Rajen Narsingen, président de l’UMASU: « Le conseil d’administration de l’UoM viole sa propre loi ! »  

Notre invité de ce dimanche est le professeur Rajen Narsingen, le responsable du « Law Department » de l’université de Maurice. Il s’exprime ici en tant que président de l’UMASU. Ce syndicat a décidé de contester légalement la renomination par le conseil d’administration du trio qui dirige l’université de Maurice. Rajen Narsingen explique les raisons de cette décision.

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 La University of Mauritius Academic Staff Union (UMASU), le syndicat que vous présidez, est en train de se lancer dans une grande première : contester en cour la nomination par le conseil d’administration de l’université de Maurice du renouvellement du contrat du Vice-Chancelier et des deux Pro Vice-Chanceliers, autrement dit de la direction de l’université. Qu’est-ce qui justifie cette action ?

–Le mandat de la direction de l’université, nommé par le conseil, est d’une durée de trois ans. L’équipe en place a été nommée pour un mandat qui devait s’achever en mars de l’année dernière. En mars 2020, le Pro Vice-chancelier, donc le président du conseil, a utilisé ses pouvoirs d’urgence en prétextant la situation sanitaire provoquée par la covid pour renouveler le contrat du Vice-Chancelier et de ses deux adjoints pour une année. Le syndicat a protesté, mais en tenant compte de la pandémie et en guise de solidarité avec l’institution, nous ne sommes pas allés en cour. Nous espérions qu’à la fin de cette période exceptionnelle qu’a été l’année 2020, la situation allait revenir à la normale et que le conseil procéderait à l’exercice de nomination de la direction de l’université en respectant les procédures de sa propre loi, en lançant des invitations sur le plan interne, local et international pour ces trois postes, aussi interviewer les candidats pour en sélectionner les meilleurs. Or, à notre surprise, le conseil a allégrement violé ses propres règlements. Il y a quelques semaines, il a nommé un comité pour étudier les modalités du recrutement de la nouvelle équipe de direction qui devrait remplacer celle dont le mandat a été étendu jusqu’en mars 2021, et ce comité devait faire un rapport au conseil. Première infraction : contrairement aux règlements qui stipulent que cette commission doit être composée de 11 membres, elle n’était composée que de cinq personnes. Deuxième infraction : le 18 janvier à 8 heures du soir (20h), notre représentant qui siège sur le conseil a reçu l’invitation à une réunion pour le lendemain à quatre heures de l’après-midi (16h) sans aucune information sur l’agenda de la réunion. Alors que d’après le règlement de l’université – et, je pense, de toute entreprise publique ou privée –, toute réunion du conseil doit être organisée/annoncée avec un préavis d’une semaine. Cette manière de faire du conseil équivaut, à mon avis, à un “coulourable device”, pour reprendre un terme de feu le juge Rajsoomer Lallah pour qualifier le fait que le gouvernement avait convoqué une réunion du Parlement à la dernière minute afin que le leader de l’opposition de l’époque soit incapable d’y assister!

Que s’est-il passé à la réunion du conseil de l’université de Maurice le 19 janvier ?

–Un seul item figurait à l’ordre du jour de cette réunion : le renouvellement du mandat du trio dirigeant l’université de Maurice. Ce comité illégal, à notre point de vue, a donc produit un rapport qui recommande le renouvellement du contrat du VC et des deux Pro VC pour une autre période d’une année. Malgré les protestations des représentants des syndicats et celui des étudiants, le conseil a adopté le rapport et renommé l’équipe en place pour une période d’une année.

Est-ce que le conseil n’a pas le pouvoir de nommer les personnes que lui recommande son comité ?

–Je souligne une nouvelle fois que ce comité n’était pas conforme aux règlements de la University of Mauritius Act qui gouverne l’université. Il ne s’agit pas d’une nouvelle nomination, mais d’une extension du mandat de la direction. Les règlements de l’université précisent très clairement que le contrat de la direction de l’université peut être étendu pour une période de trois ans « on evidence of excellence performance. »

De votre point de vue, ce n’est pas le cas pour le trio à la direction de l’université de Maurice ?

