Tirs croisés : Opinions divergentes autour du Best Loser System

Le Mauricien poursuit cette semaine la réflexion sur la réforme électorale qui fera bientôt l’objet de consultations. Cette semaine, dans le cadre de la rubrique Tirs croisés, nous avons donné la parole à Babita Thanoo, Anabelle Savabaddy et Nabil Moolna, qui ont des points de vue nuancés, que ce soit concernant les proportionnelles ou le Best Losers System.

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Nabil Moolna, avocat :
« Les débats sur le BLS auront lieu, y compris au MMM »

Comment avez-vous accueilli l’ouverture des consultations sur la réforme électorale ?
Avec optimisme. Revoir notre Constitution pour consolider la démocratie et intégrer de nouveaux droits est devenu indispensable 57 ans après l’Indépendance. Je salue l’intention de confier l’essentiel du chantier à la future Constitutional Review Commission (CRC), qui pourra consulter, rechercher et délibérer de manière approfondie. Mais lancer déjà une consultation sur la réforme électorale en dehors du cadre de la CRC était la bonne décision. Ce sujet peut avancer plus vite, car un consensus s’est déjà construit au fil des années. Repartir de zéro pour réinventer la roue n’aurait servi à rien. Et on ne peut pas modifier les règles en fin de mandat et prendre les acteurs politiques par surprise.
Selon vous, quels doivent être les objectifs prioritaires de la réforme électorale ?
Le First Past The Post produit des majorités très fortes, comme l’ont montré les trois 60-0 de notre Histoire. Cela donne de la stabilité, mais au prix d’une injustice démocratique : les perdants sont sous-représentés. Un parti peut faire 25% des voix et n’avoir aucun siège ! Ce n’est pas sain.
L’objectif prioritaire est donc de conserver l’avantage des majorités stables tout en améliorant la représentativité, ce qui permettrait aussi de dépasser la catégorisation communautaire. Il existe d’autres objectifs importants – participation féminine, financement politique transparent, probité, Accountability – mais ces aspects relèveront sans doute de la Constitutional Review Commission plutôt que de cette première réforme centrée sur la proportionnelle.
Êtes-vous favorable à l’introduction d’une dose de proportionnelle ?
Oui. C’est le consensus depuis 25 ans : Sachs, Carcassonne, Sithanen, Select Committee Collendavelloo, White Paper, projet Faugoo… tous les travaux convergent vers cette idée. Même le MSM, historiquement réticent, avait proposé une dose de proportionnelle en 2019 ! L’idée serait d’ajouter environ 20 sièges proportionnels au FPTP actuel, pour améliorer la représentativité sans bouleverser la stabilité. C’est aussi la formule sur laquelle le PTr et le MMM se sont entendus. Et c’est important : la réforme électorale n’est pas qu’une question technique, c’est un choix profondément politique. Il est légitime que les élus du peuple, après avoir consulté, tranchent la question.
Pour la participation des femmes et des jeunes, faut-il imposer un tiers de femmes ?
Ce qui changera vraiment les choses, c’est une obligation légale, comme aux municipales, d’avoir au moins un tiers de candidats de chaque genre. La discrimination positive est une entorse à l’égalité, oui, mais face à des structures sociales figées et des attitudes patriarcales persistantes, l’égalité formelle ne fait que reproduire la domination.
Je pense donc qu’il faudrait, pour les législatives, un mécanisme similaire à celui des élections locales. Ce système ne se présente pas comme une faveur faite aux femmes, mais comme une exigence minimale pour chacun des deux genres. Pour les jeunes, je ne crois pas que la situation impose une mesure juridique équivalente, même s’il faut encourager leur participation.
Faut-il abandonner le Best Loser System ?
Le BLS a été utile pour installer une démocratie pacifiée à Maurice, mais la peur qu’il devait apaiser n’a plus lieu d’être. Le BLS fige des identités communautaires, contredit l’égalité citoyenne et repose sur des chiffres obsolètes. À mon avis, la proportionnelle le rendra inutile.
En 2025, tout parti qui veut séduire les Mauriciens devra de lui-même présenter une liste proportionnelle équilibrée. Les minorités traditionnellement « compensées » par le BLS obtiendront donc une représentation suffisante via la proportionnelle.
D’ailleurs, les travaux l’ont démontré : ce n’est pas le BLS qui a assuré l’élection de la majorité des élus musulmans ou de la « population générale » depuis 1968, mais le FPTP, grâce à la distribution équilibrée des tickets par tous les partis ! Le BLS étant toutefois un outil plus symbolique que rationnel, certains souhaitent le maintenir temporairement sous une forme réduite, pour rassurer. On peut comprendre. Un débat aura forcément lieu, y compris au MMM.
Quid de l’enregistrement ethnique des candidats ?
Si le BLS disparaît, l’enregistrement ethnique devient caduc. Cela ne signifie pas un rejet des identités communautaires. On peut être pleinement Mauricien tout en se reconnaissant sino-mauricien, musulman, créole, etc. Mais supprimer le BLS, c’est arrêter de figer et d’imposer ces identités dans la loi. C’est dire qu’elles existent, oui, mais comme d’autres aspects de la vie sociale : classe, origine, opinions… Et faire confiance à la société pour évoluer. Maintenir le BLS obligerait à terme à revoir le recensement ethnique.
Quelles catégories définir ? Comment gérer les identités multiples ? Et quelles tensions sectaires cela créerait-il ? Laissons les identités suivre leur évolution naturelle, et que la République se concentre sur la citoyenneté. En passant, cela ne signifie pas que les politiques publiques doivent être aveugles. Des études qualitatives seraient, par exemple, utiles pour mieux comprendre la réalité propre des créoles et mieux combattre les discriminations.
Faudra-t-il une loi sur le financement politique ?
Oui, absolument. Elle est indispensable pour lutter contre les dérives clientélistes et affairistes. Mais ne mélangeons pas les chantiers. La réforme électorale actuelle est ciblée sur la proportionnelle. La CRC pourra, de son côté, traiter la question du financement avec le débat public qu’elle nécessite.

