Navin Ramgoolam : « Le renvoi sine die des travaux parlementaires est illégal »

« Le renvoi sine die des travaux parlementaires est illégal », affirme le leader du parti Travailliste, Navin Ramgoolam, dans l’interview accordée au Mauricien cette semaine. Pour lui, le Speaker n’est pas habilité à renvoyer le Parlement, son seul devoir étant de présider les affaires de l’Assemblée nationale en se basant sur les « standing orders ». Les seules options dont dispose le gouvernement sont, dit-il, la prorogation de l’Assemblée nationale par le président de la République ou la présentation d’une motion du Leader of the House, Pravind Jugnauth, demandant l’ajournement des travaux. « La question est de savoir qui appellera le Parlement », se demande Navin Ramgoolam. L’ex-Premier ministre passe, par ailleurs, en revue la situation concernant le Covid-19 et s’insurge contre le « denial mode » pratiqué par le gouvernement alors qu’il était « clair qu’on ne pouvait éviter la pandémie ». Il se prononce ainsi en faveur d’un comité interparlementaire sur le nouveau coronavirus, et où chacun pourra faire des propositions indépendamment des partis politiques.

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La session du Parlement prévue hier a été renvoyée par le Speaker. Qu’en pensez-vous ?

Cette décision est illégale. Le Speaker n’est pas habilité à renvoyer le Parlement. Le seul rôle du Speaker est de présider les affaires du Parlement en se basant sur les « standing orders ». Le Premier ministre a consulté le leader de l’opposition.Tant mieux Pravind Jugnauth n’a pas suivi les procédures établies par les standing orders. Ce qui aurait dû se passer, c’est que soit le président proroge le Parlement, soit le Premier ministre présente une motion demandant le renvoi des travaux parlementaires. On dit que le Parlement a été renvoyé sine die. Or, le « standing order » No 10 précise : « Assembly cannot be ajourned sine die. » La question aujourd’hui est de savoir : qui va rappeler le Parlement? On se demande qui a donné cet avis légal au Speaker. Le conseiller légal du gouvernement est l’Attorney General, et ce n’est pas la première fois qu’il donne un mauvais avis au Speaker. Il ne comprend rien à rien. Je doute fort que le Sollicitor General ait été consulté.

Question classique : comment évaluez-vous la situation ?

Nous nous dirigeons tout droit vers une catastrophe sans précédent du fait de l’incompétence et du total « mismanagement » du gouvernement, et par manque de leadership évident. Comment en est-on arrivé là ? Le gouvernement a refusé de voir le danger qui arrivait à grands pas et n’a pas réagi à temps. Même quand il était clair qu’on ne pouvait esquiver la pandémie… Le gouvernement est resté en « denial mode ». Et maintenant, ils réagissent après coup, au jour le jour. Ils n’ont toujours pas de stratégie claire et cohérente. Ils ne savent même pas ce qu’ils feront dans les prochaines 48 heures. C’est un gouvernement « trial by error » qui fait du « fire-fighting ».

Qu’attendez-vous du gouvernement ?

Le gouvernement aurait dû avoir fermé les frontières dès janvier, interdire les gros navires de croisière de débarquer leurs touristes et fermer les institutions scolaires. Depuis janvier, j’exhorte le gouvernement à aller dans ce sens. Je l’ai rappelé à plusieurs reprises, mais Pravind Jugnauth a fait la sourde oreille. Il m’a même accusé de « fer dimounn per ». Dernièrement, quand j’ai offert de mettre mes contacts à la disposition de l’État, il a répondu par un « pourquoi ? Nous faisons ce qu’il faut faire». Nous faisons ce qu’il faut faire et il est malheureux que l’on mette la vie des Mauriciens à risque. On a vu comment le ministre de la Santé, Kailesh Jugatpal, s’est couvert de ridicule à l’Assemblée nationale en disant qu’on n’a pas de cas de coronavirus dans le pays grâce au « management » du gouvernement et du Premier ministre. Nous avons vu comment deux ministres, en l’occurrence le ministre des Finances et le ministre de la Santé, sont venus dire sur l’antenne de la MBC qu’il « n’y a pas de coronavirus à Maurice » alors que, quelques minutes plus tard, Pravind Jugnauth venait annoncer des cas de coronavirus. Si seulement le ridicule tuait…

Qu’est-ce que le gouvernement doit faire alors, selon vous ?