-Je ne vais pas faire de la démagogie en disant que ce trio a tout fait mal. Ils ont fait assez bien, ce qui n’est pas suffisant, selon les règlements. Ils prescrivent un renouvellement de mandat pour une période de trois ans uniquement
« on evidence of excellence performance. » Parlons de faits et commençons par le ranking de l’université de Maurice qui, il y a cinq six ans, était dans les 50 premiers des universités africaines et qui est maintenant rendu à la 85e place. Au niveau de la gestion financière, l’université a un déficit de plus de Rs 100 millions qui n’a pas été comblé. Les cours payants après les heures ont été supprimés, à la demande du gouvernement, entraînant une perte de revenus. Il y a eu aussi deux projets de collaboration avec l’université d’Arizona et de Paris 5 qui ont nécessité des investissements de plusieurs millions avant d’être tout simplement supprimés. Passons sur le panneau publicitaire et l’imprimerie qui devaient rapporter de l’argent à l’université, ce qui n’a pas été le cas, et abordons la collaboration avec le secteur privé, que pratiquent très bien l’université des Mascareignes et l’université de technologie.

Je viens de lire dans la presse, cette semaine, que l’université de Maurice vient de signer des accords de partenariats avec deux entreprises du privé…

–…après quatre ans d’administration ! Ce n’est qu’aujourd’hui que ce type d’initiative long over due est pris. La direction a dormi sur ses lauriers et ses effets d’annonce et semble s’être réveillée aujourd’hui, tant mieux. Au cours des dernières années, la politique de l’université a été de se transformer en un hub éducatif pour attirer les étudiants étrangers de la région, selon le vœu du gouvernement. Nous avons à peine 2% d’élèves étrangers alors qu’il en aurait fallu au moins 10%. Et ce, alors que les autres universités privées du pays refusent les étudiants étrangers de la région ou en provenance des pays africains. On espérait pouvoir compter sur les étudiants étrangers pour diminuer la dépendance de l’université sur le gouvernement. Ce n’est pas le cas.

Qu’est-ce que le syndicat a à reprocher personnellement au VC et à ses deux adjoints au point d’intenter une action en justice contre le renouvellement de leur mandat ?

–Ce n’est pas un renouvellement mais une extension. Premièrement, nous nous opposons à cet exercice parce que les règlements de l’université n’ont pas été respectés par le conseil qui est supposé le mettre en pratique. Deuxièmement, nous soulignons que nous n’avons rien de personnel contre les trois personnes en question qui ont les qualifications académiques appropriées dans leurs domaines respectifs. Mais nous sommes en train d’étudier leur performance et de les évaluer en tant que direction de l’université de Maurice pour les quatre dernières années. L’université de Maurice est une des institutions mauriciennes qui, au fil des années, a su plus ou moins garder une réputation d’indépendance par rapport à d’autres qui occupent la une de l’actualité de façon quotidienne. Il ne faudrait pas qu’elle la perde à cause de nominations faites dans des conditions pas tout a fait claires.

On dit que l’administration de l’université de Maurice, y compris son conseil, est composée de beaucoup de personnes ayant des liens familiaux avec la ministre de l’Éducation, d’une part, et de l’autre, de personnes ayant une proximité avec un parti politique.

–Tant que les personnes nommées à des postes de responsabilité, en raison de proximité familiale ou politique, ont des qualifications reconnues, font le travail pour lequel ils sont payés et gardent leur indépendance, il n’y a pas de problème. Mais quand ces personnes utilisent leurs postes pour faire de la politique au sein de l’établissement, ce n’est plus la même chose. Je dois dire que le président du conseil de l’université a essayé de garder un certain équilibre dans ses décisions, mais il semblerait que pour ces renominations, il n’aurait pas eu les coudées franches.

Quelle est, selon vous, la vraie raison de cette renomination ?

–Selon des hear say, il y aurait des membres du top management qui auraient une proximité avec des « spin doctors » du gouvernement et que ceci expliquerait cela. J’ai le sentiment qu’il y a derrière tout ça une tentative de contrôler l’université.

Je ne comprends pas comment le conseil de l’université de Maurice, qui réunit des professionnels reconnus, a pu cautionner une décision que vous dites aller à l’encontre de ses propres règlements !

