Dans la conjoncture post-budgétaire, évitant d’utiliser le terme intermède, mot qui n’aura pas plu au Deputy Prime Minister, Steven Obeegadoo, et au tournant de la dernière année menant aux prochaines élections législatives, le judiciaire se retrouve au travers du chemin des politiques.
De manière quasi unanime, le calendrier politique reste suspendu à une série de rulings de ces instances à des degrés divers. Ainsi, il ne fait aucun doute que la classe politique, plus particulièrement les Top Chefs de Lakwizinn du Prime Minister’s Office, retient ces jours-ci son souffle. Dans une dizaine de jours, cinq Law Lords du Judicial Committee of the Privy Council siégeront à Londres pour entendre des arguments en appel réclamant, à la demande du candidat travailliste battu Suren Dayal, l’annulation de l’élection des trois membres du MSM dans la circonscription de Quartier-Militaire/oka (N°8), notamment le Premier ministre, et leader du MSM, Pravind Jugnauth, la vice-Première ministre et ministre de l’Éducation, Leela Devi Dookun-Luchoomun, et l’ancien ministre du Commerce, Yogida Sawmynaden, sur qui pèsent également des inculpations provisoires éventuelles découlant de l’enquête du Central CID sur le délit allégué d’emploi fictif de Constituency Clerk au même N°8.
En ce mois de juillet, la contestation du renvoi des élections municipales à mai 2025, sous forme d’amendements à la Local Government Act, devra prendre forme en vue d’ouvrir la voie à de décisions de la Cour suprême dans les meilleurs délais. En parallèle, le choc frontal relancé entre l’Office of the Director of Public Prosecutions (DPP) et l’Office of the Commissioner of Police, deux institutions émanant des dispositions de la Constitution, se pose en casse-tête chinois au niveau de Lakwizinn, d’autant que le problème a surgi dans des high profile political probes, comme la remise en liberté provisoire de Me Akil Bissessur dans la nouvelle affaire de saisie de drogue au domicile de ce dernier à Quatre-Bornes ou encore celle de Sherry Singh et de son épouse devant le tribunal de Port-Louis, une affaire monitored closely on the PMO’s radar.
Le rendez-vous du lundi 10 juillet devant le Privy Council est attendu avec impatience, que ce soit du côté du QG du Sun Trust ou dans les rangs de l’opposition. Le full bench de cette instance en appel, comprenant Lord Lloyd-Jones, Lord Sales, Lord Hamblen, Lord Stephens et Dame Sue Carr, aura la lourde tâche de mettre un terme au volet des pétitions électorales empoisonnant le deuxième mandat successif de Pravind Jugnauth à la tête du gouvernement. Le verdict du Privy Council, dans un sens comme dans l’autre, s’avère déterminant pour le reste de la présente législature.
À l’Hotel du Gouvernement, tout en évitant soigneusement de commenter publiquement les dessous de cette pétition électorale sous le sceau du sub judice, l’on ne se cache pas pour souligner en privé que « les dernières élections générales se sont déroulées dans le respect de l’esprit de free and fair comme il a été le cas pour toutes les consultations populaires du pays de plus d’un demi-siècle. »
Donc, du côté du QG du Sun Trust, pas de craintes surdimensionnées quant aux séquelles de l’échéance du 10 juillet devant le Privy Council. Ce qui pousse le leader du MSM à soutenir la thèse que « le gouvernement de l’Alliance Morisien complétera son mandat », avec pour principale préoccupation de meet the target de la la livraison des premières unités de logements sociaux, notamment dans la région de La Brasserie, située dans les limites de la circonscription de Curepipe/Midands (N°17), soit celle du Deputy Prime Minister et ministre du Logement, ou encore la mise en opération du pont suspendu enjambant les gorges de la Grande-Rivière-Nord-Ouest, reliant Chebel au bas des Plaines-Wilhems à Sorèze sur la Nationale.
Avec les prochaines vacances d’hiver de l’Assemblée nationale, après l’adoption prochaine du Finance Bill actuellement en préparation au ministère des Finances, et très probablement le jugement du Privy Council du N°8 encore en délibéré au niveau des Law Lords, le dossier prioritaire à l’agenda du Premier ministre demeure sa participation en tant que Special Guest de son homologue indien, Narendra Modi, au sommet du G20 à New Delhi les 9 et 10 septembre.
