NMH Saga : un rendez-vous judiciaire crucial mardi

Au coeur du litige : le rapport  Taukoordass réclamé par l’ICAC de la FSC

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Mardi prochain, la Cour suprême entendra l’affaire opposant l’Independent Commission Against Corruption (ICAC) à la Financial Services Commission (FSC) dans la NMH Saga au sujet de l’OPA (offre publique d’achat) avortée. La FSC, qui résiste à la demande de l’ICAC, qui réclame formellement une copie du rapport du Special Investigator Kritinand

Taukoordass, nommé par cette même FSC avec les principaux protagonistes de la NMH Saga, accusés d’avoir enfreint des dispositions de la loi régissant le secteur des services financiers. La position adoptée par la FSC au sujet de ce rapport, dont de larges extraits sont du domaine public, notamment les colonnes de Week-End en mai 2017, suscite des commentaires dans les milieux des affaires et auprès des observateurs, qui ont suivi les différentes étapes de la tentative de rachat de Beachcomber remontant à février 2016, avec des opérations de dernière heure à la Bourse de Maurice.

Les conclusions accablantes du rapport du Special Investigator font état de pratiques illégales, d’abus de marché et de fraude financière dans le contexte du scandale NMH. Pourquoi ? Qui protège la FSC ? Qui a ordonné que l’ICAC ne reçoive pas le rapport ? Au final, le nouveau rendez-vous judiciaire va-t-il permettre un développement significatif de cette scandaleuse affaire dans le sillage de l’avènement du nouveau gouvernement ou serait-ce encore le théâtre d’un arrangement à l’amiable entre les deux parties pour que l’affaire soit enterrée à jamais ? Telles sont les interrogations susceptibles d’être élucidées en début de semaine.

Cette affaire met pourtant sur la sellette la crédibilité, en termes de transparence et de bonne gouvernance, de l’ensemble du gouvernement et des services financiers et boursiers mauriciens. C’est ce que tout un chacun, vested interests ou pas, s’accorde à dire bientôt quatre ans après. Afin de mieux appréhender la NMH Saga, Week-End dresse un rappel des principaux détails de cette affaire qui a ébranlé certains grands conglomérats mauriciens et leurs principaux animateurs.

Rapport             accablant

En février 2016, deux actionnaires, à savoir PAD et Taylor Smith, ont vendu leurs actions dans New Mauritius Hotels (NMH) à Rogers, Swan et ENL. Une accusation immédiate surgit : ces trois dernières entités, qui partagent plusieurs actionnaires, administrateurs et bénéficiaires effectifs ultimes, ont agi de concert pour acquérir ces actions dans NMH. La conséquence de ces transactions est que leur participation globale consolidée dans NMH dépasse la barre des 30%. La loi prévoit que toute personne qui franchit ce seuil de 30% de participation dans une société cotée doit faire une offre obligatoire, ce qui signifie qu’elle doit offrir d’acheter à tous les autres actionnaires. Pour ce faire, Rogers, Swan et ENL auraient dû s’appuyer sur un war chest de Rs 10 milliards pour assurer le financement de cette opération. L’exigence légale d’une offre obligatoire aurait donc été ignorée.

Plusieurs plaintes alléguant que les lois boursières avaient été enfreintes ont contraint le gouvernement à ordonner à la FSC d’initier une enquête. D’où la nomination du Special Investigator. Le rapport accablant a été remis à la FSC le 25 mai 2017, avec pour conclusion la violation de la règle de l’offre obligatoire, de la règle 11 du règlement violation des dispositions relatives aux opérations d’initiés. Des membres influents du conseil d’administration de NMH, de Rogers, d’ENL et de la Swan, dont entre autres Hector Espitalier-Noël, Gilbert Espitalier-Noël, Philippe Espitalier-Noël, Louis Rivalland et Colin Taylor, furent pointés du doigt pour avoir éventuellement enfreint les lois applicables en matière de bourse. Ces accusations sont contestées par les principaux concernés.

