Un an de gouvernement de l’Alliance du Changement : Entre espoir, inertie et désillusion

Douze mois après son retour au pouvoir, Navin Ramgoolam peut se targuer d’avoir rétabli la liberté politique et le débat démocratique, mais les promesses de renouveau économique, de gouvernance exemplaire et de justice sociale s’essoufflent déjà dans la lourdeur d’un appareil d’État inchangé. Entre réformes symboliques et lenteurs structurelles, le gouvernement peine à passer de la parole à l’acte.

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LES RÉUSSITES : UNE RESPIRATION POLITIQUE ET UN REDRESSEMENT SYMBOLIQUE

  1. Libertés et institutions : l’air frais du changement

Le symbole est fort. Dès les premiers mois, la présidence de l’Assemblée Nationale sous Shirin-Aumeeruddy Cziffra a marqué un tournant : débats ouverts, opposition respectée, droit de parole restauré. Les questions parlementaires ont retrouvé leur rythme, et les séances sont redevenues un espace de confrontation démocratique.
Le Premier ministre, Navin Ramgoolam, présent et réactif, répond désormais directement aux interpellations du leader de l’opposition, Joe Lesjongard et de son voisin Adrien Duval — un geste inédit depuis des années. La population, unanime sur ce point salue ce retour à la normalité institutionnelle après une décennie de verrouillage politique.

Le nouvel Attorney General, Gavin Glover, fait feu de tout bois, même s’il est peu à l’aise en terme politique. Il a réintroduit le projet de réforme de la magistrature, gelé depuis 2018. Il a également amendé plusieurs lois existantes pour en améliorer l’efficacité. Il participe et consulte aussi activement dans les négociations avec les britanniques dans l’affaire Chagos.

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Sous la direction d’Alain Gordon-Gentil, nommé en février 2025, la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC) a entrepris un virage salutaire aussi bien à la télé que sur la radio. La ligne éditoriale, moins partisane, réintroduit le pluralisme : les voix de l’opposition, des ONG, des syndicats et de la société civile sont à nouveau présentes à l’antenne. Les émissions de débat comme En toute franchise ont rouvert la porte à la contradiction et à la nuance, pendant que la couverture intégrale des séances parlementaires a été rétablie. Certes, tout n’est pas parfait : la modernisation numérique patine et les contenus régionaux manquent encore de diversité. Mais la confiance du public se reconstruit, lentement mais sûrement.

Jusqu’à l’affaire du journaliste Jasoodanand, qui a été l’objet d’une interpellation musclée, aucune censure médiatique ni arrestation  arbitraire dans le service public n’a été enregistrée en 2025 — un contraste net avec la précédente législature. Quand à la FCC qui avait connu un départ canon après se mise en route, elle a malheureusement connu des ratées ces derniers temps (voir plus loin où il a rejoint la rubrique des couacs).

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  1. Une diplomatie redevenue visible et équilibrée

Le retour de Navin Ramgoolam a repositionné Maurice dans le concert des nations

  • Sur le dossier Chagos/Diego Garcia, l’accord entamé par le gouvernement de Pravind Jugnauth, qui avait saisi les Nations Unies, et la Cour de Justice internationale pour faire progresser le dossier, a finalement été agrée sous l’impulsion de Navin Ramgoolam, Paul Bérenger et de l’Attorney Gavin Glover mais la souveraineté mauricienne sur l’archipel, acquise sur le principe, n’a pas encore entériné par Les lords  et vient de subir les protestations des Chagossiens d’Angleterre qui a bloqué le processus pour quelque temps encore ..Mais ce n’est que partie remise.
  • Les relations avec l’Inde, la France et l’Union africaine se sont renforcées, avec des accords de coopération dans le numérique, le tourisme durable et la défense maritime.
  • Maurice a également été élue au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU (181 voix sur 192), symbole du retour d’une diplomatie plus élargie et respectée.
  1. Transparence et rupture économique

L’audit public annoncé en décembre 2024 a constitué un acte fondateur. Il a révélé une situation économique « bien pire que prévu » :

  • Dette publique : 83,4 % du PIB fin juin 2024
  • Déficit budgétaire : 5,7 % du PIB
  • Croissance révisée : 2,9 % seulement en 2024

Le gouvernement a rompu avec la logique du « tout-subvention » et présenté un budget de transition, plus sobre, recentré sur les ménages modestes et les réformes structurelles.
Les aides ciblées pour les produits de base (pain, riz, huile, gaz) ont limité l’inflation, ramenée à 3,7 % contre 9 % en 2023 .

