Noël : La magie de Noël survit aux maux

Nous les avons rencontrés dans différentes parties du pays. Ryan, Janeshen, Odile et Stef souhaitent que Noël soit spéciale pour eux et les leurs. Peu importe la grande précarité, la pauvreté, la dépendance et les autres maux qui font partie de leurs quotidiens, ils souhaitent que la magie soit au rendez-vous.

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“Enn chips ek enn dipin” au KFC sera le cadeau de Noël qui comblera le petit Ryan. Ce présent, il espère que son père pourra le lui offrir, malgré ses moyens modestes. Tant pis si ce n’est pas un téléphone, comme il l’a rêvé en traînant les rues. La famille n’a pas de maison. Son petit frère de six ans compte recevoir “sa zafer de larou ki roule la avek enn gidon”. “Je t’ai dit que cela s’appelle une trottinette”, précise son frère.

Affecté par la grande précarité, Janeshen, 42 ans, a déjà fait un dépôt à la boutique du coin pour réserver deux cadeaux pour ses enfants. Usager de drogues souffrant d’addiction, il fera de son mieux pour plaire aux petits, âgés de 3 et 4 ans. Quand il réunira la somme nécessaire, il complétera le paiement auprès du boutiquier pour récupérer le ballon de son fils et la poupée Barbie de sa fille. Même s’il n’a pas de revenus réguliers, le Père Noël viendra pour ses enfants : “Mo madam ek mwa nou pa bizin kado, me nou anvi nou zanfan korek.”

Odile, 73 ans, offrira un téléphone à deux de ses petits-enfants, Ornella, 15 ans, et Pascale, 16 ans. C’est un énorme sacrifice que s’est consenti cette femme de ménage. Elle estime qu’il vaut mieux s’endetter pour leur offrir ce qu’elles demandent. “Je ne souhaite pas qu’elles aillent mendier, emprunter de l’argent ailleurs ou se mettre dans des situations difficiles.” La situation présente de sa fille Stef, qui est sous méthadone (les deux autres enfants sont âgés de 1 et 7 ans) lui rappelle que la vie peut être cruelle. “Kan ou res dan enn site e ki ou konn realite site, vo mie ou evit ou zanfan gagn problem ek fer bann betiz. Mo prefer pran kredi ek zot gagn zot kado.”

Dure réalité.

16h. Un soleil de plomb rend étouffante la chaleur dans la petite bicoque aux couleurs sombres. Cette atmosphère lugubre dans laquelle Nila vit avec ses trois enfants est vite oubliée par les cris et les petites querelles de ces derniers. Leurs listes destinées au Père Noël sont prêtes. Nila, jeune femme menue au regard profond, les joues creuses, les yeux cernés et de petites fossettes, semble avoir atteint la quarantaine. Elle n’a pourtant que 30 ans. Sa vie de maman, elle l’a commencée à 17 ans. Elle est désormais mariée à Janeshen. Ce dernier a le visage marqué par les soucis. De temps à autre, un tic fait brusquement remonter ses pommettes. Il prend silencieusement quelques gorgées de son thé dans la petite cuisine, qui fait aussi office de salon et de chambre pour les enfants. Une tasse de thé au lait sucré, un farata sec… et le voilà parti pour une journée de travail sur un chantier. Il cherchera aussi autre chose à faire pour trouver l’argent pour les cadeaux.

Dans une autre agglomération, Stef, frêle, traits fins et petite bouche en cœur, respire la gentillesse. Elle est assise sous un manguier, en compagnie de sa mère Odile, des enfants et de deux chiens. L’atmosphère est paisible. Sur son petit tabouret, Stef fait valser le bébé d’un an sur le sol rugueux, tout en regardant Odile. Malgré le poids de l’âge, la grand-mère veille à ce que la casserole contienne chaque jour de quoi nourrir tout le monde. Sa pension et son maigre salaire y passent systématiquement.

“La vie était calme”.

Janeshen a basculé dans la consommation de drogues, il y a cinq ans. Il n’avait jamais touché à une substance avant de tomber dans cet enfer. “La vie était calme et plus simple.” Il travaillait dans une usine de textile. Mais elle a fermé ses portes. Janeshen s’est retrouvé au chômage après vingt ans de bons et loyaux services. Trouver du travail s’est avéré difficile. Il s’est laissé tenter et a sniffé un soir de la cocaïne. Janeshen raconte qu’il ne voulait pas se piquer, de peur de se blesser, et qu’il n’était pas très à l’aise, car cela signifiait être “enn droger”. Les effets de la drogue l’ont aidé à oublier ses problèmes. Lui qui ne voulait pas utiliser de seringue n’y a pas échappé. Il est conscient qu’une bonne partie de son budget part en fumée et qu’il pourrait offrir une meilleure vie à sa famille.