Anabelle Savabaddy, parlementaire « Abandonner le BLS serait
une calamité pour Maurice »

Comment avez-vous accueilli l’ouverture des consultations sur la réforme électorale ?
Il s’agit tout d’un engagement électoral de l’Alliance du Changement qui se réalise. Sur un sujet aussi important, nous avons estimé nécessaire que chaque Mauricien, peu importe son allégeance politique, puisse s’exprimer. Chaque point de vue est important. Il y aura certainement des points de convergences et des points de discordes. Il faudra présenter une réforme inclusive et acceptable pour tous 57 ans après l’indépendance du pays.

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Selon vous, quels doivent être les objectifs prioritaires de la réforme électorale ?
Faire en sorte que chaque Mauricien trouve sa place dans l’écosystème politique de notre pays. Permettre à n’importe quel fils ou fille du sol d’aspirer à servir son pays sans se soucier s’il ou elle est bien née. La réforme doit garantir l’avenir, et non faire peur à tout un chacun. Elle ne changera pas notre société comme cela. Il faut une île Maurice basée sur la méritocratie, la justice sociale, et en finir avec les passe-droits ou le favoritisme.

Quels éléments du système actuel doivent absolument être revus ?
Le processus électoral doit refléter le vœu de la population. Un pourcentage des votes doit correspondre au nombre de sièges au Parlement. Nous ne voulons pas des systèmes comme en 1991, 2000 ou 2014, où le Parti travailliste a beaucoup souffert en termes de sièges malgré un vote important de ses partisans. Il y a le principe de « the winner takes it all » qui mérite un certain ajustement, tout comme les « wasted vote ». Cependant je ne suis pas favorable à ceux qui seront élus sans avoir fait campagne pendant que d’autres triment dans leurs circonscriptions.

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Êtes-vous favorable à l’introduction d’une dose de proportionnelle ?
Oui, mais à certaines conditions. Il faut d’abord garder un système qui assure la stabilité. Il ne faut que la proportionnelle change les résultats des élections. C’est-à-dire de voir le camp des élus devenir le camp des perdants avec des arrangements électoraux et provoquer l’instabilité. Il faut bien étudier cette question. Si la proportionnelle corrige une certaine injustice, je dis d’accord, mais si la proportionnelle devient problématique, là nous aurons un sérieux problème.

Pensez-vous que c’est la seule façon d’assurer une meilleure participation des femmes et des jeunes à l’Assemblée ? Faudrait-il légiférer pour garantir qu’au moins un tiers des députés soit des femmes ?
Non, je ne le pense pas. Ça peut aider. Par exemple, la loi d’Hervé Aimée a permis une « gender balance » au niveau des collectivités locales. Il faut trouver la bonne formule. Je salue toutes les femmes et les jeunes qui ont le courage de s’engager en politique. C’est d’abord une question de conviction profonde. La vie d’un parlementaire n’est pas un long fleuve tranquille; cela implique beaucoup de sacrifices. Ce n’est pas une réforme qui pourrait changer cela. Vos mandants veulent que vous soyez là pour eux, et c’est ce que j’essaie de faire de mon mieux.

