L’affaire d’emploi fictif : Yogida Sawmynaden acquitté

•La magistrate Anusha Rawoah met en doute la crédibilité de Simla Kistnen
•Elle explique sa décision par des « substantial inconsistencies and contradictions » dans la version du témoin principal de la poursuite

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L’affaire d’emploi fictif de Simla Kistnen, épouse de feu Soopramanien Kistnen, agent du Mouvement Socialiste Militant (MSM) retrouvé mort à Telfair en octobre 2020, en tant que Constituency Clerk de l’ancien ministre Yogida Sawmynaden a connu son dénouement jeudi en Cour intermédiaire. Dans un jugement motivé long de 39 pages, la magistrate Anusha Rawoah a acquitté Yogida Sawmynaden, qui était poursuivi pour faux et usage de faux. Elle a émis des doutes sur la crédibilité de Simla Kistnen, la plaignante et témoin principal de la poursuite dans cette affaire qui a défrayé la chronique depuis l’année dernière.

Yogida Sawmynaden était poursuivi sous deux chefs d’accusation de faux et d’usage de faux en violation des articles 108 (b), 111, 112 et 121 du Code Criminel. Il était reproché à l’ancien ministre du Commerce d’avoir, le 28 janvier 2020, au siège de son ministère à la Sicom Tower, Ébène, d’avoir délibérément et illégalement commis un faux quand il a rempli une Constituency Declaration Form au nom de Sakuntala (Simla) Kistnen, la plaignante, en déclarant qu’elle était employée comme Constituency Clerk à partir de janvier 2020 quand, en vérité, selon cette dernière, elle n’a jamais été employée comme tel par l’accusé. Il est aussi reproché à Yogida Sawmynaden d’avoir fait usage de ce faux au préjudice de l’État quand il a réclamé une allocation mensuelle à être versée à Simla Kistnen en tant que Constituency Clerk.

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Treize témoins
Treize témoins avaient été assignés dans cette affaire. Dix du côté de l’accusation — notamment Simla Kistnen elle-même en tant que témoin principal, l’ancienne Clerk de l’Assemblée nationale Bibi Safeena Lotun et des représentants de la Mauritius Revenue Authority (MRA) et de Mauritius Telecom, entre autres — alors que la défense n’avait appelé que trois témoins, le Court Manager de la Cour de district de Port Louis (Division Sud), un représentant de la HSBC et un représentant du Master & Registrar pour produire certains documents en leur possession. Quant à Yogida Sawmynaden, il n’avait pas souhaiter déposer en Cour, invoquant son droit au silence, mais s’est tenu aux dix statements qu’il a donnés aux enquêteurs dans cette affaire. La poursuite était menée par le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP), tandis que Yogida Sawmynaden était défendu par Mes Raouf Gulbul et Mahmad Bocus.

Étant donné que l’accusation reposait essentiellement sur la version de Simla Kistnen, la plaignante, le tribunal s’est vu dans l’obligation d’évaluer sa crédibilité afin d’être sûr de la véracité de ses propos. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Simla Kistnen a lamentablement failli à convaincre la magistrate Rawoah, si on s’en tient à l’évaluation qu’elle fait de son témoignage aux paragraphes 68 à 98 de son jugement. En effet, la magistrate a relevé des « substantial inconsistencies and contradictions » dans la version de Simla Kistnen « that go to the core of her credibility ».

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La première contradiction a trait à la relation entre l’accusé et le témoin, et son implication dans des activités politiques. Alors qu’elle a déclaré au début du procès n’avoir jamais parlé à Yogida Sawmynaden et que « personelman mo pa konn li », Simla Kistnen a fini par admettre en contre-interrogatoire que feu Soopramanien Kistnen, son époux, et Yogida Sawmynaden était de bons amis, au point d’être comme « kalson-simiz » depuis 2010, qu’ils étaient en communication presque tous les matins et se rencontraient régulièrement. Elle admis la proximité de Yogida Sawmynaden avec sa famille, que ce dernier leur rendait visite régulièrement, avait rendu visite à son fils quand ce dernier était admis à la clinique et que son époux avait obtenu des « kontra drain » grâce à l’aide de Yogida Sawmynaden. Elle a aussi admis avoir accompagné des mandants de Yogida Sawmynaden au CAB de la localité en deux occasions et qu’elle était présente quand l’ancien ministre recevait ces derniers.