Sous méthadone depuis deux ans, après un passage par un centre de désintoxication, Stef confie qu’elle tente de se reconstruire et de passer le plus de temps possible avec ses enfants. Comme elle ne travaille pas, elle s’occupe d’eux. Pas de menu particulier le 25 décembre, ni de vêtements neufs, car le budget ira dans l’achat des cadeaux de Pascale et d’Ornella. Kiera, 7 ans, recevra peut-être une tablette. Le sapin est déjà là. Il attend dans un coin de la pièce où Odile vit avec son mari et son fils. Elle a trouvé un sapin artificiel, car Kiera en voulait un. Pour lui faire plaisir, elle ira trouver quelques guirlandes et des lumières. Mais cette tâche est réservée à Kiera.

Pas de sapin pour Ryan.

Pour Ryan, il n’y aura pas de sapin. Les siens n’auraient pas eu de place pour l’installer. Cet aspect de leur vie est tabou. À la nuit tombée, c’est le gardien d’une institution qui leur ouvre les portes pour qu’ils y dorment clandestinement. Chaque matin, la famille vide les lieux. En cette période de vacances, les enfants traînent les rues pendant que le père travaille. Cela fait longtemps que leur mère ne fait plus partie du paysage.

Stef, de son côté, est désormais très proche de ses enfants. Elle n’avait pas pu l’être dans le passé car ses fréquentations et la drogue régissaient son quotidien. Elle restera évasive sur cette partie de sa vie, préférant parler du présent. Elle a pris ses distances avec ses anciens amis. Odile rebondit immédiatement en disant : “C’est mieux ainsi. Les enfants en profitent. Avant, elle ne faisait absolument rien.” Après une lutte difficile pour sortir de cette addiction et après avoir connu deux rechutes, Stef s’accroche. L’espace de vie que partagent la jeune femme et ses enfants est une pièce de 15 mètres carrés. Il y règne un chaos qui ne semble déranger personne.

Les larmes de grand-mère.

La tristesse et un trop-plein d’émotions transforment immédiatement le visage enjoué et le sourire d’Odile. La grand-mère se demande ce que feront ses enfants et ses petits-enfants si elle venait à mourir. Son regard noyé de larmes ne l’empêche pas de continuer à trier les bred mouroum. Elle veut s’installer dans une maison de retraite pour enfin profiter de moments calmes. Très rapidement, la réalité la rattrape; elle sait que cela ne sera pas possible. Un petit quelque chose dans le regard, dans son port de tête, lui donne un air de guerrière.

Le vrombissement du moteur d’une voiture lui indique que son fils est de retour. Elle sèche au plus vite ses yeux pour ne laisser rien paraître de sa douleur. Du riz accompagnera le bouyon bred prévu pour le déjeuner. Ce sera uniquement pour les enfants. Très souvent, Stef et Odile ne mangent pas.

Les deux femmes se regardent et se mettent à rire. Un moment de complicité qui leur fait oublier la réalité. “Même si nous manquons de moyens financiers, nos enfants savent qu’ils peuvent toujours compter sur nous. Nous ferons tout pour eux.” Janeshen, soutenu par Nila, affronte ses démons à chaque instant. Même si la force lui manque, il tentera de résister pour faire plaisir à ses enfants. Dans la rue, Ryan voit s’installer l’ambiance de Noël. Comme son petit frère, lui aussi veut profiter de la magie de l’instant…

L’amour à Noël

Cette année, Kanen souhaiterait trouver de l’amour, de la compréhension et du bonheur. “Maintenant, je peux penser à l’amour et j’essaie de construire une nouvelle vie. J’espère que Dieu m’entendra.” Tel est son souhait pour Noël.

Nous rencontrons ce jeune homme aux joues creuses, aux oreilles décollées, à la démarche lente et aux gestes nerveux alors qu’il s’attelle consciencieusement à trier les guirlandes et à accrocher les boules à un morceau de ficelle. Il fêtera Noël dans les locaux du centre d’accueil portlouisien Lakaz A.

Quand la drogue a pris le contrôle de sa vie, il a tout perdu : amis, conquêtes amoureuses, famille. Cette période de l’année lui rappelle l’absence de celle qui représentait tout pour lui : sa mère. Il ira au cimetière lui rendre visite, “nettoyer sa tombe et y mettre des fleurs. Noël est une des fêtes les plus importantes. J’ai des souvenirs gravés dans mon cœur. Chaque Noël, maman m’emmenait à la rue Desforges pour que je choisisse mes jouets. Mon plus beau souvenir, c’est la bicyclette BMX qu’elle m’avait offerte.”

Timidement, il confie qu’il souhaiterait rencontrer une personne avec qui partager des moments privilégiés. Kanen a toujours été un homme indépendant et travailleur. Agent de sécurité, il dort sur son lieu de travail. Chaque matin, il se rend à Lakaz A pour y passer le reste de la journée. Il y a trouvé la sérénité qu’il recherche. Il n’aime pas se mêler à tout le monde et a besoin de moments pour lui. Il se réfugie de temps en temps dans un recoin de l’association pour être avec lui-même et contempler le silence.

Gêné, il fixe ses pieds et joue avec ses orteils. Il tente de contrôler sa consommation de drogues. “J’en ai le contrôle et je décide quand je souhaite en prendre. J’économise beaucoup et je peux m’offrir des vêtements, aller au cinéma de temps en temps ou commander un bon repas. J’ai repris goût à la vie.”

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