Faut-il abandonner le Best-Loser System (BLS) ou à le remplacer par un autre mécanisme ?
Abandonner le BLS serait une calamité pour Maurice. Ce système a garanti la paix sociale et la stabilité politique dans notre pays. Le BLS est une institution qui a servi toutes les communautés du pays. Quant à l’éventuel « autre mécanisme », rien de ce qui a été proposé dans le passé et jusqu’à l’heure ne peut donner autant de satisfaction que le système existant. Le droit à la protection constitutionnelle de toutes les membres de notre nation est sacré.

Quid de l’enregistrement ethnique des candidats aux élections législatives ?
Mon collègue Shakeel Mohamed a défendu ce point lors de son passage sur une radio privée la semaine dernière. Bien souvent, certaines personnes veulent faire croire que le droit d’appartenir à une communauté est un péché. C’est totalement faux. Nous sommes un peuple venu d’ailleurs, avec nos origines et nos croyances. Nous avons bâti une nation arc-en-ciel. Aux élections, nous déclarons notre appartenance ethnique pour assurer un équilibre dans la représentation au plus haut échelon de la vie politique.
En tant que Mauricienne, j’aurais aimé que tout le monde pense ainsi. Malheureusement, il y a des pyromanes qui profiteront de la situation pour enflammer le pays. L’enregistrement ethnique n’a causé aucun tort à ce jour. Que ceux qui ne souhaitent pas le faire ne le fassent pas; un point, c’est tout ! Mais respectons ceux qui veulent maintenir cette disposition constitutionnelle.

Faudra-t-il une loi sur le financement politique ?
Le financement politique n’est qu’un aspect. Au gouvernement, nous refusons d’acheter la conscience des électeurs, comme le faisait l’ancien régime. Mais il serait plus judicieux de muscler l’Electoral Supervisory Commission pour mettre fin aux abus qui se déroulent lors de la campagne électorale. Je ne souhaite pas avoir une loi sur le financement politique qu’on arrive à contourner facilement. Il y a des modèles étrangers qui sont évoqués par certaines personnes, mais je doute de leur efficacité dans le contexte mauricien.

Babita Thanoo (Rezistans ek Alternativ) :
« Reconnaître l’identité plurielle, indivisible et complexe de chaque Mauricien »

Comment avez-vous accueilli l’ouverture des consultations sur la réforme électorale ?
C’est très positif d’avoir pris la décision de consulter les Mauriciens. On a toujours promu la démocratie participative et il est impératif que chaque Mauricien comprenne les enjeux de la réforme électorale. Les échanges et les discussions ne feront qu’accroître notre démocratie. Cela démontre la bonne gouvernance et c’est une preuve qu’on met en pratique ce qu’on a préconisé. Cela assure aussi que le peuple reste informé et que chaque Mauricien peut participer pleinement dans le “decision-making” afin d’aboutir à des réformes progressives.

Selon vous, quels doivent être les objectifs prioritaires de la réforme électorale ?
Les réformes doivent soutenir une démocratie vivante et permettre au choix du peuple d’être pleinement respecté. On doit pouvoir surmonter les obstacles et les failles du présent système. Les réformes sont cruciales afin de permettre au peuple d’être gouverné par celles et ceux qu’ils ont élus.

Quels éléments du système actuel doivent absolument être revus ? Faut-il abandonner le BLS ?
La déclaration d’appartenance ethnique est à revoir ainsi que le Best Loser System (BLS). Nous devons reconnaître l’identité plurielle, indivisible et complexe de chaque Mauricien. La représentation proportionnelle est une nécessité, car justice doit être faite à chaque parti en termes de pourcentage de vote acquis.

Êtes-vous favorable à l’introduction d’une dose de proportionnelle ?
Nous sommes en faveur d’un système proportionnel sans aucun seuil et qui reflète simplement le vœu de l’électorat. Nous sommes d’avis que le First Past the Post assure une majorité gouvernable mais ne respecte pas le vœu de l’électorat. Mais du moment que nous sortons du statu quo actuel et qu’on bouge vers une partie de proportionnelle, on fait déjà des avancées dans l’espoir qu’on pourra arriver à changer le système dans son ensemble. On reçoit plusieurs propositions, notamment du Deputy Prime Minister. Je pense qu’il faut débattre et analyser davantage divers modèles afin de prendre des décisions informées sur la dose de représentation proportionnelle ainsi que sur les modalités possibles.

