Projet d’aquaculture : La recrudescence des requins inquiète

Le débat de l’attirance des requins pour les fermes aquacoles et leur dangérosité pour l’homme relancé

Eric Clua, expert en écologie du comportement des requins au sein des écosystèmes tropicaux : « L’aquaculture est incompatible à une logique de promotion de tourisme lagunaire »

La capture d’un requin dans le lagon de Grand-Gaube pas plus tard que dimanche dernier, prenant ainsi à contre-pied le ministre du Tourisme Anil Gayan qui avait affirmé qu’il n’y avait pas de requins lors de sa visite du site il y a deux semaines, relance le débat de l’attirance des requins pour les fermes aquacoles et le danger éventuel qu’elles représentent pour l’homme. Un sujet sur lequel aucun professionnel ne tranche, seule une étude indépendante et approfondie des eaux mauriciennes va montrer si l’important pilier économique qu’est le Tourisme pour Maurice est menacé ou pas. Dimanche dernier, un autre requin-tigre d’environ deux mètres a été ramené à terre par un pêcheur de la localité de Grand-Gaube. Et depuis, les témoignages fusent. Photos de leurs prises à l’appui, plusieurs pêcheurs racontent leur rencontre avec le roi de la mer, affirmant que depuis quelque temps, les requins rodent dans ces eaux. Certes, disent-ils, il y a toujours eu des squales dans le lagon de Grand-Gaube. Cependant, depuis l’installation de la ferme aquacole dans le Nord, ils notent une recrudescence. Certains avancent même que pour le mois de décembre — même si cette activité est interdite — plusieurs requins ont été capturés à Grand-Gaube. L’un des habitants de Grand-Gaude avance fièrement avoir pêché, durant le mois de décembre, un requin de 375 kilos.
Auparavant, expliquent les pêcheurs, les requins étaient aperçus, principalement au niveau de la passe, vis-à-vis de ce qu’ils appellent Barrière. Mais aujourd’hui ces poissons sélaciens sont vus, et même capturés, en face de l’hôtel Paul et Virginie, à l’endroit que les pêcheurs surnomment « Entre debanc, Banc Long et Sec cordonnier ».
Cette recrudescence des squales, si elle attire, inquiète aussi les pêcheurs et les habitants de Grand-Gaube. « Il n’y a jamais eu d’attaques jusqu’aujourd’hui. Les requins, si on les laisse tranquilles, ils ne vont rien nous faire. Zot program, ce rod manger. Zot vinn manz poisson dans la caz. Mais nou pa conner ki kapav arriver. Sa même nou pe demander, parski sa région la, tou dimoun gagne lot lavie are lamer, are plonger, are la pêche », dit l’un d’entre eux.
Le lagon de Grand-Gaube est en effet un endroit très fréquenté. Outre pour la pêche, ce lagon attire les touristes qui y font de la plongée. Qui plus est, pour se rendre sur l’île Plate ou le Coin-de-Mire, il faut passer par Grand-Gaube. « On entend beaucoup de choses et on voudrait comprendre, car cette mer c’est notre gagne-pain. Le ministre est venu et n’a pas vu de requins. Dir li rest la are nou ene semaine, nou amene li lapes requin », disent-ils et réclament une étude concrète et sérieuse des eaux mauriciennes, dont Grand-Gaube, pour étudier l’impact de l’aquaculture sur le lagon et sur le tourisme mauricien.
Pour Eric Clua, expert en écologie du comportement des requins au sein des écosystèmes tropicaux, « le gros problème que pourraient poser des projets de fermes aquacoles, c’est la pollution et la dégradation du lagon ». Sollicité par Week-End, ce spécialiste en écologie marine, en économie de l’environnement et en éco-anthropologie fait ressortir que les activités piscicoles affectent l’environnement, notamment la qualité de l’eau, de différentes façons. « Dès lors qu’il y a des cages de poissons enfermées dans le lagon, il y a un risque d’eutrophisation. C’est-à-dire que l’eau va être chargée en matière organique provenant des aliments non ingérés par les poissons. De même, avec la quantité d’excréments des poissons entreposés, toute cette matière dégradée par les bactéries qui utilisent l’oxygène provoquera une asphyxie. Et si elle pas renouvelée, la qualité de l’eau va se dégrader », explique-t-il. D’où son avis qu’il est primordial qu’il y ait une étude sérieuse sur la circulation de l’eau avant d’enclencher un projet d’aquaculture.
En ce qui concerne les risques de requins, Eric Clua est d’un avis mitigé. Avançant d’emblée que jusqu’ici, il n’y a aucune étude qui a prouvé que les fermes aquacoles étaient responsables des attaques des requins sur l’homme, il explique que les risques existent et existeront toujours, mais restent minimes.
« Avec l’installation d’une ferme aquacole dans le lagon, cela provoquera des agrégations de poissons dans le lagon. Cette source de nourriture naturelle attirera forcément d’autres poissons, dont des requins. Mais le requin est un animal intelligent. S’il se rend dans un endroit, c’est pour manger du poisson. C’est la nourriture qu’il recherche », souligne l’expert.
