Comme d’habitude, les débats sur un seul projet de loi, cette fois, le Dangerous Drug (Amendment) Bill ont couru sur trois semaines. Et, comme d’habitude, les seuls intervenants de la majorité, dont le Premier ministre, vont monopoliser la fin des débats prévus ce mardi à l’Assemblée nationale. Ils ont apparemment toujours besoin de plusieurs semaines pour digérer les arguments de l’opposition et essayer de trouver la bonne formule pour les réfuter.
Toujours est-il que ce sont des réponses sérieuses qui sont attendues de la part du ministre de l’Intérieur, Pravind Jugnauth après les interventions des principaux intervenants, dont Xavier Duval et Paul Bérenger qui avait pris la parole en premier sur le Dangerous Drugs (Amendment) Bill, le jeudi 3 novembre, mais aussi d’autres membres du camp des opposants.
Une intervention constructive et bien documentée. C’est ainsi que l’on pourrait résumer celle tenue par le leader de l’opposition. Il prenait la parole après le ministre de la Culture, Avinash Teeluck qui, comme les orateurs de la majorité, n’ont que louanges et paroles mielleuses pour le Premier ministre. Il a quand même eu le temps d’attaquer ceux qui critiquent la police et qui mettent en doute sa crédibilité.
Ton d’une toute autre nature pour Xavier Duval qui a fait son home work et qui a proposé des assises de la toxicomanie qui devraient se réunir dès janvier prochain et arriver très vite à des décisions consensuelles entre les parlementaires, les travailleurs sociaux, les organisations non-gouvernementales et tous ceux que le sujet intéresse ou interpelle.
Le leader de l’opposition a dressé un constat très alarmant de la situation de la drogue, caractérisée par une baisse du prix de l’héroïne qui est disponible en volume conséquent et de la raréfaction du cannabis, ce qui pousse de nombreux jeunes à se tourner vers la drogue synthétique.
Tout ça décliné par Xavier Duval avec de nombreux chiffres à l’appui, comme celui de 62% de consommateurs de drogue qui ont recours au synthétique, ou encore celui qui classe la République de Maurice en tête de liste de la consommation de drogue en Afrique.
Autres données mises en avant, l’âge de plus en plus jeune des consommateurs de synthétique qui vont en réhabilitation. Référence faite aussi à ces jeunes morts en une semaine suite à des overdoses de synthétique.
C’est avec cette toile de fond inquiétant que le leader de l’opposition a suggéré que les assises qu’il propose se penchent sur la dépénalisation du cannabis à usage personnel et récréatif. C’est ce qu’on fait un certain nombre de pays pour endiguer l’expansion du synthétique, a-t-il soutenu.
Autres dossiers dont pourraient aussi s’emparer ces assises : les voies et moyens de limiter l’explosion de la consommation de drogue et définir un vrai programme de réhabilitation. Sur ce dernier aspect, Xavier Duval évoque, chiffres à l’appui, l’insuffisance des moyens, mais aussi le nombre peu élevé de toxicomanes qui sont référés aux centres de traitement.
Punir et condamner les consommateurs, c’est les astreindre à une vie de vol et de crime, observe le chef de l’opposition non sans avoir plaidé, comme Paul Bérenger, et d’autres intervenants de l’opposition, pour un amendement au texte qui régit le certificat de caractère afin que les consommateurs qui vont en réhabilitation ne voient pas leur certificat entaché.
Dans le dernier volet de cette intervention qui a retenu l’attention, le combat plus large contre la drogue. À ce sujet, Xavier Duval a déclaré que, malgré les saisies présentées comme importantes, il y a toujours de grandes quantités de drogue en circulation. Il est plus facile de déraciner des plants de gandia que de trouver ceux qui fabriquent et vendent de la drogue synthétique.
Cela l’a aussi amené à commenter l’affaire des “ti papye” qu’il avait lui-même évoquée, lors de sa Private Notice Question du 3 novembre. Le leader de l’opposition a qualifié de “louche” cette autorisation d’importation de 22 millions de ti papye pour un montant de Rs 460 millions pour usage personnel.
Visé, Soodesh Callychurn a revendiqué un droit de réponse pour dire qu’il n’a jamais évoqué l’usage personnel, mais plutôt “personal storage”. Xavier Duval a profité pour ironiser et parler “d’explication vaseuse”.
C’est quoi “personal storage”, a renchéri le leader de l’opposition qui s’est demandé si c’est pour contempler la marchandise? Faut pas pousser le ridicule trop loin, a-t-il lancé à un ministre du Commerce décidément en mal d’arguments sur cette affaire de “ti papye”.