Mais l’annonce du gouvernement   qu’il relèverait l’âge d’éligibilité à la pension universelle (Basic Retirement Pension – BRP) de 60 à 65 ans sans discussion préalable a entamé les premières bobbes cations du GM

  1. Restauration du climat social et du dialogue

Les grandes centrales syndicales — jadis marginalisées — ont retrouvé un accès régulier à l’Hôtel du Gouvernement. Sous la houlette du ministère du Travail, la création d’un Conseil tripartite permanent (syndicats-patronat-État) a permis d’éviter les tensions sociales début 2025. Les négociations salariales dans le public ont été pacifiées, et la confiance semble rétablie entre les partenaires sociaux.

  1. Image internationale et gouvernance morale

La mise à distance de la police politique, le refus des arrestations médiatisées et l’arrêt des représailles contre les journalistes ont été salués par Reporters sans Frontières. Les institutions de contrôle (Audit Office, Public Service Commission, Independent Police Complaints Commission) fonctionnent de nouveau de façon régulière, même si leur efficacité reste relative. Sur la scène internationale, Maurice a regagné un crédit diplomatique et moral après des années d’image ternie.

LES STATU QUO : DES RÉFORMES PROMISES MAIS INACHEVÉES

  1. L’économie sous perfusion

Malgré l’audit et la transparence nouvelle, les fondamentaux économiques restent fragiles.

  • Les entreprises publiques (CEB, STC, Air Mauritius, AHL) continuent d’accumuler des déficits.
  • Le plan de relance pour les PME annoncé par le PM et ministre des Finances, n’a pas encore porté ses fruits : seulement 14 % des fonds mobilisés ont été effectivement distribués aux petites entreprises.
  • L’investissement privé reste timide, malgré les annonces de réforme du “Ease of Doing Business”.

L’économie mauricienne demeure largement dépendante du tourisme et de l’immobilier de luxe. Les recettes d’exportation stagnent, la roupie reste faible, et les jeunes diplômés continuent à émigrer.

  1. Éducation et jeunesse : les ambitions suspendues

Le ministère de l’Éducation a mis fin à l’“Extended Programme” contesté, mais peine à redéfinir un modèle cohérent.

  • Le Foundation Programme universitaire reste en phase pilote, avec 1 800 étudiants inscrits seulement sur 8 000 prévus.
  • Les enseignants dénoncent un manque de formation numérique et d’équipements.
  • Les inégalités scolaires persistent : plus de 40 % des élèves quittent le secondaire sans diplôme

Les jeunes, désabusés, expriment leur frustration sur les réseaux sociaux.

  1. Santé publique : modernisation lente

Le “Health Modernisation Plan” lancé en mars 2025 prévoit la rénovation de cinq hôpitaux et la digitalisation du suivi patient.
Mais à ce jour :

  • Seul l’hôpital Jeetoo a vu ses travaux démarrer ;
  • Les équipements manquent toujours dans les hôpitaux régionaux ;

Le secteur privé capte désormais 60 % des consultations médicales, signe d’une perte de confiance dans le service public.

  1. Transition énergétique : l’écart entre ambition et réalité

Le gouvernement a fixé un objectif de 60 % d’énergies renouvelables d’ici 2030.Mais la CEB reste engluée dans des contrats d’achat d’énergie au coût élevé et une dépendance au charbon.Les projets solaires communautaires progressent lentement, les appels d’offres éoliens traînent, et les engagements climatiques de la COP30 restent à l’état de discours.
Jusqu’ici en  terme de transition énergétique : les promesses s’empilent, et les projets piétinent. Il y a quelques jours le ministre a annoncé que 277,5 mégawatts de capacités renouvelables seraientt implémenté au réseau dans les années à venir à travers, le solaire, l’éolien et biomasse. Il ya donc un peu d’espoir d’une sortie de la menace de black out permanent.

