Alliance du Changement : La crise au sommet désamorcée mais …

Après plusieurs jours de fortes tensions au sommet du gouvernement, l’Alliance du Changement a évité de justesse une rupture entre ses deux principaux piliers : le Parti travailliste (PTr) et le Mouvement Militant Mauricien (MMM). La crise a été désamorcée à la suite d’une rencontre officielle, jeudi 7 novembre, entre le Premier ministre et leader du PTr, Navin Ramgoolam, et le vice-premier ministre et leader du MMM, Paul Bérenger.

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Les tensions, latentes depuis plusieurs semaines, portaient selon les interlocuteurs des deux côtés  principalement sur :

le retard dans la nomination de plusieurs conseils d’administration d’organismes publics, dont  l’ICTA, l’IBA et la DBM mais pas que;

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le retard dans la mise en œuvre de certaines réformes majeures, dont  la réforme électorale, engagement figurant dans le programme gouvernemental ;

certaines décisions administratives jugées unilatérales et des divergences de rythme dans la gestion des affaires publiques, dont des décisions concernant des postes clés de l’administration pointé du doigt dans des rapports récents.

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Le MMM avait également exprimé son mécontentement quant à la lenteur des décisions gouvernementales concernant certaines recommandations du rapport sur les événements survenus à la prison de Melrose, où de graves dérapages des forces de l’ordre avaient été constatés.
Selon plusieurs sources proches du dossier, l’ancien commissaire des prisons Dev Jokhoo aurait fourni des informations erronées sur le déroulement des faits, ce qui aurait contribué à induire le gouvernement en erreur.
Un élément majeur du rapport, jugé sensible, n’a toujours pas été pris en compte par les autorités.

Le parti mauve a également marqué sa désapprobation face au retard dans la composition de la Financial Crimes Commission (FCC), estimant que la création de cette instance aurait dû être conduite avec plus de rigueur et de transparence.
Selon le MMM, une mise en œuvre plus structurée aurait permis d’éviter les controverses récentes ayant terni la crédibilité de l’institution.

Deux épisodes récents ont, par ailleurs, été vécus comme de véritables humiliations politiques par le vice-Premier ministre Paul Bérenger, alors que le Premier ministre Navin Ramgoolam se trouvait à l’étranger.
Dans le premier cas, notamment l’arrestation du journaliste Jasoodanand, le commissaire de police ne l’aurait pas informé, en tant que Premier ministre suppléant, d’un dossier de sécurité majeur, contestant même son devoir de le faire.
Dans le second, aucune autorité concernée — ni l’aviation civile, ni Jet Prime, ni les services aéroportuaires — ne l’a tenu informé de l’autorisation d’atterrissage du jet privé transportant l’homme d’affaires malgache Mamy Ravatomanga, alors en fuite de Madagascar. Toujours au chapitre des reproches à la police, l’affaire El Capo, resté sur le territoire après l’expiration de son visa de trois mois, est vue comme un grave dysfonctionnement pour la sécurité intérieure.

Ces incidents, restés sans explication officielle, sans amende honorable  ont contribué à accentuer le malaise au sein de la majorité et à renforcer le sentiment de frustration au sein du MMM du manque de respect de responsables d’autorités étatiques vis-à-vis du leader mauve.

Initialement prévue sous la forme d’une réunion élargie entre délégations des deux partis, la rencontre de jeudi s’est finalement tenue en tête-à-tête entre les deux leaders à 15 heures, au Bâtiment du Trésor. Selon les déclarations officielles, les discussions ont été “constructives et franches”, permettant d’aborder les sujets de discorde dans un climat de responsabilité partagée.

À l’issue de cette rencontre, le MMM a indiqué que la situation politique serait examinée lors de son Bureau politique, réuni le même jour, en urgence, en fin d’après-midi, tandis que le Parti travailliste a confirmé la volonté commune de poursuivre le travail gouvernemental dans l’intérêt du pays.