Du côté de l’opposition, notamment dans les rangs du Parti Travailliste, les attendus du jugement du Privy Council sur la pétition Suren Dayal revêtiront toute leur importance par rapport aux pratiques électorales démocratiques, surtout en prévision de la prochaine joute électorale. « Pour tout commentaire complémentaire, il faudra repasser à la publication du jugement du Privy Council », dira-t-on au sein de l’establishment du Parti Travaillste.
Ce mois de juillet sera encore dominé par une visibilité accrue du judiciaire sur le front politique. Notamment au chapitre du respect du droit de la démocratie. Déjà, dès le jeudi 13, Pravind Jugnauth, en tant que chef du gouvernement, devra être prêt avec son Statement of Defence dans la contestation par Rajen Valayden de la décision de renvoyer à mai 2025 les élections dans les cinq villes avec l’adoption de l’amendement à la Local Government Act.
Sans nul doute, dans ce document à être déposé en Cour suprême, le gouvernement apportera des précisions de même que des échéances quant à son projet vaguement évoqué de réformes et de modernisation des administrations régionales. À ce jour, le gouvernement a annoncé sans plus l’institution d’un Steering Committee sous la présidence de Joe Lesjongard, ministre des Utiltés publiques et président du MSM, pour se pencher sur cet aspect de la vie démocratique à Maurice.
Série de contestations
En ce qui concerne la série de contestations de cet amendement privant quelque 320 000 électeurs de leur droit de vote légitime, la question qui se pose est si le principe de one verdict fits all pourrait être de mise pour toutes les parties. En tout cas, un dénominateur commun dans les pétitions logées par le Parti Travailliste, Linion Pep Morisien et le MMM se résume à la représentation légale, à savoir Me Antoine Domingue, Senior Counsel.
D’abord, il n’est pas exclu qu’à la prochaine audience de la Cour suprême, Me Domingue, après consultations avec l’état-major de ces différents partis politiques de l’opposition, ne décide de formuler une motion de consolidation de ces trois motions de contestation en vue de faciliter la tâche des juges, car justice delayed is justice denied. Comme l’avait déclaré l’ancien Premier ministre britannique Edward Gladstone.
Ce dénouement intermédiaire pourrait intervenir ce même 13 juillet. Ce jour-là, outre l’affaire Rajen Valayden, le dossier de LPM, avec en première ligne Rama Valayden, Jean-Claude Barbier et Raouf Khodabaccus, et celui du MMM, avec pour pétitionnaires Fazlek Hosseny, Arjoon Bhikoo et Santaram Hanendah, font partie de la cause list de la Cour suprême.
Dans sa motion en cour, Rajen Valayden, qui a retenu les services de Me Sanjay Bhuckory, Senior Counsel, demande que cette extension du mandat des conseils municipaux existants soit déclarée null and void. Dans cette perspective, la Cour suprême devra ordonner au gouvernement de demander au président de la République, Pradeep Roopun, d’émettre le Writ of Election dans un délai maximal de 60 jours après la date du jugement.
Évidemment, les répercussions de la pétition électorale devant le Privy Council pour le scrutin du 7 novembre 2019 au N°8 et de la contestation de la loi Husnoo devant la Cour suprême se transformeront en données incontournables au calendrier politique. Mais la dimension la plus délicate de cette visibilité imposée au judiciaire se déroule loin du champ politique.
Même bien loin. Car elle se joue entre institutions émanant de la Constitution. La confrontation entre le DPP et le commissaire de police s’affiche au premier degré sans aucue subtilité. Même si au lendemain de la confirmation de Me Rashid Ahmine au poste de DPP, le commissaire de police, Anil Kumar Dip, avait donné l’impression d’enterrer la hâche de guerre, constituée de la décision du DPP de ne pas faire appel du ruling de la magistrate Jade Ngan Chai King siégeant au tribunal de Moka pour la remise sous caution de Bruneau Laurette suite à son arrestation par la PHQ Special Striking Team d’Ashik Jagai lors d’une saisie de drogue.