–Nous aussi. C’est pour cette raison que deux jours après l’annonce de la nomination, nous avons organisé une réunion de notre comité exécutif pour étudier la question. Puis, nous avons organisé une assemblée générale de nos membres pour leur demander de ratifier notre proposition de contester légalement ces nominations.

Vous avez obtenu l’unanimité de vos membres sur cette motion ?

–Nous avons obtenu une bonne majorité. Je regrette d’avoir à penser que des intellectuels aient pu ne pas voter par peur de représailles ou parce qu’ils sont dans l’attente d’une promotion. Nous avons consulté nos conseillers légaux et envisageons de consulter un Senior Counsel. Je dois dire, par ailleurs, que la University of Mauritius Staff Union (USU) un autre syndicat de l’université, est en train d’entamer la même démarche.

Vous représentants des enseignants et des employés allez en cour pour protester contre la nomination du trio. Comment l’université pourra fonctionner avec cette contestation ?

–Ce n’est pas de gaité de cœur que nous prenons cette décision qui tra^nera l’institution sur la place publique. Mais en même temps, nous ne pouvons pas exiger l’excellence de nos étudiants et ne pas la réclamer à ceux qui dirigent l’université. Si nous acceptons cela, le problème pourrait, peut-être, se poser au niveau du recrutement des étudiants dans l’avenir et l’université risque de se retrouver dans la catégorie des institutions dans lesquelles les Mauriciens n’ont plus confiance.

Vu de l’extérieur, est-ce que votre action ne vient pas conforter l’image que les enseignants de l’université dépensent plus d’énergie à se battre pour des promotions qu’à enseigner ?

–Je ne suis pas d’accord avec vous. Tous les enseignants de l’université de Maurice ont des compétences académiques reconnues et les ont obtenues dans les meilleures universités. Ils font leur travail et ne passent pas leur vie à se battre pour des promotions, à moins de sentir que leurs droits ont été lésés.

On m’a demandé de vous poser la question suivante : est-il vrai que tous les postes de responsabilité au sein de l’administration de l’université sont occupés par des hommes ?

–Si cette situation est vraie, alors l’université irait à l’encontre de la section 6 de son règlement. Il serait aberrant qu’en 2021 – dans un pays où nous célébrons annuellement la Journée de la Femme et que plusieurs de nos modules d’enseignement sont contre la discrimination, nous donnons des cours sur le gender balance et les droits de l’Homme et, par conséquent, de la femme –, la situation que vous décrivez puisse exister à l’université de Maurice !

Vous dites vouloir aider l’université de Maurice à se développer, à atteindre l’excellence, mais est-ce que votre action ne va pas justement dans le sens contraire et contribuer à la faire baisser encore dans le classement des universités africaines ?

–Le syndicat a mis beaucoup d’eau dans son vin pour ne pas justement altérer l’image de l’université en adoptant une attitude diplomatique. Nous l’avons fait afin de donner au management une marge de manœuvre pour refaire l’image de l’université. Le problème c’est que l’administration pratique la politique du haut vers le bas, à l’inverse des universités modernes qui font le contraire, sortent de leur tour d’ivoire, vont dans la société, le secteur privé, le secteur public, les ONG pour identifier les problèmes et travailler sur des solutions avec les enseignants de l’université. On pourrait leur demander de faire des recherches sur les problèmes sociaux comme la drogue, la violence domestique, avec plus un aspect pragmatique que théorique. On peut demander à nos chercheurs scientifiques de réfléchir sur les problèmes que rencontrent les différentes branches du secteur financier en collaboration avec ceux du secteur privé. Nous devons réinventer le secteur financier pour qu’il sorte des listes sur lesquelles il a été placé. Nous sommes un petit pays qui ne peut se permettre de financer des recherches pour la recherche, mais qui travaille sur des solutions pragmatiques aux problématiques d’aujourd’hui. Il faut le faire.

Si j’additionne tout ce que vous m’avez dit de négatif depuis le début de cette interview, il faudrait fermer d’urgence l’université de Maurice !

