Assemblée Nationale : Un gouvernement « moody » décide de fermer boutique jusqu’au 18 octobre

— Sombres mines sur les travées du gouvernement vendredi avec la rétrogradation de la notation de Moody’s, sujet décrété « tabou » lors de l’examen du Finance Bill — Suspension de Shakeel Mohamed, de Patrick Assirvaden et de Mahend Gungapersad après une référence insistante de Pravind Jugnauth à Veena Ramgoolam

C’est un gouvernement « moody » qui a décidé vendredi, à 22 heures, de fermer boutique jusqu’au 18 octobre. Les mines étaient en effet bien sombres dans les travées de la majorité, où l’humeur n’était visiblement pas à la joie après la mauvaise nouvelle tombée la veille indiquant que l’agence Moody’s avait rétrogradé l’île Maurice de la notation Baa2 à Baa3 en pointant l’inefficacité des institutions.

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Le Finance Bill, qui est le prolongement législatif des annonces budgétaires, a été voté en soirée après des débats où l’opposition s’est donnée à cœur joie pour dénoncer la politique économique du gouvernement, tandis que les ministres, qui ont été envoyés au front, se sont contentés d’énumérer les mesures concernant leur domaine de compétence. Pas de fanfaronnade ni de meetings politiques comme les membres de la majorité aiment le faire en temps normal.

Renganaden Padayachy, qui avait fait circuler des notes et des amendements jusqu’à la veille de la présentation du texte, s’est, pour des raisons évidentes après la claque Moody’s, bien gardé de s’embarquer dans de grandes envolées sur la performance économique du gouvernement. Il s’est évertué à égrener les mesures contenues dans le texte, surtout celles qui touchent au social.

Dès l’entame de son intervention, le leader de l’opposition a non seulement dénoncé les méthodes du gouvernent et du ministre des Finances en particulier pour leur empressement à faire passer ce Finance Bill dans le but d’ajourner les travaux et partir en vacance, mais il n’a pu s’empêcher de se référer au downgrading du pays par Moody’s. Renganaden Padayachy, qui avait visiblement anticipé les allusions de l’opposition à Moody’s, a vite fait d’intervenir. Le néophyte, qui en est à son premier mandat, a même trouvé la section des Standing Orders pour demander à Sooroojdev Phokeer d’empêcher Xavier Duval de faire des commentaires sur Moody’s en arguant que cela n’avait rien à faire avec le texte en examen, le Finance Bill.

Après des échanges et des ricanements venant des bancs de l’opposition, le président de séance a décidé de suspendre les travaux pour aller probablement chercher la bonne argumentation pour interdire au leader de l’opposition de mentionner Moody’s. Ce qu’il a fait à son retour au perchoir en tranchant en faveur du ministre des Finances. Ce qui n’est guère surprenant.

Le député que l’on pourrait qualifier de « modèle » par sa régularité, son assiduité, sa constance et qui est un des rares élus à rarement, sinon jamais, se faire rappeler à l’ordre, Reza Uteem, a tenu un discours très suivi sur la discrimination qui pénalise des catégories d’auto-entrepreneurs privés de l’allocation de Rs 1 000.
La fausse erreur 2023 et 2024

Il faut accorder ce soutien financier à tous les salariés et auto-entrepreneurs, a plaidé le député du MMM, qui a aussi levé un lièvre sur la soi-disant erreur corrigée dans le Finance Bill sur l’année de l’application des Rs 13 500, maintenant fixée à 2024. Or, a rappelé l’intervenant, tous les textes déjà votés sur le social et la CSG en particulier font spécifiquement mention de l’année 2023 comme celle où les retraités toucheront une pension de Rs 13 500. Les chiffres sont là et les rentrées d’argent au titre de la CSG — cette taxe qui s’applique à tous — sont également chiffrés noir sur blanc sur les documents circulés depuis l’année dernière, a soutenu Reza Uteem.

Le député a aussi considéré que ce qu’a fait le gouvernement à l’industrie des courses hippiques est « impardonnable ». Toutes ces magouilles et même maintenant un amendement à la State Lands Act pour donner rétroactivement la possibilité de reprendre le Champ de Mars, c’était pour y installer le bailleur de fonds, le nouveau « Lord of Champ de Mars », qui est de tous les côtés de la table et peut-être même bientôt dans la position du jockey.

