Pourquoi Wall Street sourit-elle alors que l’économie s’effondre?

La pandémie a assommé l’économie américaine, détruisant brutalement plus de 20 millions d’emplois et terrassant les bénéfices des entreprises. Pourtant, après un coup de mou en mars, la Bourse de New York a retrouvé une forme insolente.

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Son indice vedette, le Dow Jones Industrial Average, a déjà repris plus de 30% depuis son niveau le plus bas le 23 mars, au moment où la panique gagnait les hôpitaux face à l’afflux de cas graves de Covid-19 et où les Etats américains imposaient dans la pagaille des restrictions drastiques paralysant l’activité d’entreprises de toutes tailles.

Les chiffres sur l’emploi ces prochains mois ou les résultats des entreprises au deuxième trimestre « vont encore empirer », mais « Wall Street a les yeux fixés sur l’horizon », constate Sam Stovall, responsable de la stratégie des investissements chez CFRA.

A cet égard, les investisseurs sont encouragés par la reprise progressive de l’activité économique, aussi bien en Asie, en Europe que dans certains Etats américains.

Même avec une capacité réduite, la réouverture du parc Disneyland de Shanghai lundi a particulièrement marqué les esprits.

Par ailleurs, les courtiers de Wall Street « pensent que les chiffres pires qu’attendu sur l’économie vont générer encore plus d’aides de la part de la Fed », la banque centrale américaine, qui a déjà injecté des milliers de milliards de dollars pour s’assurer que les marchés fonctionnent normalement, note M. Stovall. Le gouvernement américain a aussi déboursé des sommes astronomiques pour tenter d’atténuer le choc économique.

Surtout, remarque le spécialiste, les investisseurs s’attendent à un rebond dynamique des profits des entreprises dès 2021.

Et puis où placer son argent quand la Fed a fait descendre ses taux d’intérêt autour de 0%? Acheter de la dette américaine sur les marchés ne rapporte plus grand-chose en ce moment.

– Décalage –

Les entreprises cotées en Bourse sont par ailleurs loin de représenter fidèlement l’économie réelle.

Elles sont en moyenne plus grosses, plus vieilles et plus internationales que les sociétés privées. Elles sont sans doute plus à même de traverser la tempête sans trop de dégâts que la multitude de restaurants, commerces et petites entreprises ayant dû fermer leurs portes pendant plusieurs semaines.

Quelques stars de la technologie, qui profitent particulièrement du télétravail et du temps libre des confinés, ont par ailleurs pris une place énorme au sein des indices: Microsoft, Apple, Amazon, Alphabet et Facebook comptent désormais pour environ 20% du S&P 500, l’indice qui représente les 500 plus grandes entreprises de Wall Street.

« Les investisseurs réallouent leur argent en faveur de ces entreprises » car ils privilégient les meilleures marges et, « de facto leur poids est renforcé », remarque Guilhem Savry, responsable de la recherche macroéconomique chez Unigestion.

Autre décalage, selon ce spécialiste, « les services sont peu représentés dans les marchés financiers » alors même que « ce périmètre est très important en termes d’emplois ».

De façon plus générale, même si cela peut paraître « contre-intuitif », « la croissance économique à long terme n’est pas corrélée aux retours sur les investissements sur le marché des actions », indique Jay Ritter, qui étudie le lien entre ces deux variables depuis de nombreuses années.

L’économie chinoise par exemple a vu son revenu par habitant croître de 9% par an entre 1993 et 2018 mais le retour total sur les actions cotées en Bourse reculer de 1,9% par an.

A l’inverse, la Bourse sud-africaine attire depuis de décennies les investisseurs grâce au versement de dividendes élevés alors même que la croissance par habitant du pays n’est pas mirobolante.

« Sur le long terme, ce qui compte ce sont les dividendes et la croissance des bénéfices par action », affirme M. Ritter.

A court terme, les réactions du marché peuvent aussi parfois sembler étonnantes.

La publication d’un bon rapport sur l’emploi par exemple peut faire trébucher les indices de Wall Street car si le chômage diminue, les salaires, et donc l’inflation, peuvent augmenter.

Cela, raisonnent les courtiers, peut inciter la banque centrale à relever les taux d’intérêt et rendre les emprunts plus élevés pour les entreprises cotées et les investisseurs.

Enfin, ce n’est pas parce que la Bourse monte que tous les Américains s’enrichissent allègrement: selon une étude de la Fed, un peu plus de la moitié d’entre eux possèdent des actions, et ces dernières sont surtout concentrées aux mains des 10% les plus riches.

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