Avec la clôture des submissions devant le full bench des quatre Law Lords, Lord Lloyd-Jones, Lord Sales, Lord Hamblen et Lord Stephens, et Dame Sue Carr, du Judicial Committee of the Privy Council, lundi en début de soirée, la pétition électorale logée par le candidat battu du Parti travailliste à Quartier-Militaire/Moka (N°8) Suren Dayal est entrée dans un no man’s land temporel. En effet, cette instance judiciaire suprême a mis en délibéré l’appel du jugement de la Cour suprême en faveur de Pravind Jugnauth, Leela Devi Dookun-Muchoomun et Yogida Sawmynaden, les trois candidats du MSM élus au N°8.
Avant que la séance du Privy Coucil ne soit levée, Me Timothy Straker, qui a souhaité un jugement dans les meilleurs délais, a aussi abordé un tricky point, notamment que la question des costs soit également tranchée. Sans préjuger de la décision de cette instance en appel, la partie qui essuiera le jugement négatif devra prévoir à encourir des frais d’affaires de l’ordre de Rs 10 millions. Au bas mot.
Avec Suren Dayal abandonnant à la toute dernière minute de deux de ses points d’appel, à savoir le rôle de la MBC pendant la campagne menant au scrutin du 7 novembre 2019 et les Rs 3 millards aux victimes du Super Cash Back Gold du défunt groupe BAI, le Privy Council sera appelé trancher principalement si la promesse de la Basic Retirement Pension à Rs 13 500 d’ici à 2024, annoncée le 1er octobre 2019, relevait d’un exercice de normal electoral campaigning ou un cas caractérisé d’electoral bribery passible de sanctions sous la clause 64 de la Representation of the People Act.
Toutefois, la remarque from the bench de la Law Lady Dame Sue Carr à l’effet « Y aura-t-il eu une différence si le manifeste avec la révision de la pension avait précédé l’annonce du PM en date du 1er octobre ? » confirme l’orientation que devront épouser les attendus du jugement du Privy Council dans la pétition électorale, qui aura marqué quasiment le mandat du Premier ministre, Pravind Jugnauth, et de son gouvernement.
Dans la conjoncture, le last-minute argument de Me Straker pourra-t-il faire la différence ? Dans sa réplique, l’avocat de Suren Dayal avait avancé que cette promesse de la pension de Rs 13 500 avait été sortie par le Premier ministre avec « an election in prospect » en novembre 2019, alors qu’en juin de la même année, il n’en a pas été question dans le discours du budget.
À ce stade, chacun des deux camps politiques s’affrontant sur la validité des résultats du scrutin du 7 novembre 2019 ronge son frein quant à l’issue de la joute devant le Privy Council. Même si en privé au sein de la communauté des Top Chefs de Lakwizinn du Prime Minister’s Office l’on n’hésite pas à prendre at face value le commentaire de Me Antoine Domingue, Senior Counsel, que Me Guy Vassal-Adams, KC, Leading Counsel de Pravind Jugnauth, aurait été plus convaincant dans son argumentation lors de la séance de lundi dernier.
Certes, Me Timothy Straker, KC, dont les services ont été retenus par Suren Dayal, a été pris de court par le temps vers la fin de la présentation de ses arguments pour faire la démonstration de la violation des dispositions de la clause 64 de la Representation of the People’s Act, définissant les paramètres pour des free and fair elections. Ce n’est nullement un fait du hasard pour s’évertuer d’obtenir une mise en application stricto sensu de cette dernière section de la loi, que Me Straker s’est appuyé sur la chronologie à partir de l’annonce de la promesse de la révision de la Basic Retirement Pension à Rs 13 500 d’ici la fin du mandat, soit en 2024.
Ainsi, il soulignera quatre dates spécifiques « to try to make Suren’s Dayal case », à savoir
1er octobre 2010 : annonce de Pravind Jugnauth au sujet de la révision de la pension lors d’une cérémonie marquant la Journée du troisième âge
6 octobre : dissolution de l’Assemblée nationale
23 octobre : publication du manifeste de l’Alliance Morisien
7 novembre 2019, jour du scrutin.