En dépit du décret émis plus tôt par Sooroojdev Phokeer sur Moody’s, le député du MMM a conclut en disant que la chose la plus raisonnable à faire pour se conformer aux exigences du FMI, de Moody’s, c’est de prendre la mesure de la gravité de la situation et de ne pas s’autocongratuler et de plutôt faire amende honorable et revoir la BOM Act.
Leela Devi Dookun-Luchoomun a commenté deux aspects du Finance Bill, la médecine ayurvédique et le statut des établissements secondaires, tandis qu’Arvin Boolell a, sans que cela ne provoque des réactions hystériques de la part de la majorité, démarré sur une note polémique en évoquant, pêle-mêle, Moody’s, haute trahison, fragilisation des banques et de la route que le gouvernement prend en direction du Sri Lanka.

Le chef de file du PTr n’as pas manqué, lui non plus, de parler du « new Lord of Champ de mars » et du « glory to thee » que chante le gouvernement à l’adresse de celui qui tient le « war chest of the Sun Trust ». « The devil is not in the details but on the wall of this regime », a encore martelé le député du PTr, avant de commenter quelques provisions du Finance Bill.

La ministre de la Sécurité sociale, Fazila Jeewa-Daureeawoo, a bien essayé de défendre sa paroisse et les mesures prises pour venir en aide aux catégories les plus vulnérables de la société mauricienne. Sur « l’erreur » 2023 et 2024 pour ce qui est du paiement de la pension à Rs 13 500, la ministre a dit que cela est dû au fait que les annonces ont été faites avant l’avènement de la Contribution sociale généralisée.

C’est le ministre du Travail, Soodesh Callychurn qui est intervenu après la pause du dîner pour évoquer essentiellement les avantages octroyés aux salariés en cas de maladie de leurs enfants. Kushal Lobine, le dernier orateur de l’opposition, fidèle à lui-même, n’a fait qu’émettre quelques petites critiques, pour finalement faire une liste de mesures « welcome » et « appreciated ».

Avant le résumé des débats par le ministre des Finances, qui n’a pas manqué de « saluer chaleureusement » le Premier ministre et inviter ses détracteurs à ne pas voir que le verre à pointé vide, c’est Maneesh Gobin qui a pris la parole, non pas pour un réquisitoire contre l’opposition, mais pour commenter les provisions du Finance Bill qui touchent à l’Agro-Industrie.

Après l’examen en comité du texte et l’inclusion des tout derniers amendements qui y ont été apportés et le vote en troisième lecture de ce Finance Bill et en l’absence de Pravind Jugnauth et de Steve Obeegadoo, c’est la vice-Première ministre Leela Devi Dookun-Luchoomun qui a proposé l’ajournent des travaux au 18 octobre. La séance de vendredi était la troisième séance de la semaine avant les grandes vacances d’hiver. Celle de jeudi, consacrée à l’examen des motions dites privées des députés, inscrite au nom de Joanne

Tour, du MSM, portait sur les véhicules électriques et n’a pas suscité de grand intérêt.
Elle avait été précédée d’une seconde Private Notice Question de Xavier Duval sur ce qui se passe à Agaléga sans obtenir de plus amples renseignements précis sur ce qui est en train d’être exactement aménagé sur l’île. Déjà mardi, répondant à une PNQ, Pravind Jugnauth avait réitéré son objection à rendre public l’accord passé entre Maurice et l’Inde sur ce qui est entrepris comme travaux à Agaléga. Toujours est-il que les photos distribuées subséquemment à la presse par le leader de l’opposition indiquent qu’il s’agit d’un immense chantier avec tunnels et hangars, et non pas un simple aménagement de piste d’atterrissage.

La séance de mardi avait, elle, été particulièrement agitée. Elle s’est même soldée par la suspension de trois députés du PTr, Shakeel Mohamed, Patrick Assirvaden et Mahend Gungapersad. Tout a débuté avec une réponse du Premier ministre à la première question de Kenny Dhunoo figurant au Prime Minster’s Question Time sur les allégations de commissions réclamées pour le transfert médical de l’ancien Premier ministre Navin Ramgoolam. Il avait demandé si une enquête avait été initiée sur ces allégations.