Pour la magistrate, cette version est en flagrante contradiction avec celle où le témoin disait ne pas connaître Yogida Sawmynaden. Pour la magistrate, « such major contradiction goes to the core of her credibility and her testimony on the fact that she was not involved with Accused and his political activities cannot be believed ».

« Loaded with doubts »
La deuxième contradiction relevée par la magistrate dans la version de Simla Kistnen touche aux conversations téléphoniques. Simla Kistnen avait affirmé que Yogida Sawmynaden l’avait appelée sur son portable une seule fois, soit le 15 juillet 2020, quand Soopramanien Kistnen était porté manquant et que c’est la seule fois qu’il lui a parlé. Or, les relevés téléphoniques (itemised bills) versés dans le dossier à charge montrent que Yogida Sawmynaden l’a appelé une dizaine de fois entre le 15 et le 17 juillet 2020 et que leurs conversations ont duré entre 40 et 324 secondes. Confronté à ces preuves, Simla Kistnen est restée évasive, affirmant tantôt qu’elle n’avait pas répondu aux appels (sans donner aucune raison pourquoi elle n’avait pas répondu) tantôt que c’est son neveu qui avait répondu, alors qu’elle avait déclaré que son portable était tout le temps avec elle. Pour la magistrate, considérant les circonstances dans lesquelles l’accusé appelait le témoin — parce que Soopramanien Kistnen était porté manquant depuis le 15 juillet – et que le témoin elle-même était à la recherche de son époux, elle trouve que la version de Simla Kistnen à l’effet qu’elle n’a parlé à l’accusé qu’une seule fois au téléphone « is loaded with doubts ».

La troisième contradiction concerne son inéligibilité au Self-Employed Assistance Scheme (SEAS). Selon Simla Kistnen, c’est son époux, feu Soopramanien Kistnen, qui avait fait une application en son nom à la MRA sur son (Soopramanien Kistnen) téléphone et qu’il avait reçu un message sur ce même téléphone l’informant que son épouse n’y était pas éligible à ce plan d’aide, étant déjà employée. Elle a même déclaré que son époux l’avait montré ledit message. Or, la représentante de la MRA a déclaré en cour que les seules façons qu’un postulant au SEAS pouvait savoir si sa demande avait été rejetée était de consulter le site web de la MRA en s’identifiant à travers son numéro de portable ou se déplaçant physiquement au siège de la MRA à Port-Louis.

La représentante de la MRA a de plus déclaré que l’institution n’envoie pas de message, encore moins de SMS, si une application pour le SEAS est rejetée.

Le tribunal a aussi relevé que Simla Kistnen a déclaré qu’elle et son époux faisaient face à des diffcultés financières pendant la période de lockdown. Or, note la cour, quand cette période a été levée en juin 2020, elle ne s’est pas rendue à la MRA pour s’enquérir pourquoi elle n’était pas éligible au SEAS. Confrontée à cela, elle a déclaré qu’elle avait d’autres priorités, une version que la cour a trouvé ne tient pas la route vu les difficultés financières auxquelles elle disait faire face. « This casts serious doubts on the fact that she did not know the reason for her non-eligibility for SEAS. »

« Not a witness of truth »
Aussi, Simla Kistnen avait déclaré que son inégibilité au SEAS était due au fait qu’elle était employée comme Constituency Clerk par Yogida Sawmynaden. Or, note le tribunal, en se basant sur les documents de la MRA produits en cour et du ministère de l’Intégration Sociale, de la Sécurité sociale et de la Solidarité nationale, mention est faite qu’elle a été enregistrée comme employée de Yogida Sawmynaden de janvier à juillet 2020 sans aucune précision en quelle capacité. Selon la magistrate, si Simla Kistnen déclare qu’elle est partie à la MRA et à la NPF pour s’enquérir de son inégibilité pour le SEAS, elle ne pouvait qu’être informée qu’elle était employée par l’accusé. En aucun cas elle pouvait être informée, comme elle l’affirme, qu’elle était employée comme Constituency Clerk vu qu’aucune mention n’est faite en quelle capacité elle était employée par Yogida Sawmynaden.