Das un autre cas de figure, le ressentiment venant des Police Headquarters est encore plus personnel. Le Bureau du Directeur des Poursuites publiques avait pris la décision de réclamer une judicial review de la de recommandation de la Commission de Pourvoi en Grâce pour commuer la peine de 12 mois de prison infligée au fils du commissaire Dip dans une affaire de détournement de fonds en une simple amende de Rs 100 000.
Clash virulent
Et en début de semaine écoulée, et en deux occasions, le clash entre ces deux institutions constitutionnelles était davantage plus virulent. D’abord au tribunal de Mahébourg, lundi dernier, le surintendant de police Gungadin, affecté à la PHQ Special StrikingTeam, a été littéralement court-circuité lors des débats sur la motion de remise en liberté en faveur de Me Akil Bissessur, interpellé le 20 juin lors de l’opération Fakter avec la saisie de plus d’un millier de pilules Ecstasy.
Mes Yakrajsingh Ramsohok et Rajeenee Seegobin, représentants de l’Office of the Director of Public Prosecutions, étaient des plus catégoriques en début d’audience. « Aucune objection de la part du DPP pour la remise en liberté sous caution d’Akil Bissessur », dira Me Ramsahok. Ce dernier devait retourner le couteau dans la plaie devant les protestations du SP Gungadin, accusant le DPP de volte-face. « With the permission of the Court, I want to put this on record. Je tiens à préciser que la présente décision n’émane pas du Bureau du DPP, mais du DPP personnellement », ajoutera Me Ramsahok.
Pour sa part, la magistrate au tribunal de Grand-Port, Doorgeshnee Dinya-Mooloo, ne fera qu’enfoncer le clou, balayant d’un revers de la main les protestations du surintendant de police en affirmant que « la liberté conditionnelle a été accordée, car il n’y a aucune objection de la part du DPP. » Me Bissessur a eu à fournir une caution de Rs 50 000 et une reconnaissance de dettes de Rs 200 000 pour retrouver la liberté.
En fin de semaine, le commissaire de police, retenant les services de Me Shamila Sonah-Ori, l’avouée attitrée du Premier ministre, a logé en Cour suprême une motion, calquée sur le modèle précédent de Bruneau Laurette, pour que la caution imposée par le tribunal de Mahébourg soit quashed et Akil Bissessur reconduit en détention provisoire.
Toutefois, la gifle constitutionnelle du DPP au commissaire de police allait être encore plus cinglante dans un autre high profile case, soit impliquant un ancien Top Chef de Lakwizinn et jusqu’à il y a un an très proche de Pravind Jugnauth. Dans l’affaire de la radiation des charges de délit de money laundering de l’ancien Chief Executive Officer de Mauritius Telecom, Sherry Singh, le commissaire de police a cru vouloir doubler le DPP en retenant les services de Me Amman Oozeer, de BLC Robert & Associates.
Mardi, avec cette motion appelée en Cour de Port-Louis, le représentant du DPP, Me Damodarsngh Bissessur, intervenant avec finesse et élégance, devait remettre la police à sa place. Objectant à la présence de Me Oozeer pour le compte de la police, Me Bissessur a rappelé que « la police n’a pas adopté la bonne procédure » en soulignant que la permission du DPP s’impose pour tout recours de la poursuite, soit la police, aux services de conseil légal exerçant dans le privé. Il n’a pas manqué de rappeler que « seul le DPP a le pouvoir d’assurer les poursuites au criminel au terme de la Constitution. »
Pour sa part, Me Oozeer a exprimé le souhait que la Cour suprême soit appelée à trancher ce différend entre institutions de la Constitution. Un autre dossier déposé à la porte de la Cour suprême alors que l’embarras, voire le casse-tête chinois, à l’Hôtel du Gouvernement est des plus palpables vu l’option de bombe à retardement que recèle l’affaire Sherry Singh (voir texte plus loin).