La première des priorités, c’est de ralentir la progression du virus et de sauver le maximum de vies. Dans ce contexte, la première chose à faire est de tester le maximum de personnes. Ce qu’on fait est insuffisant, voire loin d’être adéquat. Il faut savoir qu’il y a des gens infectés par le Covid-19, et qui sont asymptomatiques. Ils vont propager le virus. Ce qu’on a vu dans les supermarchés sera une catastrophe. Beaucoup de personnes risquent d’être infectées. Deuxièmement, il faudra faire du « mass testing », que l’on manifeste ou pas de symptômes. Troisièmement, il faut que l’exercice de « contact tracing » soit effectué de manière plus rigoureuse et sans tarder. Voyez cette jeune femme de 20 ans qui est décédée après avoir été dans une clinique privée. Cinq heures ont été perdues. Elle a eu des contacts avec plusieurs personnes. Jusqu’à l’heure, le gouvernement n’a pas pu identifier toutes les personnes qui ont été en contact avec elle. Il y a encore beaucoup de progrès à faire.

Les questions que je me pose sont les suivantes. Combien de « testing kits » avons-nous ? Est-ce que le gouvernement en a commandé ? Et quand ? Combien de personnes compétentes avons-nous pour faire ces tests ? S’assurer qu’on ait le nombre de « testing kits » était une priorité. Ce gouvernement n’a pas réagi à temps et nous n’en avons pas assez. Si on ne fait pas de « mass tracing », on ne pourra empêcher le virus de se propager. Le nouveau test Abbott, aux États-Unis, peut donner des résultats en 15 minutes. Il aurait fallu contacter notre chef de mission à Washington ou l’ambassadeur américain à Maurice en vue d’obtenir ces « test kits ». Il faut aussi commander des masques, et pas n’importe lesquels, mais des N95 ou des équivalents. Les autres sont des passoires. Ces masques doivent être distribués en priorité aux membres du personnel médical, et pas juste aux médecins et aux infirmiers. Les Attendants, les Helpers, les cuisiniers… Tous doivent en avoir. Les policiers aussi doivent bénéficier d’une « full protective gear », dont des masques, des gants et des vêtements protecteurs adéquats. Après avoir donné priorité à ceux qui sont sur le front, les masques doivent être distribués à toute la population. Or, il est clair que le gouvernement n’a rien prévu. Pravind Jugnauth avait dit qu’il y avait seulement 30 000 masques, et maintenant, il semble qu’il y en ait 50 000. Nous avons des liens privilégiés avec la Chine. Il fallait solliciter son aide. De même nous pouvons solliciter l’aide de l’Inde, des Etats-Unis, de la France, de l’Union européenne et de la Corée du sud.

Autre question : combien de lits sont disponibles ? Car il y aura une montée en flèche de l’infection, c’est indéniable. Combien de ventilators avons-nous ? Est-ce qu’on en a commandé d’autres, et depuis quand ? Sinon, comment va-t-on choisir qui aura droit à la respiration artificielle et qui n’y aura pas droit ? Est-ce aux proches ou aux agents, comme le MSM a l’habitude de le faire ?
Ce qui est également alarmant, c’est qu’il semble que tous les patients qui sont sur respiration artificielle sont en train de mourir. La question est de savoir s’il y a assez d’anesthésistes spécialisés dans chaque hôpital pour intuber les patients et les brancher avec la ventilation et les suivre constamment ? La réponse à cette question pourrait nous éclairer sur le nombre élevé de décès, malgré la respiration artificielle. Quand j’étais Premier ministre, j’avais nommé le Dr Gopee Chief Medical Officer, un médecin spécialiste compétent. Après, j’avais nommé le Dr Pavaday comme directeur des services médicaux. Lui aussi est très compétent et il avait été nommé sur la base du mérite. Il supervisait tout le système hospitalier, hôpital par hôpital. Les deux avaient déposé sans l’Affaire Medpoint. Ce que le MSM n’avait pas aimé. Sir Anerood Jugnauth, qui était président de la République à l’époque, m’avait adressé une requête en vue de leur demander de changer leur déposition. Je lui avais dit que ce sont des professionnels et que je ne vais pas leur dicter quoi que ce soit. Après les élections de 2014, ils ont été remerciés par le MSM.

Résultat : il n’y a personne aux commandes pour superviser tout le système. Ils sont plusieurs à faire comme bon leur semble et ne suivent de fait pas le même protocole. C’est le chaos. Les Mauriciens paient aujourd’hui le prix de leur incompétence et de vengeance.

Cette semaine a été marquée par la réouverture des supermarchés. Votre avis ?

Ce qui s’est passé avec la réouverture des supermarchés est un désastre. On va avoir une avalanche de contaminations. Il n’y avait pas de « social distancing » d’au moins un mètre dans plusieurs régions. On a vu dans certaines régions des foules compactes, avec des personnes ne portant pas de masques. C’est une catastrophe. L’erreur, c’est que le gouvernement n’aurait jamais dû fermer tous les supermarchés, les boutiques, les tabagies et les boulangeries sans préavis. Les gens ont besoin de nourriture pour eux et leur famille. Dans aucun pays on n’a fait cela. Après cela, on a procédé à la réouverture des supermarchés. C’est normal que les centres commerciaux et boutiques soient pris d’assaut par les gens venus s’approvisionner, car avec ce gouvernement, on ne sait jamais. Il ne faut pas maintenant blâmer les Mauriciens. Ce sont ceux qui n’ont pas su comment procéder dès le début qui sont fautifs.