L’allusion à Veena Ramgoolam

Après avoir indiqué qu’il n’y a pas de plainte enregistrée à cet effet, Pravind Jugnauth a choisi d’effectuer un rappel des événements pour dire que c’est Veena Ramgoolam qui l’avait appelé pour lui demander son aide, les caciques du PTr étant, selon lui, dans l’incapacité de trouver une issue au problème d’évacuation médicale de son époux.
Dès qu’il eut fait mention de l’épouse de l’ancien Premier ministre, des cris d’indignation et exaspération se sont fait entendre des bancs de l’opposition et du PTr en particulier. On pouvait ainsi entendre distinctement des « shame » et des « cheap » de tous les côtés. Mais voyant bien que cela agaçait, Pravind Jugnauth voulait recommencer son petit jeu, mais il a été interrompu par Shakeel Mohamed, qui a fait valoir que le Premier ministre ne pouvait se référer à une personne qui ne se trouve pas au Parlement et de surcroît l’épouse d’un ancien Premier ministre.

Les invectives se sont poursuivies jusqu’à ce que Sooroojdev Phokeer demande à Shakeel Mohamed de se retirer de l’hémicycle. Le député a continué à lancer au Premier ministre « to enn bezer mem », avec le président de séance annonçant qu’il était cette fois « named ». Invité à « do your work », le Serjeant-at-Arms a commencé à agripper le député du PTr, mais ce dernier l’a repoussé. Il a fini par se retirer, non sans continuer à vilipender Pravind Jugnauth.

Ses collègues du PTr vont continuer à défendre le fait que le Premier ministre n’a pas le droit de mentionner un fait supposé qui implique une personne hors de la chambre qui ne peut se défendre, mais Sooroojdev Phokeer a décrété que c’est parfaitement admissible. Et le Premier ministre de recommencer son petit couplet sur Veena Ramgoolam et en ajoutant même qu’il s’était rendu à la clinique Wellkin pour discuter avec l’équipe médicale qui s’occupait de Navin Ramgoolam en présence de Patrick Assirvaden, provoquant d’autres protestations des députés du PTr.

C’est cette fois le président du parti qui va exprimer son opposition à la présentation des faits du Premier ministre. « C’est faux, mo pa ti laba ! C’est complètement faux ! » a tempêté Patrick Assirvaden. « Le Premier ministre ment, je n’ai jamais été là-bas », a martelé le député, visiblement outré. Sooroojdev Phokeer a alors décidé de l’expulser avec appel au Serjeant-at-Arms pour l’évacuer dans le meilleur délai. L’insistance du député à dire que « le Premier ministre ment » lui a valut un naming de la part du Loudspeaker.
Devant le brouhaha qui se déroulait, la présidence a procédé à la suspension des travaux pour quelques minutes. À la reprise, toutes les tentatives des députés Farhad Aumeer et Ritesh Ramful pour dire que le Premier ministre enfreignait les procédures ont été repoussées par Sooroojdev Phokeer. Il a permis au chef du gouvernement de poursuivre avec ses réponses.

À une question supplémentaire du leader de l’opposition lui demandant s’il est disposé à rendre public son call log pour établir qui a appelé qui, Pravind Jugnauth s’est cette fois débiné et a dit qu’il ne pouvait faire état des discussions qu’il a eues avec Veena Ramgoolam, que ce ne serait pas correct et que cela serait plus honteux encore pour les members du PTr.

Mahend Gungapersad, jusque-là calme, s’est mis debout pour crier « cheap » « cheap » et a été sur-le-champ expulsé et named par Sooroojdev Phokeer. Dans l’après-midi, en l’absence de Steve Obeegadoo, le monsieur « motion-naming », c’est le Premier ministre lui-même qui a proposé et obtenu de sa majorité que Shakeel Mohamed soit suspendu pour cinq séances et Patrick Assirvaden et Mahend Gungapersad pour quatre séances.

« Al manz bondié ! »

La séance de mardi s’est terminée comme elle avait commencé. Au moment où le Premier ministre devait faire son summing up sur le très controversé Immigration Bill, tous les députés de l’opposition présents aux quitté tranquillement l’hémicycle. Visiblement déconfit, Pravind Jugnauth devait arrêter son discours pour administrer à chacun des partants des remarques comme « al manz bondié » ou « twa to pou al fer Macarena twa » et même « c’est une opposition avec le lion, le coq, le requin moustache et les corbeaux ». Et bien sûr, sans que cela ne dérange Sooroojdev Phokeer.
Les députés de l’opposition se sont retirés en bon ordre, avec le sourire, Arvin Boolell faisant un petit salut de la main en direction des travées de la majorité. La meilleure réplique qui soit à la bassesse !

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