Le quatrième point relevé par le tribunal concerne le mode of payment de son allocation en tant que Constituency Clerk. Le fait qu’aucun montant n’a été crédité sur le compte de la plaignante ne prouve aucunement qu’elle n’a pas reçu d’allocation, car c’est au député, a fortiori s’il est un ministre, de décider comment payer son Constituency Clerk. Selon le témoin Bibi Safeena Lotun, ancienne Clerk de l’Assemblée nationale, appelée à la barre des témoins, l’allocation pour tout Constituency Clerk est versée dans le pay packet du ministre et c’est au ministre de faire le paiement au Constituency Clerk. Il n’y a aucune règle qui dit que le paiement doit être obligatoirement fait par virement bancaire.

Le cinquième point concerne la lettre de Yogida Sawmynaden, en date du 20 juillet 2020, envoyée à son ministère d’alors, l’informant qu’il allait se passer des services de Simla Kistnen en tant que Constituency Clerk. Comme se veut la procédure, la MRA et la NPF en ont été informés. Yogida Sawmynaden n’a pas employé d’autre Constituency Clerk par la suite. Le tribunal estime que si l’accusé était de mauvaise foi et voulait, à dessin, s’approprier l’allocation qui revenait à Simla Kistnen, il n’aurait pas informé les autorités. « It stands to reason that if Accused has falsely represented W3 (Simla Kistnen) as his Constituency Clerk and claimed the allowance unlawfully, he could have carried on doing same even after July 2020 […] »

Pour toutes ces raisons, la magistrate a trouvé que Simla Kistnen n’est pas crédible et n’est pas « a witness of truth », alors que l’accusé est resté constant dans sa version tout au long, comme le montrent ses dix statements donnés à la police. Vu que l’accusation reposait essentiellement sur la version de la veuve de Soopramanien Kistnen, elle est arrivée à la conclusion que la poursuite n’a pu prouver, au-delà de tout doute raisonnable, la culpabilité de Yogida Sawmynaden pour faux et usage de faux. Elle a donc acquitté le collistier du Premier ministre.

Les réactions :
Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a exprimé son désarroi face à ce qu’il perçoit comme l’utilisation cynique d’une veuve, Simla Kistnen, pour des gains politiques. « Seki pli tris, se ki manier zot inn anbobinn sa madam-la », dit-il. Il accuse fermement l’opposition d’avoir manipulé cette femme et d’avoir orchestré des allégations sans fondement dans le but de servir leurs propres intérêts politiques. Son discours reflète une frustration palpable envers ce qu’il considère comme une manipulation de la vérité et une utilisation abusive des médias pour atteindre des objectifs politiques. Il soulève également des préoccupations concernant le traitement réservé à d’autres membres de son gouvernement par l’opposition et les médias.

Yogida Sawmynaden, qui était l’accusé au cœur de l’affaire, exprime un profond soulagement face au verdict rendu. Il attribue ce résultat à sa foi en Dieu et à ses prières constantes. Ses remerciements vont au système judiciaire, à sa famille, à ses amis et à ses partisans politiques qui sont restés fidèles. Il nie catégoriquement les allégations portées contre lui et affirme qu’il a toujours eu la conscience claire. Son discours est empreint de reconnaissance envers ceux qui l’ont soutenu et d’une ferme conviction en la vérité de son innocence. Il a adressé un message à la veuve de son agent politique décédé : « Madam Kistnenn in ariv ler pou aret so bann sinema. Li viv so lavi. Mo’nn bien soufer. Mo kone se pa so doing. Se bann lezot dimounn ki ti deryer li ki’nn amenn li dan kales kase. »

Me Raouf Gulbul, l’avocat de Sawmynaden, livre une analyse critique du témoignage de Simla Kisten. Il qualifie ses déclarations de non crédibles et souligne les contradictions flagrantes dans son récit. Il insiste sur le fait que la justice a examiné minutieusement son témoignage et a conclu qu’il manquait de fiabilité. Sa déclaration met en lumière les défis auxquels sont confrontés les tribunaux lorsqu’ils évaluent la crédibilité des témoins et souligne l’importance de préserver le droit au silence, tel que choisi par son client, dans le processus judiciaire. « Cette affaire avait commencé avec les Avengers. Ils ont disparu. Mme Kistnen finn dibout tousel. Zordi zot pa prezan. Sa ki grav. Sa zizman-la ena enn gran leson a tire. Zizman fer par enn kour dezistis. » at-il conclu.

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