Les intervenants de la majorité, nullement préparés pour donner la réplique aux arguments du chef de l’opposition, ont bien tenté de venir avec quelques réponses, mais elles n’ont pas été vraiment convaincantes.
Ceux qui sont intervenus après le leader de l’opposition étaient la ministre Fazila Jeewah-Daureeawoo, Farhad Aumeer, Vikash Nuckcheddy qui a trouvé le moyen de parler de la “Mumtaz” de Navin Ramgoolam et de celui qui fut pris “le sac dans la main” à Palma et le Dr Anjiv Ram-dhany, qui a parlé d’Adrien Duval qui “s’est obtempéré à soumettre à des tests.” Pour ce que cela veut dire !
Mais ce n’était pas fini. On a eu droit aux discours – si on peut ainsi les définir puisqu’ils étaient tous, dans les rangs de la majorité, à lire constamment sur leur tablette – de Khushal Lobine, de Kavi Doolub, de Subashnee Luchmun Roy, de Nando Bodha et du Dr Anwar Husnoo, celui qui s’était prononcé contre l’utilisation du cannabis médical en 2019.
Lui succédant au micro, Reza Uteem devait rappeler ceci. “The position of the MMM on drug is well known. The MMM has always made a difference between drug traffickers and drug users. The MMM has a policy of zero tolerance with regards to drug traffickers and this is why you will never see barristers from MMM defend any drug traffickers… and I am very proud of the fact.”
L’examen de ce projet de loi a donné lieu à un incident en fin de séance, alors que Reza Uteem développait ses arguments et que le perchoir était occupé par le Deputy Speaker, Zahid Nazurally.
Le député du MMM évoquait la perception selon laquelle c’est la police elle-même qui planterait de la drogue chez des gens. Cela a suscité des réactions des bancs de la majorité. Le Deputy Speaker devait le rappeler à l’ordre et dire qu’il s’agit d’une allégation et que cela ne devrait pas être répercuté dans la Chambre.
Reza Uteem a dit qu’il y a des gens qui y croient et qu’elles ne font pas confiance à la police, dont la question de crédibilité a été posée par nul autre que le ministre Teeluck, lui-même grand critique de ceux qui aiment “mars marsé”.
Et au député du MMM d’insister sur celui à qui incombe la responsabilité de la gestion de la police. Zahid Nazurally, tout en échangeant sur un ton ferme mais poli avec le député mauve, a réprimandé des membres de la majorité qui interrompaient les débats.
Après avoir menacé d’envoyer le ministre Bobby Hureeram aller faire une petite marche hors de l’hémicycle, il a ensuite décidé de demander à Vikash Nuckcheddy d’aller prendre un peu d’air frais, le temps de l’intervention de Reza Uteem, tout en précisant que ce n’était pas une mesure d’expulsion.
Comme Kavi Ramano continuait, de son côté, à ponctuer l’intervention du député du no 2 de nombreux murmures, le Deputy Speaker lui a intimé l’ordre de “take a walk”. Ce qu’il a été obligé de faire sous les ricanements venant des travées de l’opposition.
En tout cas, c’est un épisode dont devrait certainement s’inspirer Sooroojdev Phokeer s’il veut prendre quelques leçons sur comment bien conduire un débat, même lorsqu’il s’échauffe !
Après le dernier intervenant Stéphane Toussaint, l’Attorney General Maneesh Gobin a proposé l’ajournement des débats. Il a auparavant été invité par Zahid Nazurally à “send me the precise line which you said was offending”. Et au ministre de répondre : “Yes. I will meet you in your Chambers.”
Il est aussi à noter que, dans une déclaration faite en début de séance, Soodesh Callychurn a fait état de fraudes rapportées aux bureaux du travail de Curepipe et de Chemin Grenier autour de paiements du Transition and Unemployment Benefit aux travailleurs licenciés, et qu’elles ont été référées tant à la police qu’à l’ICAC.
Le ministre du Travail a aussi dit que les fonctionnaires impliqués ont tous été mutés, en attendant qu’ils soient inculpés et suspendus de leurs fonctions.
Il a également annoncé que l’Office of Public Sector Governance a été choisi pour conduire un audit des bureaux du travail et que le directeur par intérim du département du Travail a été désigné pour présider un comité devant se pencher sur les procédures concernant les applications pour ces Transition and Unemployment Benefit.