  1. Environnement, urbanisme et logement

Le plan “Toit pour Tous” devait livrer 12 000 unités en 2025 : à ce jour, 1 750 maisons seulement ont été remises. La multiplication des Smart Cities continue sans plan d’ensemble, aggravant les déséquilibres régionaux. Les ONG dénoncent l’urbanisation anarchique et l’abandon des zones rurales. Sure le plan environnement le projet de l’île aux béntiers donnent aussi un espoir de changement durable et un exemple de protection de l’environnement trnsformé en espace public

  • Fonction publique et gouvernance : les vieilles habitudes

Le gouvernement promettait une administration moderne et réactive. Un an plus tard, les citoyens continuent à affronter lenteurs, paperasse et favoritisme. Les nominations à la tête des para-étatiques ont souvent reproduit les logiques partisanes dénoncées autrefois.

LES ÉCHECS : FCC, AIR MAURITIUS, BoM EN TETE du HIT PARADE

  1. La FCC et la justice financière : institutionnalisation du soupçon depuis l’affaire Ravatomanga

Le lancement de la Financial Crimes Commission devait symboliser la tolérance zéro contre la corruption. Mais dès avril 2025, les médias rapportaient des retards de nomination, des affaires classées sans suite et une crise de confiance dans l’indépendance de ses membres. Les scandales autour de la Silver Bank, des fonds MIC, et des prêts d’AHL sont toujours sans dénouement. Les promesses d’“accountability” restent lettre morte et la récente affaire Mamy Ravatomanga et d’éventuels trafic d’influence a fini par faire chanceler la crédibilité de cette institution. En outre les traitements à plusieurs vitesses à la tête du client sont vus d’un mauavis oeil par l’opinion publique. La FCC s’est récemment illustré pour avoir accepté que Kobita Jugnauth ne puisse déposer pour avoir oublié ses  lunettes mais que plusieurs semaine plus tard , elle n’ait toujours pas été rappelée  pour son interrogatoire ou son témoignage. De même les photographes et les journalistes ont été floués lors de  l’interrogatoire de l’épouse de Mamy  Ravatomanga qui a eu un traitement VIP puisqu’elle a pu venir et partir sans qu’elle puisse être photographiée, alors que d’autres sont jetées en pâture…

  1. Air Mauritius et le secteur parapublic : le chaos continue

La compagnie nationale, en crise chronique, incarne l’échec  patent du gouvernement actuel dans ses nominations comme ce fut le cas sous l’ancien régime qui avait gangréné l’institutions. Le départ volontaire mais contraint de Kishore Beegoo cette fois  incarne avec force le modèle de gestions de la vielle garde rouge des institutions publiques et para publiques, c’est à dire abus de pouvoir,  egos surdimensionnés, politique de petits copains et plu.s.. en est la preuve vivante. Tout cela a entaché le premier exercice gouvernemental au sein de cette institution phare du pays . Le retour de Megh Pillay comme président et d’André Viljoen comme CEO, laisse un peu d’espoir pour une relance mais le fait que les renvoyés soient toujours in est gravissime.
Quant au  secteur parapublic, malgré les audits, il reste une “zone grise” où se mêlent influences politiques et intérêts privés et qu’au fond entre l’ancien et le nouveau les changements sont peu palpables si ce n’est que des amis ou agents politiques ont été récompensés.

  • Banque de Maurice : une crédibilité ébranlée par «l’affaire Sithanen »

La nomination de  Rama Sithanen à la tête de la Banque de Maurice en novembre 2024, d’abord saluée comme un symbole de rigueur et de stabilité, a rapidement viré à la controverse. Son mandat a été marqué par des tensions internes, culminant avec la démission du Deputy Governor Gérard Sanspeur, qui l’a publiquement accusé de favoritisme et d’ingérences familiales.