Le gouvernement est venu cette semaine avec des mesures pour le secteur informel. Votre perception ?

Le gouvernement doit les aider. Il y a des milliers de personnes engagés dans ce secteur. C’est la MRA qui supervise ce projet et je vois qu’elle menace de mener des enquêtes. Mais l’heure n’est pas aux menaces, c’est l’heure de ne pas laisser le secteur informel mourir. C’est la même chose pour les grandes surfaces. Il est impensable que de grands patrons soient en train de menacer leurs locataires de payer leur location, comme c’est le cas à Ascencia. C’est impossible pour eux de le faire, puisque leurs business sont fermés.

Revenons à la décision de suspendre les travaux parlementaires…

Le Premier ministre doit se soumettre aux questions. Il ne peut se cacher derrière le Covid-19 et ne pas être sujet au « scrutiny » du Parlement. On ne peut renvoyer le Parlement sine die. On doit suivre ce qui se fait. C’est un colourable device pour ne pas répondre aux questions. Angleterre et en France. En Grande-Bretagne, le Speaker de la House of Commons, sir Lindsay Hoyle, a proposé un Parlement virtuel où le Premier ministre peut être questionné. En France,le Premier ministre et le ministre de la Santé ont été auditionnés en pleine crise par les parlementaires en vidéoconférence. Le Premier ministre français, Edouard Philippe s’est aussi soumis à cet exercice et a répondu à toutes les questions. Je le cite : « Il ne faut pas fermer les débats, les questions sont toujours légitimes, et les propositions souvent utiles. Elles permettent de ne pas nous enfermer dans des schémas ou des plans qui peuvent se révéler inadaptés. Elles permettent d’entendre les idées que nous pouvons reprendre pour être plus efficaces dans ce combat.  C’est ainsi qu’un peuple peut avoir confiance en son chef. »  À Maurice, on fait exactement le contraire, on bâillonne le Parlement. Ce qui se passe est criminel. Plus tard, il faudrait situer les responsabilités de tout un chacun. On joue avec la vie des Mauriciens et c’est inacceptable. Je demande au gouvernement de se ressaisir et de corriger ses erreurs, qui se révèleront désastreuses.

Je l’ai déjà dit que comme patriote, je suis disposé à aider l’État et le peuple mauricien pour surmonter la crise, qui est en train de devenir alarmante. Le gouvernement dit être transparent et dire la vérité aux Mauriciens pour que le peuple sache où on va. C’est dans la tempête qu’on reconnait le vrai capitaine d’un navire. Je voudrais profiter de l’occasion pour présenter mes condoléances aux familles endeuillées. Par ailleurs, l’interdiction des familles d’assister aux funérailles ne figure pas dans le WHO guide. Il faut veiller à ce que les social distances soient respectées.

Quelle forme peut prendre l’aide que vous proposez ?

Je l’ai déjà dit. J’ai des contacts privilégiés avec des médecins. Ce sont des spécialistes dans différents domaines, dont les problèmes épidémiologiques et respiratoires. Par exemple le Dr Rugooputh, un Mauricien qui travaille en Angleterre. C’est lui qui a mis en place le EPCR Test à Maurice et qui avait mis en place le laboratoire et les tests.  Son contrat n’a pas été renouvelé après les élections. Aujourd’hui il dirige le Public Health Lab en Angleterre et est impliqué dans le testing de Covid 19. Je note que le Dr Zouberr Joomaye, un transfuge qui n’a jamais été ministre et qui a été à l’école du MSM, ment avec arrogance. Il affirme qu’il y a eu 200000 cas de H1N1 à Maurice. Ce qui est un mensonge. Dans le monde il n’y a pas eu 200000 cas.

En vérité, le gouvernement aurait dû mettre son orgueil de côté et inviter les membres de l’opposition à travailler avec lui et à faire des propositions, sinon on va vers la catastrophe.

Êtes-vous en train de proposer l’institution d’un comité interparlementaire ?

C’est une crise sanitaire nationale, qui sera suivie d’une crise économique. Toutes les forces doivent être mobilisées.

Vous êtes donc en faveur d’un parlement virtuel, comme proposé par Xavier-Luc Duval ?

Je suis pour un parlement virtuel ou pour un parlement composé d’un minimum de parlementaires, de manière à satisfaire le quorum requis. Outre le Leader of the House et les membres de la majorité, ce parlement comprendrait également le leader de l’opposition ainsi que le leader du MMM et celui du PMSD. Il est évident que tout le monde doit avoir fait au préalable un test de dépistage.

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