Il cite en exemple des activités de Sharks Feeding en Polynésie ou aux Fiji qui existent depuis plusieurs décennies. « Ce sont les plongeurs qui donnent à manger et jusqu’aujourd’hui, il n’y a pas eu une seule attaque. Il faut comprendre que si vous présentez à un requin une nourriture habituelle pour lui, qui est le poisson, il la préférera systématiquement à une morsure sur l’homme qui n’est pas une proie habituelle pour lui. C’est pour cela que mettre des ‘drumlines’ (lignes amarrées à des bidons en surface) appâtés avec du poisson à proximité des plages n’augmente pas a priori le risque d’attaques sur l’homme, contrairement aux idées reçues », plaide-t-il, estimant que les attaques des requins sur l’homme s’expliquent pour d’autres raisons.
S’il dit que les requins Bouledogue, Tigre et Blanc — plus rare — sont les trois espèces de requins qui représente 80 % des attaques sur l’homme, Eric Clua soutient qu’« il y a des circonstances qui mènent à ces attaques. Un requin n’attaque pas comme cela ». Selon lui, « il existera toujours des risques d’attaques de requin, mais il n’y a aujourd’hui aucune raison de penser que cela va être le cas. Car la probabilité d’une attaque de requin sur l’homme est très faible ».
Il est important, ajoute-t-il de conduire une étude pour évaluer les risques. Cependan si l’étude viendra sans doute prouver que le risque de requins est marginal, elle doit être faite pour évaluer les conséquences d’une ferme aquacole qui modifiera le fonctionnement du lagon dans le mauvais sens, notamment en ce qui concerne la qualité de l’eau du lagon qui encourra des problèmes de turbidité.
Faisant ressortir que l’aquaculture altère la qualité de l’eau et l’environnement, provoque des phénomènes graves d’eutrophisation et de dégradation de l’écosystème marin, le spécialiste estime que « l’aquaculture est incompatible à une logique de promotion de tourisme lagunaire ». Ce serait différent si les cages étaient placées en dehors du lagon, dit-il. C’est pourquoi il recommande une étude approfondie des projets avant leur mise en place, cela, en considérant la priorité de Maurice de se présenter comme une destination touristique. « La question à se poser est ceci : est-ce que ce projet est soutenable et surtout acceptable si Maurice se positionne comme une destination touristique lagunaire ? » dit Eric Clua.
Le Pr Bernard Vallat abonde dans le même sens. Cet ancien directeur général de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE-OMSA) et inspecteur général de santé publique vétérinaire, a été conseiller à la fin des années 1980 auprès du ministre de l’Agriculture d’alors, Madan Dulloo. Il souligne d’emblée que « cela n’est pas nouveau, on sait depuis toujours qu’il existe des requins à Maurice », il fait ressortir qu’il faut néanmoins agir avec prudence lorsqu’il s’agit de projet de fermes aquacoles, qui sont d’envergure. « Il est avant tout nécessaire de s’assurer que le site soit propice à ce type d’élevage », dit-il et souligne que si les projets d’aquaculture ne sont pas faits selon les critères précis de précautions — notamment en ce qui concerne les cages des poissons qui doivent être solides — les fermes aquacoles peuvent attirer des requins. Outre la solidité des cages, il recommande, avant l’implantation d’un quelconque projet du genre, d’étudier son impact sur l’environnement marin. « Il faut savoir si ce projet n’est pas polluant pour le lagon, car les fermes aquacoles dégradent la qualité de l’eau. Et pour un pays à vocation touristique comme Maurice, il faut savoir que vous faites dans vos lagons », dit le Pr Vallat.
Le spécialiste d’océanographie physique et environnementale Sharveen Persand, fait, pour sa part, ressortir qu’« il ne faut pas attendre un accident pour prendre des précautions ». « Certes, jusqu’ici, il n’y a pas eu d’attaque connue de requins à Maurice, mais on ne peut pas nier qu’il n’y a pas de requins. Et le constat est qu’autour des fermes aquacoles, il y a de plus en plus de requins », dit-il. « Les requins sont attirés par la frénésie qu’il y a lorsque les poissons sont nourris. Ce ne sont pas des requins qui sont là tous les jours, mais lorsqu’il y a une certaine agitation dans les cages, surtout au moment de nourrir les poissons, on peut voir des requins. » C’est pourquoi il faut une étude en amont qui détermine les risques réels et l’impact, dit Sharveen Persand.
Lorsqu’on parle du Tourisme, qui est l’un des plus importants piliers de notre économie, nous n’avons pas droit à l’erreur. Si la probabilité d’une attaque de requins est mince, la probabilité existe, et si cela arrivait malheureusement, Maurice endoserra la responsabilité, dit-il.

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