À ce stade, il ne manquera pas de rappeler aux Law Lords des déclarations de Pravind Jugnauth au sujet de sa sincérité par rapport aux promesses, dont « we kept our promise » ou encore « You know, I’m a man of my word. » Ensuite, il commentera le fond du débat, notamment que la pension à Rs 13 50o d’ici à 2024 relève « of a promise relating to money. It was a promise of a future government. Not that of an individual candidate. »
Le Leading Counsel de Suren Dayal reviendra la charge en affirmant que « these points were made to electors. It was made as part of an electoral campaign to signify an inducement to vote. It is related to a valuable consideration, that is money. The question of pension is regarded as a sensitive issue. »
Répondant à une première interruption de Dame Carr, en quête d’éclaircissements au sujet de « what is the test for bribery ? », Me Straker retournera à l’interprétation de la clause 64 de la Representation of the People Act pour réitérer que « it is a clear circumstance of a promise being made for the purpose of getting votes. »
Plus loin, il fera comprendre que « this is an indication from someone who happens to be the Prime Minister if he gets another five-year mandate, this is what I want to do. » Il est également d’avis que « candidates (standing in an election) cannot do certain things ; one is to make promises of a kind that you will get financial benefits. The whole matter is wrapped with what you are trying to do and impacting on the vote. »
Alors que d’autres Law Lords s’intéressaient à savoir « if there was direct offer of money by the candidate » ou encore « where will the money (pour payer la hausse de la pension) come from ? », Dame Carr viendra avec une interrogation qui peut valoir son pesant d’or dans sa délimitation de la frontière entre les pratiques de bribery électoral et de normal electoral campaigning.
« If the electoral manifesto would have been published before the 1st of October event, would it amount to bribery ? » a lancé Dame Carr, l’ancienne cheffe juge de la Cour suprême et qui en est sa première participation à une audience sur le bench du Privy Council.
Élément récurrent de toute campagne électorale
Donnant la réplique à la position adoptée par Suren Dayal par rapport au jugement de la Cour suprême validant l’élection de Pravind Jugnauth, Leela Devi Dookun-Lutchoomun, Me Guy Vassam-Adams. KC, a préféré jouer sur un autre tableau. Tactiquement, il s’est adressé aux Law Lords et la Law Lady et se concentrant sur la teneur du jugement de la Cour suprême.
Au tout début de son intervention, le conseil légal de Pravind Jugnauth, qui est assisté de Me Ravind Chetty, Senior Counsel, soulignera qu’a aucun moment « he (Suren Dayal) has not identified any error in the judgment of the Supreme Court », faisant comprendre qu’il n’y a aucun lieu pour le Judicial Committee of the Privy Council de renverser le verdict de la Cour suprême de Maurice.
En complément, il ajoutera que la campagne électorale de l’Alliance Morisien pour le scrutin du 7 novembre 2019 ne comportait pas de cas de bribery, qui peut être sanctionné sous la section 64 de la Representation of the People Act. Il dira que cette section de la loi sur le déroulement des élections à Maurice ne doit nullement porter atteinte à la liberté d’expression d’un candidat.
Pour Me Vassal-Adams, la promesse de la révision de la hausse de la pension de retraite à Rs 13 500 fait partie d’une liste de 15 mesures phares proposées par l’Alliance Morisien pour les élections de 2019. Il ne ratera pour rafraîchir la mémoire du full bench du Privy Council que l’Alliance Nationale, soit du Parti Travailliste et du PMSD, avait également inclus dans son manifeste électoral une proposition sensiblement la même pour le troisième âge.
Il présentera la déclaration du Premier ministre le 1er octobre 2019, au sujet du doublement de la pension de vieillesse en cas de victoire de son alliance comme une annonce parmi tant d’autres. Il indiquera également que le thème de la pension a été un élément récurrent de toute campagne électorale en faisant référence à la campagne de 2014.
Par rapport aux autres éléments classés la catégorie de bribery par le pétitionnaire, à savoir la mise en application accélérée des recommandations du rapport du Pay Research Bureau (PRB) en janvier 2020, déclaration en date du 23 octobre 2019, une mesure en faveur de quelque 80 000 employés du secteur public, et le Performance Bonus annoncé aux policiers, pompiers et gardiens de prison, le Leading Counsel de Pravind Jugnauth mettra en apposition des mesures similaires incluses dans le programme de l’Alliance Nationale.