Le leader adjoint du MMM, Ajay Gunness, a déclaré à la presse, à l’issue du Bureau politique, que « le travail du gouvernement se poursuit ». Il a confirmé que la réunion s’était tenue « dans les meilleures conditions » et que la collaboration entre le MMM et le Parti travailliste demeurait « solide et constructive ». Il a aussi précisé que les ministres du MMM participeraient normalement au Conseil des ministres du vendredi 8 novembre, marquant la fin de l’incertitude.

Dans les coulisses du parti mauve, il apparaît que la démarche éventuelle du leader, de quitter l’alliance, quoique légitime sur le fond, ne faisait pas l’unanimité.
Certains membres influents du MMM estimaient qu’après de longues années passées dans l’opposition, il n’était pas question de suivre aveuglément une décision de rupture avec le gouvernement. Sans contester ouvertement l’autorité de Paul Bérenger, plusieurs voix internes privilégiaient une approche plus pragmatique, axée sur la stabilité et la continuité de l’action gouvernementale, plutôt que sur un nouveau passage à vide politique. Ce qui n’a pas manqué de décevoir le leader, surtout que parmi ces voix, c’est aussi la vieille garde du parti, avec un député au moins et non des moindres, qui aurait dit que si rupture il y a, il démissionnerait du parlement et se retirerait de la vie politique. C’est ainsi qu’après d’âpres discussions, décision a été prise pour regarder devant et continuer à travailler, dans l’intérêt supérieur du pays.

Le Conseil des ministres tenu le lendemain, vendredi, s’est déroulé dans une atmosphère sereine et collégiale.
Aucune allusion directe n’a été faite aux tensions de la veille.
Les ministres des quatre formations composant la majorité — PTr, MMM, Rezistans ek Alternativ et Nouveaux Démocrates — ont exprimé leur volonté commune de « regarder vers l’avant » et de se concentrer sur les priorités du gouvernement.

Selon les indications officielles, les échanges ont porté sur les dossiers économiques, sociaux et institutionnels, sans qu’aucune dissension n’ait été relevée.

Si la crise semble désormais close, l’Alliance du Changement reste dans une phase d’équilibre fragile.
Les divergences entre le PTr  et le MMM n’ont pas disparu : elles portent encore sur le rythme des réformes, la gouvernance des institutions et la méthode de décision au sein du gouvernement.

Peu de choses transpirent quant à la réunion du comité central des mauves tenu hier. Si ce n’est qu’il ya eu des applaudissements et  contrairement à ce qui s’est passé jeudi après le BP, ce sont cette fois les jeunes qui ont applaudi le leader des Mauves, hier. Les rares confidences laissent comprendre que le No 2, pas totalement apaisé, est en mode attentif à l’évolution des choses suivant sa rencontre de jeudi avec le leader de l’alliance du Changement avec lequel, il n’a aucun problème personnel mis à part sa lenteur à décider. C’est aussi notamment une partie de l’entourage de Navin Ramgoolam qui manœuvre et profite de la situation dans les coulisses, qui dérange le leader du MMM. Si Navin Ramgoolam a assuré qu’il s’en occuperait, certains doutes subsistent sur les intentions réelles de Navin Ramgoolam et du PTr quant à la réforme électorale promis dans le programme gouvernemental.

Dans l’opinion publique, une attente nouvelle s’installe.
La rencontre du 7 novembre a certes permis d’éviter la rupture, mais elle a aussi déplacé le centre de gravité de la responsabilité politique. Paul Bérenger, en expliquant publiquement les raisons de son mécontentement, a subtilement rendu visibles les lenteurs et blocages institutionnels qu’il reproche à l’appareil gouvernemental. Ce faisant, il a, sans le dire explicitement, reporté sur le Premier ministre Navin Ramgoolam la charge de démontrer que le gouvernement peut désormais agir et décider.

La suite dépendra donc de la capacité du chef du gouvernement à transformer la réconciliation politique en action effective.
Car si la stabilité de la coalition a été préservée, le pays attend désormais des signes tangibles d’efficacité et de cohérence.
Entre continuité et exigence de résultats, Navin Ramgoolam devra trouver le juste tempo pour que le souffle retrouvé de l’Alliance du Changement ne s’éteigne pas aussitôt.