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Mardi prochain : Tirs croisés pour le retour du Question Time
Angus Road, l’affaire Kistnen et municipales, pour les uns ; Akil Bissessur
et les accidents impliquant les proches du PMSD, pour les autres
Si Pravind Jugnauth ne s’arrange pas pour ne répondre qu’à une seule question lors du Prime Minister’s Question Time, ça risque de chauffer entre les deux camps de l’hémicycle. Et pour cause, ce sera un exercice de tirs croisés entre la majorité et l’opposition avec, pour les uns, des interpellations sur Angus Road, l’affaire Kistnen et les municipales et, de l’autre, le raid policier chez Akil Bissessur et les accidents de la route impliquant des proches du PMSD.
C’est avec une question de Stéphanie Anquetil sur l’arrestation de la mère de l’enfant abandonné à l’hôpital Jeetoo que le PMQT démarrera, suivie d’une question d’Aadil Ameer Meea sur les demandes de droits d’atterrissage avant et après la pandémie du Covid, et d’une autre de Deven Nagalingum sur les élections municipales.
Si ces trois premières questions sont répondues par le PM, ce sera déjà un exploit, mais les 17 autres restantes sont définitivement les plus clivantes et potentiellement les plus explosives.
Franco Quirin reviendra sur les clous, vis et autres pièges placés sur la piste du Champ de Mars la veille du Maiden, et Farhad Aumeer sur l’autopsie de Soopramanien Kistnen, puis place à Vikash Nuckcheddy et Sandra Mayotte pour évoquer l’interpellation d’Akil Bissessur pour trafic de drogue allégué, les deux députés de la majorité posant pratiquement la même question.
Arvin Boolell reprend ensuite le fil des questions au PM pour évoquer des cas de hacking concernant des politiciens, des hommes d’affaires et des journalistes.
Richard Duval essayera, lui, d’obtenir des détails sur les travailleurs venant du Bangladesh ; Aadil Ameer Meea sur la disponibilité des passeports ; Patrick Assirvaden sur l’enquête de l’ICAC concernant l’affaire Angus Road, et Ehsan Juman sur l’emploi fictif de Simla Kistnen.
Les membres de la majorité s’y remettent ensuite, avec Ashley Ittoo qui demandera les conclusions de l’enquête suivant l’accident mortel dans lequel Nicolas Falcou était impliqué.
Juste après, ce sera au tour de Kavi Doolub de poser une question au PM sur l’accident dans lequel Richard Duval a été mêlé en septembre 2015 à Forbach et, après, Joanne Tour reviendra sur l’accident fatal dans lequel a été impliqué l’ancien député du PMSD, Thierry Henry.
Drogue plantée ?
Ehsan Juman aura, ensuite, une question sur le cas allégué de drogue plantée chez John Brian Vivien, plus connu comme John Brown, survenu en avril 2020. Sa collègue Stéphanie Anquetil enchaînera avec une interpellation sur la fuite des images vidéo du raid effectué au domicile de Doomila Moheeputh.
Pour rester dans le champ policier, Khu-shal Lobine interrogera le PM sur le cas du pécheur enchaîné sur son lit d’hôtel et qui a bénéficié d’une compensation de Rs 100,000 de l’État sur décision de la Cour suprême.
Les autres questions pour le PM portent sur les Chagos (Arvin Boolell), les cas de cybercriminalité à Rodrigues (Joseph Léopold) et le sort réservé à Roshan Kokil (Reza Uteem).
Pour le reste du Conseil des ministres, des sujets comme le nanosatellite, la méthadone, la hausse du taux directeur, les importations de la STC, la COP 27, le secteur hippique, la dette publique, les morts sur les routes, la transplantation rénale, les fonctionnaires suspendus, la cadeau bébé de Rs 1000, Pack and Blister, l’eau, le Shelter l’Oiseau du Paradis et le suivi médical des policiers affectés au nettoyage de la fuite d’hydrocarbure du Wakashio.
En sus de la suite et fin des débats sur le Dangerous Drugs (Amendment) Bill avec quatre intervenants à la suite de la majorité Maneesh Gobin, Alan Ganoo, Leela Devi-Dookun Luchoomun et Pravind Jugnauth avant la summing-up de Kailash Jagutpal, le Mauritius Standards (Amendment) Bill sera aussi proposé à la discussion, tandis qu’en première lecture, un seul texte, le Occupational Safety and Health (Amendment) Bill présenté par le ministre du Travail, Soodesh Callychurn.