–Pas du tout, au contraire ! Il faut dire ce qui ne va pas pour pouvoir améliorer. Il faut que l’université de Maurice revienne aux objectifs ayant mené à sa création : travailler au développement économique et social du pays. Il faut bien comprendre une chose : le monde académique ne peut fonctionner comme un ministère avec un PS ou une entreprise privée avec un CEO qui usent d’un style de management oppressif. Une université est une institution académique où tous les enseignants ont un statut d’égalité avec une possibilité pour certains de travailler à la direction pour une période donnée, avant de revenir à la recherche ou l’enseignement. Il ne suffit pas d’avoir des diplômes académiques pour gérer une université, il faut avoir de solides notions de management pour le faire.

Il sera beaucoup plus difficile pour les membres de ce trio de faire leur travail alors qu’ils sont publiquement et judiciairement contestés par les employés de l’université.

— L’université continuera à fonctionner puisque nous protestons sans grève ou un ralentissement des activités. Nous allons continuer le travail habituel. Si nous avions opté pour une judicial review de la décision du conseil, cela aurait pris plus d’une année et la décision aurait été rendue après la fin du mandat renouvelé que nous contestons. Nous pensons que nous allons gagner et que nous irons vers une conciliation qui débouchera sur un nouvel exercice de recrutement respectant les règlements. À l’université, nous enseignons l’éthique, la remise en cause, le débat contradictoire, le judicial review, les droits de l’homme. Nous ne pouvons pas nous croiser les bras quand ce qui est un cas de non-respect des règlements de l’université nous est imposé. Nous pensons, au contraire, que cette action enverra un signal fort à la population pour démontrer que, contrairement à ce que vous disiez, les académiques “intellectuels” mettent en pratique ce qu’ils enseignent et agissent quand ils estiment que des droits ne sont pas respectés. Loin de vouloir salir la réputation de l’université, nous nous battons, au contraire, pour faire prévaloir la justice et laissons le soin à la cour de décider qui a raison. Si elle nous donne raison, cela voudra dire que le conseil sera obligé de respecter les règlements pour la prochaine nomination. C’est tout ce que nous demandons. L’extension du contrat pour une année a été faite dans des circonstances tout a fait particulières. Nous sommes aujourd’hui revenus à une situation normale et les postes auraient dû avoir été déclarés vacants en interne, au niveau national et international, ce qui n’a pas été le cas. Un comité de 11 membres aurait dû étudier les modalités du recrutement, ce qui n’a pas été le cas. Finalement, si le conseil d’administration est satisfait de la performance du trio, pourquoi a-t-il étendu son contrat pour UNE nouvelle année seulement, au lieu de deux, ce qui aurait correspondu à un deuxième mandat de trois ans comme le prévoit les règlements ?

Toutes proportions gardées, on dirait que ce contrat à l’année ressemble à celui que l’ex-commissaire de police avait obtenu et qui était renouvelé chaque mois !

–Je ne ferai pas de commentaire sur cette comparaison. Mais quand on renouvelle un contrat pour une année, c’est quelque part une atteinte à l’indépendance, on n’offre pas une security of tenure, ce qui n’est pas bon ni pour celui qui a obtenu le contrat ni pour la bonne marche de l’institution.

Vous n’avez pas pensé à alerter le ministre de l’Éducation tertiaire de la situation ?

–Écoutez, c’est elle-même qui nomme une partie de ceux qui siègent au conseil où elle a, d’ailleurs, un représentant de son ministère. Si ce haut fonctionnaire a soutenu cette motion, cela veut dire qu’il a agi selon des instructions. Je souhaite que le conseil d’administration de l’université se ressaisisse et rectifie le tir là où il a fauté. Il n’est pas trop tard pour trouver un compromis acceptable aux deux parties pour le bien de l’université.

Pour rester dans les mots très utilisés ces temps derniers, vous n’avez pas peur qu’on vous traite de frustré de ne pas avoir obtenu un poste à la direction de l’université ?

–Je n’étais pas et je ne suis pas candidat. Aucun des membres de l’UMASU n’est intéressé par ces postes. Personnellement, j’ai beaucoup d’activités dans et en dehors de l’université, et je suis tout à fait heureux de ce que je fais. Ni moi ni mes camarades du syndicat et les enseignants de l’université que nous représentons ne sommes des frustrés. Nous nous battons parce que la section 6 des règlements de l’université de Maurice, entre autres, n’a pas été respectée par son conseil d’administration.

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