MMM–PTr : les cassures d’hier éclairent les fragilités d’aujourd’hui

L’histoire des alliances politiques à Maurice est marquée par plusieurs ruptures entre le Mouvement militant mauricien (MMM) et ses partenaires de gouvernement, notamment le Parti travailliste (PTr). Les événements de 19831 1993 et de 1997 illustrent trois précédents majeurs de crises internes ayant conduit à la dissolution de coalitions victorieuses, après des succès électoraux totaux. Les tensions actuelles au sein de l’Alliance du Changement rappellent ces épisodes. Mais les premières frustrations ont apparemment et finalement  été contenues par la raison et le dialogue…Jusqu’à quand?

1983 : rupture au sein du gouvernement MMM–PSM

En 1982, le MMM et le Parti socialiste mauricien (PSM) remportent les élections générales avec un résultat de 60 sièges à zéro pour l’opposition. Anerood Jugnauth devient Premier ministre, Paul Bérenger ministre des Finances et Harish Boodhoo vice-Premier ministre. Quelques mois après l’entrée en fonction du gouvernement, des désaccords apparaissent entre les deux partis sur la conduite des réformes économiques et sur les relations de travail au sein de l’exécutif.

Ces divergences s’aggravent après le limogeage du directeur de la MBC, perçu comme proche du MMM, et la mise en œuvre de mesures budgétaires inspirées par les recommandations du FMI. En mars 1983, plusieurs ministres du MMM démissionnent. Le gouvernement se disloque, entraînant la création du Mouvement socialiste militant (MSM), issu de la majorité parlementaire restée fidèle à Anerood Jugnauth. L’épisode marque la première grande rupture politique de la décennie.

1993: Bérenger est révoqué par Sir Aneerood Jugnauth

L’épisode de Riverwalk, en 1993, demeure l’un des moments les plus emblématiques de la politique mauricienne. À l’époque, l’alliance MSM-MMM, élue triomphalement en 1991, semblait indestructible. Pourtant, un simple dîner entre Navin Ramgoolam et Paul Bérenger à Riverwalk va tout faire basculer. Ce geste, perçu comme une provocation, enflamme les tensions déjà latentes entre Bérenger et SAJ.

Les désaccords étaient multiples : divergences idéologiques, luttes d’influence, et surtout rivalité de leadership. Jugnauth, exaspéré par le ton critique et la fougue de Bérenger, finit par le révoquer du gouvernement.La cassure est brutale : l’alliance MSM-MMM éclate, provoquant un véritable séisme politique.

Au sein même du MMM, la fracture est profonde : une partie du parti fait scission pour créer le MMSM, tandis que Bérenger rallie les fidèles à l’opposition.

À partir de là, la méfiance et la précarité des coalitions deviendront une constante de la vie politique mauricienne.

1997 : fin de la coalition PTr–MMM

En 1995, le Parti travailliste et le MMM forment une alliance électorale qui remporte, elle aussi, les 60 sièges de l’Assemblée nationale.Paul Bérenger devient vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, dans un gouvernement dirigé par Navin Ramgoolam.Au fil des mois, des différences de méthode et de rythme de décision apparaissent entre les deux formations.

Le 20 juin 1997, Paul Bérenger est révoqué de ses fonctions ministérielles sur recommandation du Premier ministre, décision approuvée par le président de la République, Cassam Uteem.

Cette révocation entraîne la dissolution de l’alliance et la sortie du MMM du gouvernement.Le Parti travailliste poursuit seul la législature jusqu’aux élections suivantes.

En quatre décennies, quatre  alliances impliquant le MMM — en 1982, 1993, 1995, 2025 — ont connu des phases de tension internes à la suite de désaccords sur la gouvernance et la répartition des responsabilités.Si les précédentes se sont soldées par des ruptures, celle de 2025 a, pour l’heure, été contenue.

Les faits démontrent cependant que les coalitions à large base politique, malgré leur succès électoral initial, demeurent exposées à des divergences structurelles une fois au pouvoir.

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