding and the reply was « we are monitoring and keeping watch ». The owner of the ship in Japan was also contacted and informed of what has happened by phone and email. After grounding we were regularly in touch with coast gards by VHF. No one boarded the ship. » Ce n’est que le 28 juillet 2020, que « medical people boarded the ship to test the crew for Covid-19 ». Il m’a aussi precisé que « I did not have to be at the helm of the ship all the time. We have duty officers alternating by shifts for four hours and they are responsible for navigation during their shift. At the precise moment of grounding I was on the bridge, talking with Chief engineer and watching outside. When we grounded I stopped the engine by order to the duty officer. » Voilà les informations que j’ai eues du capitaine du Wakashio sur le naufrage.

l C’est ce qui s’appelle obtenir des informations « from the horse mouth » !
– Exactement.

l Mais est-ce que vous avez le droit de révéler ces informations que vous avez obtenues alors que vous étiez l’avocat du capitaine, donc lié par un devoir de confidentialité ?
– Je peux le faire maintenant parce que je ne suis plus son avocat et qu’il m’a fait dire par la police qu’il avait « waived all privileges ». D’ailleurs, jusqu’à ce que ce soit fait, j’avais refusé de faire des déclarations sur cette affaire.

l Quelle est votre explication de cette affaire ?
– C’est une affaire « very mysterious » que je ne comprends pas. Comment un second peut ne pas suivre les instructions du capitaine ? Je lui ai demandé ce qu’il avait comme cargaison, il ne m’a pas répondu. Mais, très souvent, le capitaine ne sait pas ce que transporte le bateau qu’il commande.

l Plus on avance dans cette affaire, moins on la comprend. Devant la Commission d’investigation cette semaine, un officier du CCID, qui était sous serment, a déclaré que la boîte noire du navire n’avait enregistré aucun appel des garde-côtes mauriciens entre 19h30 et 20h05…
– Et quelques heures après cette déposition en cour — et je le souligne sous serment — un porte-parole de la police, un ASP, a tenu une conférence de presse pour dire que les garde-côtes avaient des preuves écrites qu’ils avaient appelé le Wakashio. Plusieurs questions se posent suite à cet épisode qui relève du jamais vu. Pourquoi est-ce que l’ASP qui a tenu la conférence de presse n’avait pas donné les informations qu’il dit détenir à l’officier du CCID qui était chargé d’aller déposer en cour ? Pourquoi est-ce que l’ASP qui a tenu la conférence de presse est venu contredire le témoignage de l’officier du CCID en cour ? Quelle était la nécessité de cette conférence de presse ? Qui la police essaye-t-elle de protéger dans l’affaire Wakashio ? Est-ce que la police a voulu essayer de corroborer ce que le Premier ministre avait déclaré au Parlement ? Les Mauriciens ne sont pas bêtes. Il suffit, pour s’en rendre compte, de lire leurs commentaires sur cette affaire sur les réseaux sociaux.

l Est-ce que tout ce qui entoure le naufrage du Wakashio serait une tentative de cacher l’amateurisme et l’incompétence qui ont entouré la gestion de cette affaire ?
– Le pays est en train de se noyer dans l’incompétence et l’amateurisme. Non seulement le gouvernement est incompétent et pratique le népotisme, mais il choisit d’autres incompétents, des apparentés, pour diriger nos institutions. On voit les résultats !

l Vous avez participé à la marche citoyenne du 29 août à Port-Louis. Avez-vous le sentiment que les revendications criées ce jour-là ont été entendues et comprises par le gouvernement ?
– Il a entendu, il a compris, mais il s’en fiche pas mal, parce qu’il a la majorité au Parlement et sait qu’il est la pour encore quatre ans ! Et si les Mauriciens ne s’avisent pas que le pays va au naufrage, comme le Wakashio, ce gouvernement reviendra au pouvoir après 2024. Déjà, avant la Covid-19, la situation financière n’était pas bonne, ce qui n’a pas empêché des dépenses folles pour obtenir des votes. Aujourd’hui, la situation s’empire et va se détériorer davantage avec tous les secteurs économiques qui sont au rouge. Les partis de l’opposition doivent réagir.

l Justement, que pensez-vous de la proposition du leader du Reform Party pour une démission collective des parlementaires de l’opposition pour forcer le gouvernement à organiser des élections anticipées ?
– Je crois que constitutionnellement, légalement et pratiquement M. Bhadain fait fausse route. L’opposition ne doit pas démissionner pour essayer de contrôler, dans la mesure du possible, les abus du gouvernement. Si elle démissionnait, il y aurait davantage d’abus. Mais même avec un contrôle de l’opposition, je ne serais pas étonné de voir Pravind Jugnauth revenir au pouvoir après 2024.

l Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
– Parce qu’il y a certaines personnes rejetées par l’électorat qui veulent s’accrocher à la direction de leur parti.

l Vous parlez évidemment de Navin Ramgoolam et de ses récentes déclarations affirmant qu’il quittera la direction du PTr « kan li pou envi ».
– Je n’ai rien contre Navin, mais il doit reconnaître qu’il a perdu les élections deux fois de suite et qu’il ne doit pas être l’illustration du dicton qui dit: jamais deux sans trois. Il doit donc laisser le leadership du PTr aux jeunes.

l Plus précisément à votre fils Shakeel ?
– Je vous attendais sur ce sujet ! Shakeel n’appartient pas à la communauté majoritaire dont on fait les Premiers ministres. Encore que pour moi beaucoup de choses ont changé au niveau des majorités et des minorités depuis 2011. C’est une réalité électorale qu’il faut prendre en considération, surtout quand on sait qu’à Maurice, ce sont les régions rurales qui font les élections. Paul Bérenger a déjà dit qu’il ne sera pas candidat en 2024 et je pense qu’il a raison. Navin Ramgoolam doit suivre son exemple et laisser la place aux jeunes à la direction de son parti. C’est la seule manière d’en finir avec ce gouvernement et ses abus dans une situation économique catastrophique. Je le redis : si Navin Ramgoolam reste à la tête du PTr, Pravind Jugnauth remportera les élections de 2024.

l Voilà une déclaration tout à fait claire et qui va provoquer des remous. L’opposition semble croire que les pétitions électorales pourraient changer la donne politique. Vous partagez cet avis ?
– Non. Je crois que dans certaines circonscriptions la cour pourrait accorder un recount, mais pas plus que ça à mon avis.

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