Le témoignage de la NPF

L’un des points forts de cette enquête demeure sans aucun doute le témoignage de M. M. Rambarassah, du National Pension Fund. Il a expliqué avec force détails comment deux directeurs de NMH ont commis un délit d’initié quand ils lui ont divulgué des informations confidentielles sur NMH afin d’obtenir que le NPF participe à l’acquisition d’actions. Le représentant du NFP a fait comprendre qu’il ne pouvait prendre un tel risque pour ce qu’il considérait une action de concert alors qu’une offre obligatoire aurait dû être faite à l’ensemble des actionnaires.

Le rapport Taukoordass, publié en exclusivité dans Week-End en mai 2017, a créé une onde de choc sur le marché boursier, mais contre toute attente, la FSC a mis le rapport dans un tiroir et refusé de le communiquer à l’ICAC. La raison invoquée par le FSC et le ministre des Services financiers de l’époque était « d’assurer la stabilité du système financier à Maurice. » Explication des plus étonnantes, car la stabilité du système financier imposerait à la FSC l’obligation d’ignorer des cas d’abus des entreprises d’investissement et des pratiques illégales, déshonorantes et abusives sur le marché boursier.

Pourtant, le 14 juin 2018, l’ICAC a obtenu un ordre émis par le juge David Chan, siégeant en référé, ordonnant à la FSC de remettre à l’ICAC dans un délai de deux semaines toutes les données, informations, documents et fichiers relatifs à la NMH, rapports, correspondances et tous les dossiers conservés par la FSC en relation avec NMH pour les années 2015, 2016 et 2017. Le 9 juillet 2018, la FSC avait déposé une requête devant la Cour suprême demandant, entre autres, l’annulation de l’ordonnance du juge David Chan. Ce qui a surpris dans cette demande, c’est que la FSC a eu comme codéfendeurs ENL, Rogers, Swan et NMH dans cette affaire. L’accusateur et ses accusés sur le même côté contre l’ICAC !

L’étrange          accord

D’autre part, tour à tour, ENL, Swan, Rogers et NMH ont poursuivi le Special Investigator devant la cour pour diffamation, alléguant que son rapport leur avait porté préjudice. Les conclusions de cette affaire méritent aussi d’être soulignées puisqu’elle a été réglée à l’amiable selon des termes inédits et en partie inconnus du public. Ce qu’on sait, c’est que l’enquêteur Taukoordass, pourtant nommé par la FSC, s’abstiendrait d’utiliser ou de parler de son rapport, alors que ce rapport appartient à la FSC. En contrepartie, les honoraires de ses avocats pour un montant de Rs 3 millions ont été payés et l’affaire a été retirée. La question qui demeure choquante est comment un enquêteur de la FSC a-t-il pu accepter que les frais de ses avocats soient payés par ceux que son rapport pointait du doigt pour son silence ?

Que va-t-il se passer en Cour suprême mardi ? Un accord à l’amiable entre la FSC et l’ICAC pour que l’affaire NMH soit enterrée définitivement ? Ou est-ce qu’enfin, dans l’intérêt public, le rapport sera remis à l’ICAC pour qu’elle ait l’occasion de statuer dans cette affaire, même si la crédibilité de cette institution, dite indépendante, n’a jusqu’ici rien réalisé de vraiment probant quand il s’agit du pouvoir et de gros intérêts. Le nouveau ministre des Services financiers va-t-il émuler son prédécesseur en prétextant « d’assurer la stabilité du système financier à Maurice ». Ou, va-t-il montrer sa détermination à faire du centre boursier et financier de Maurice une institution au-dessus que tout soupçon en exigeant que la FSC remette le rapport à l’ICAC ?

En tout cas, cette affaire est révélatrice que l’intérêt public a un plafond de verre et qu’il y a encore à Maurice de hautes sphères où le non-droit sévit.

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