Telecom Tower — Sniffing Gate : Les pistes d’enquête ciblant Sherry Singh se multiplient
— Une propriété immobilière de luxe à Dubaï dans le collimateur de la Financial Intelligence Unit, accentuant la pression pour une nouvelle évaluation de ses Immoveable Assets
— Operation Efas Tras : l’ex-CEO de MT sous le coup d’inculpation pour complot en vue de « delete » des informations confidentielles et compromettantes dans le système informatique
Un an de cela, Sherry Singh, alors Top Chef incontournable de Lakwizinn du Prime Minister’s Office, démissionnait en tant que Chief Executive Officer de Mauritius Telecom.
La raison principale évoquée était axée sur des allégations de sniffing du réseau de câbles optiques SAFE, transitant à la station de relais de Baie-du-Jacotet. Ces allégations, avec l’Inde en point de mire, avaient fait grand bruit. Au final, les enquêtes de la police et les dénonciations et rétractations de même que la démission et le reinstatement de Girish Guddoy, Chief Technical Officer de Mauritius Telecom, n’auront rien donné de probant.
Sauf que, depuis, les pistes d’enquête visant Sherry Singh, transformé en leader de parti politique, One Moris, se sont multipliées, le dernier épisode portant sur un volet Efas Tras dans le système informatique au plus haut échélon de Mauritius Telecom.
Néanmoins, le dossier le plus conséquent est à inscrire au tableau de la Financial Intelligence Unit (FIU). Cette dernière a obtenu du juge, siégeant en référé, un freezing order sur les avoirs bancaires et immobiliers de Sherry Shing. Dans cette même démarche, la FIU avait associé plus d’une vingtaine d’autres personnes à Sherry Singh. Aux dernières nouvelles, la FIU s’est engagée dans la voie de confirmer que l’ancien CEO de Mauritius Telecom était engagé dans des transactions immobilières à l’international. Et cela, contrairement à ce que Sherry Singh avait affirmé publiquement au lendemain de son départ de la Telecom Tower. Les exercices de money trail enclenchés par les analyses de la FIU ont pour objectif qu’au moins dans un cas, il était partie prenante d’une opération immobilière d’envergure.
La FIU dispose d’informations, sujettes à confirmation, que Sherry Singh serait connecté à une transaction immobilière au Juneria Living Marina Gate à Dubaï. L’appartement de luxe, couvrant une superficie de 1 500 pieds carrés, aurait été vendu à une tierce partie en 2020 pour un montant de Rs 60 millions, soit presque trois fois le prix d’achat. La FIU s’intéresse à reconstituer le money trail pour l’achat allégué de cet appartement à Dubaï et pour les proceeds de cette vente. Dans l’immédiat, toujours la FIU veut à tout prix obtenir une réévaluation de la propriété immobilière du couple Singh dans la région huppée d’Au Bout du Monde, Ébène. Les données fournies par la Mauritius Revenue Authority portent sur un montant de Rs 89 millions. Mais la FIU est d’un autre avis, soupçonnant que la valeur réelle pourrait être le double.
De son côté, Sherry Singh, qui objecte formellement à la demande de la FIU, veut obtenir de la Cour suprême une injonction contre cette réévaluation immobilière. Il a également obtenu un ordre interdisant toute publication visuelle ou autres photos de sa propriété immobilière.
Dans un autre ordre d’idées, Sherry Singh pourrait être convoqué pour interrogatoire under warning par la Major Crime InvestigationTeam pour le délit de complot allégué dans des fichiers informatiques éliminés dans le système de Mauritius Teecom. Sur la base d’une série d’auditions de cadres de cette entité parapublique et l’inculpation provisoire d’une Top Gun en début de semaine écoulée, la police est en présence d’informations selon lesquelles des dossiers concernant le recrutement et la promotion des membres du personnel, des éléments sur des contrats et des courriels échangés avec certaines personnes ont été effacés de manière intentionnelle.
La direction de Mauritius Telecom a été approchée pour des compléments d’information sur cette opération Efas Tras. Dans l’immédiat, l’escouade du SP Ghoora se dit en présence de suffisamment d’informations pour entamer le questioning sur le volet du personnel avant d’entamer celui des contrats alloués, dont les détails ont été deleted.
Rebondissements à prévoir…