Selon plusieurs sources au sein de la BoM, le fils du gouverneur aurait exercé une influence dans certaines décisions sensibles : délivrance de licences bancaires, recrutements à la banque centrale et gestion de la Mauritius Investment Corporation (MIC) — filiale chargée de milliards de roupies d’aides publiques post-Covid. Ces soupçons ont relancé le débat sur l’indépendance de l’institution et sur la transparence de la MIC, déjà critiquée pour son opacité et ses prêts accordés à des entreprises proches de l’ancien régime.

Face à la crise, Navin Ramgoolam aurait demandé la démission de Sithanen, estimant qu’elle s’imposait pour préserver la crédibilité monétaire. Mai sil a pris trop de temps pour le faire.
Depuis, la Banque de Maurice vit un tournant historique : pour la première fois, une femme, Priscilla Muthoora-Thakoor, en assure la direction — symbole d’un renouveau attendu dans la gouvernance économique du pays.

  1. L’économie réelle et le pouvoir d’achat

Le gouvernement n’a pas réussi à enrayer la hausse du coût de la vie. Les produits de base (huile, farine, lait) ont bondi de 15 à 40 % en un an, selon le CPI 2025 de Statistics Mauritius.
Les familles modestes ressentent peu l’effet des mesures annoncées. Les syndicats réclament déjà une nouvelle compensation salariale pour janvier 2026. La récente baisse du prix de l’essence ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau si d’autres actions ne sont pas prises rapidement.

  1. Communication et crédibilité politique

Si Navin Ramgoolam a retrouvé son autorité, la communication gouvernementale peine à convaincre. Des messages contradictoires entre ministères, des retards dans les publications officielles et des silences prolongés sur des dossiers sensibles (Air Mauritius, FCC, pension, réforme de la PSC) entretiennent la confusion. L’opinion publique, initialement conquise, se montre plus sceptique : selon un sondage de 62 % des Mauriciens estiment que “le changement promis n’est pas encore visible”.

  1. L’immobilisme technocratique

Les promesses de réforme structurelle — modernisation de la fonction publique, simplification des procédures, digitalisation — se sont heurtées à une bureaucratie qui résiste.
Les nouveaux ministres manquent parfois de coordination. Résultat : les décisions s’enlisent, les délais explosent, et l’État reste lourd.

Bilan général : un souffle politique, un moteur économique grippé

En un an, Navin Ramgoolam a indéniablement rétabli la démocratie et l’État de droit. Mais il n’a pas encore redonné confiance dans la capacité de l’État à transformer la vie des gens. Son gouvernement reste un équilibre fragile : entre la lucidité du diagnostic et l’impuissance de l’action, entre la parole forte et l’exécution lente. Et maintenant les bizz bizz au sommet du gouvernement, les choses auront du mal à rebondir.

S’il veut conserver l’élan de 2024, Navin Ramgoolam devra entrer dans le temps du concret :

  • livrer les réformes promises et relancer le pouvoir d’achat des mauriciens, surtout ceux au bas de l’echelle
  • assainir réellement le secteur public,
  • faire de la justice, de l’environnement , l’éducation et  la jeunesse les symboles d’un renouveau durable.

Autrement, 2026 pourrait devenir l’année où l’Alliance du Changement aura changé moins que prévu, d’autant que sans accélération des réformes, il pourrait enregistrer le départ de Paul Bérenger et de quelques acolytes. Au MMM, ils ne sont pas rares à vouloir rester coûte que coûte au sein du gouvernement si le leader du MMM se décidait à quitter son poste de VPM. L’accalmie de sa colère ne devrait pas durer longtemps si les choses ne bougent pas rapidement… Et ce mot ne semble pas être un qualificatif des rouges et de leur leader de Navin Ramgoolam.

Au vu de ce bilan contrasté sur le plan de l’action et surtout du moteur économique encore grippé, et des divergences au plus haut niveau, il apparait que les jours de l’Alliance du Changement sont comptés, à moins qu’il y ait un sursaut de la gouvernance du pays…On reverra bien dans un an!

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