Comment garantir une meilleure participation des femmes et des jeunes dans les instances élues ?
Par rapport à la participation des femmes dans les joutes électorales, il est important d’introduire le quota. Une analyse des pays qui ont adopté le quota démontre qu’il y a trois fois beaucoup plus de femmes au Parlement après l’application du quota. Vu l’hégémonie constante et insidieuse du patriarcat, éliminer les préjugés sans le quota prendra des décennies. Dans ce contexte, le quota sera efficace pour changer la donne.
Pour les jeunes, il faudra bien les éduquer afin d’effacer la perception que la politique est synonyme de corruption, de violence et d’accaparement de biens. Nous gagnons à enseigner les idéologies de gauche, féministe et écologique qui nous portent vers des changements radicaux. Il faut comprendre que la politique, c’est être au service d’autrui. Le sentiment de révolte de la Gen Z souligne le rejet du néolibéralisme, de la privatisation et de la société inégale et injuste où les riches vivent aux dépens des pauvres et des travailleurs.
La Gen Z peut bouleverser un gouvernement par un soulèvement massif. Nous avons le devoir de leur donner de l’espoir et de les guider vers des systèmes autres que le capitalisme afin qu’ils puissent concevoir un avenir pour l’humanité.

Pouvez-vous nous parler des actions de Rezistans Ek Alternativ pour abolir l’enregistrement ethnique des candidats aux élections législatives ?
Rezistans Ek Alternativ (ReA) prône la possibilité de se présenter aux élections en tant que Mauricien. Nous remettons en question les catégorisations ethniques dépassées, et surtout le First Past the Post qui ne permet pas à un parti de se retrouver au Parlement malgré une bonne performance dans les élections. Nous célèbrons surtout le mauricianisme en tant qu’identité plurielle, multiple et indivisible. Nous mettons en avant une société solidaire qui se rallie autour des buts communs.
En temps de crise socio-économique, d’appauvrissement accru, de destruction massive de la nature et de perte d’espoir, il faut que nous nois rassemblons en tant qu’êtres humains tout simplement. Le Wakashio a montré que nous pouvons se mobiliser en tant que peuple afin de se battre pour l’écologie, l’humanité et sa survie au-delà des catégorisations ethniques. Nus croyons surtout dans nos jeunes qui se retrouvent dans une vision solidaire et unie des Mauriciens.

Quid du financement des partis politiques ?
ReA a toujours été pour un système où l’argent ne peut être un facteur déterminant des élections. C’est pour cela que nous nous opposons au financement des partis politiques par les compagnies privées qui ne sont pas des entités démocratiques motivées par l’intérêt public. Nous sommes en faveur d’une participation plus accrue du secteur public pour soutenir les campagnes à travers les ressources de l’État comme pour imprimer les manifestes, l’accès à la radio et télé nationale, la mise à disposition d’infrastructures publiques pour les réunions publiques, etc.
Nous avons toujours soutenu la transparence par rapport aux financements des partis politiques. Nous avons d’ailleurs fait appel que les pratiques de financement soient dévoilées publiquement et que le public mauricien comprenne à fond les mécanismes de financement. Le public a un droit de regard et doit avoir une compréhension totale afin d’agir en tant que gardien de la démocratie. Les audits publics sont nécessaires.

Transparency Mauritius
 » Des institutions solides capables de désarmer la corruption et de rendre notre démocratie plus forte »

À l’occasion de la Journée internationale de la lutte contre la corruption, Transparency Mauritius invite la population à s’engager activement dans la promotion de l’intégrité et de la transparence. Cette année, notre thème « Pa vann ou valer, pou enn faver » s’inscrit dans le cadre du thème international centré sur les jeunes, soulignant l’importance de leur rôle dans le combat contre la corruption.
Notre semaine de l’anti-corruption 2025 débute aujourd’hui avec une série d’initiatives innovantes : nos équipes mèneront des actions de sensibilisation et d’advocacy dans des espaces publics, tandis que des jeunes artistes contribuent à la lutte par la création d’une fresque collective à l’université de Maurice, symbolisant leur engagement et leur vision d’une société intègre. Ces activités visent à éveiller les consciences et à montrer que chacun peut être acteur du changement.
La corruption à Maurice a évolué et se transforme pour s’adapter aux nouvelles réalités : elle touche désormais tous les secteurs et se manifeste à travers des pratiques sophistiquées et des réseaux transnationaux. Face à ces défis, Transparency Mauritius souligne l’urgence de combler les lacunes du cadre légal national en matière de lutte contre la corruption. Il est essentiel de renforcer la protection des lanceurs d’alerte, d’adopter des lois sur l’accès à l’information, de mieux encadrer le financement des partis politiques et de consolider la démocratie. En ces temps où l’on parle de réformes électorales et constitutionnelles, il est crucial de mettre en place un système basé sur le mérite, avec des institutions solides capables de désarmer la corruption et de rendre notre démocratie plus forte. Ces mesures sont indispensables pour que l’intégrité devienne une norme respectée et défendue dans toutes les sphères de la société.
Nous appelons tous les jeunes et les citoyens à participer à ce combat collectif : refuser les pratiques corruptives, défendre leurs valeurs et s’impliquer activement dans la construction d’une société transparente et responsable: Pa vann ou valer, pou enn faver !

 

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