Toujours en ce qui concerne le jugement de la Cour suprême, Me Vassal-Adas montera en épingle de cravate l’embarras de Suren Dayal devant les juges quand il avait été confronté à cette situation, avec pour réaction de sa part que « two wrongs do not make one right. » Il ajoutera que la Cour suprême, nullement satisfaite de cette réponse, avait même fait état de double standards.
Concédant que la section 64 de la Representation of the People Act réprimant tout acte de bribery durant une campagne électorale doit saper la volonté libre de l’électeur, il soutiendra que ce n’est pas toutes les promesses qui auront le même effet. Il affirme que parmi tous les engagements pris par tous les candidats, il incombe aux électeurs de discerner pour lesquels ils vont exercer leur droit de vote.
« Une distinction doit être faite entre une promesse faite ouvertement durant une campagne électorale, et en vue d’acheter des votes de façon couverte dans une circonscription donnée », a-t-il poursuivi à cette enseigne, en citant des précédents aux États-Unis et en Inde principalement.
Pour lui, la promesse du Premier ministre en vue d’une révision à la hausse de la pension de vieillesse s’appliquait à tous les pensionnés indistinctement à travers l’île, déclaration faite ouvertement dans le cadre d’une campagne électorale et présentée dans le manifeste électoral de l’Alliance Morisien.
« Unrestricted political activities »
Il maintient que cette promesse électorale ne ciblait pas une circonscription particulière pour l’élection d’un candidat spécifique, mais de toute une alliance. Elle était sujette à l’appréciation des électeurs, et aussi aux critiques et autres contre-propositions. Comme l’avait fait remarquer la Cour suprême, il s’agissait d’une « electoral promise contained in an electoral manifesto and made in the course of normal electoral campaigning. It was no more no less than a statement of intention of a future eventual Government. »
Guy Vassall-Adams est arrivé à la conclusion que le candidat battu a vu plus grand qu’il n’en faut dans l’interprétation donnée à la section 64 de la Representation of the People Act, et a brûlé les étapes pour parler de bribery. « La présente affaire n’est pas couverte par la section 64 de la loi régissant la tenue des élections à Maurice. Il n’y a aucun bribery dans cette affaire, qui ne tombe pas sous cette section », fat-il ressortir avec force.
« L’Alliance Nationale avait des propositions similaires dans son manifeste, ce qui démontre qu’il s’agissait de pratiques électorales normales dans une campagne électorale ordinaire », devait-il reprendre, comme pour bien situer le contexte des pratiques électorales en cours Maurice.
Pour conclure sur ce point fondamental, Me Vassal-Adams défend la thèse que « la Representation of the People Act a comme objectif de s’assurer que les élections soient free and fair. Les candidats sont ainsi libres de faire campagne, et la section 64 de cette loi réprime les improper inducements, mais n’entravent pas cette liberté. » Le code de conduite électoral élaboré par la Commission électorale, auquel un candidat souscrit volontairement, prévoit des unrestricted political activities.
Au chapire des allégations de treating que le conseil légal de Suren Dayal n’a fait qu’effleurer faute de temps, Me Vassal-Adams prend fait et cause en faveur de la Cour suprême, qui avait indiqué en des termes clairs que la Journée mondiale des personnes âgées est célébrée annuellement à une date précise, avec le Premier ministre en tant que Chief Guest. La Cour suprême avait décidé que : “There is no evidence to show that any elector was influenced by the distribution of one takeaway portion of biryani to vote for the respondents […].”
Le conseil légal du Premier ministre avance pour qui il ne saurait être crédible d’accréditer la thèse qu’un plat de biryani ait pu influencer les électeurs, alors que le jour du scrutin avait eu lieu un mois après ou encore que les résultats auraient pu être déterminés par the flavour of a curry, aussi bon soit-il.
Dans la phase finale de ce marathon devant le Privy Council, Me Helen Mountfield, pour le compte du commissaire électoral, Irfan Rahman, et Me Anwar Moollan, KC, au nom de l’Electoral Supervisory Commission, sont intervenus. Me Moollan s’est appesanti sur le fait que « the principle which governs the concept of bribery is the line between a proper political promise and an improper inducement for an individual to vote for a candidate. »