Rita Venkatasamy : « Mon bureau travaille pour l’intérêt supérieur de l’enfant mauricien »

Rita Venkatasamy, l’Ombudsperson for Children, a procédé au lancement de son rapport annuel, mardi dernier. Deux jours plus tard, nous sommes allés l’interroger sur le contenu de ce rapport, plus particulièrement les parties concernant le travail sur le terrain à Cité Anoska et les enfants des squatters de Pointe-aux-Sables et de Riambel récemment expulsés par le ministère du Logement.

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l Comme d’habitude, votre rapport a fait la une des médias lors de son lancement. Mais en dehors du buzz médiatique, est-ce que le contenu de ce rapport et ses recommandations sont mis en pratique ou rangés dans un tiroir, comme c’est le cas pour beaucoup de rapports officiels ?
– Je peux vous assurer que les personnes concernées et intéressées par la protection et la défense des droits de l’enfant lisent le rapport. De plus en plus, les recommandations du rapport sont non seulement lues, mais mises en pratique par les autorités concernées, pas uniquement celles de l’État, mais les organisations non gouvernementales, la société civile et les parents. Je le répète : ce rapport est un outil de travail non seulement par rapport aux recommandations, mais aussi à l’analyse qui sert ceux qui travaillent dans les différentes institutions s’occupant des enfants.

l Vous avez choisi comme couverture du rapport une photo d’enfants portant le masque facial. Est-ce un moyen symbolique de dire que la parole des enfants est baillonnée à Maurice ?
– Pas du tout. Au contraire, nous avons choisi une photo des enfants de l’école de Midlands montrant leur capacité d’adaptation pour respecter un règlement sanitaire qui n’existait pas il y a quelque mois : le port du masque. Leur capacité d’adaptation aux nouvelles règles, qui est plus importante que celle des adultes, est impressionnante et c’est pour cette raison que nous avons choisi cette photographie.

l Deux principaux thèmes se dégagent du rapport 2020 de plus de 500 pages, le premier étant les abus de toutes sortes que subissent les enfants. Comment expliquez-vous que malgré votre travail, les conférences, les ateliers, les campagnes d’information et de conscientisation, il y ait encore autant d’abus sur les enfants à Maurice ?
– Sans les campagnes que vous venez de mentionner, sans notre capacité de réaction aux différentes formes d’abus, la situation des droits de l’enfant serait beaucoup plus grave. Les campagnes de sensibilisation font changer les comportements – même ceux des enfants agresseurs, dont on parle moins , il faut donc continuer à en faire.

l Est-ce qu’on peut dire que la période de confinement sanitaire, avec le regroupement familial obligatoire, a été à l’avantage ou au détriment de la défense des droits de l’enfant ?
– Les deux. Il est certain que la période de confinement a protégé les droits des enfants à la santé. Dans certains cas, les liens entre parents et enfants, et le partage ont été renforcés pendant la période de confinement. Cette période a forcé les uns et les autres à réfléchir différemment, à se comporter différemment, à apprendre à faire face aux difficultés et à respecter les règles, surtout les nouvelles. On a compris pourquoi on ne pouvait et on ne devait vivre comme avant, pourquoi il fallait prendre des précautions et respecter les consignes. Cette période de confinement a permis à mon bureau d’être plus à l’écoute des parents et des enfants. Il y a eu beaucoup de bonnes choses, mais aussi des difficultés pendant cette période, surtout par rapport aux enfants en situation de handicap qui ont besoin de sortir et de s’aérer qui ont été obligés de rester chez eux, confinés.

l Dans ce rapport, vous avez complimenté le personnel des centres de réhabilitation pour leur travail pendant le confinement. Est-ce que cela signifie qu’il y a des progrès dans ces centres dont le fonctionnent a été souvent critiqué dans le passé ?
– Mon bureau a été, lui aussi, très critique sur le fonctionnement de certains centres. Mais durant le confinement, les centres de refuge et de réhabilitation ont fait un très bon travail dans des conditions très difficiles. Beaucoup des employés de ces centres ont été, en raison du confinement et de la rareté des moyens de transport et des work permits, obligés de rester pendant des semaines dans les centres. Ils ont aidé à la protection des droits de l’enfant, des enfants d’une catégorie particulière, dans un moment particulièrement dur et cela devait être souligné. Les initiatives prises durant cette période ont démontré les capacités du personnel de ces centres et vont, j’en suis sûre, aider à l’amélioration de la qualité de leurs services.

l Vous avez souligné la descente sur le terrain de votre bureau à Cité Anoska, où des abus sur des enfants avaient été signalés. Vous avez également souligné qu’il faut plus de préparation et de professionnalisme dans le travail sur le terrain. Est-ce que le plus important dans ce genre de travail n’est pas l’empathie et la bonne volonté dans l’action sociale en faveur des enfants ?
– Ces aspects sont nécessaires, mais ils ne suffisent pas pour faire un bon travail. Nous devons avoir de l’empathie, de l’amour pour les enfants, mais la préparation et le professionnalisme sont aussi sinon plus importants. Il faut aussi avoir suffisamment d’humilité pour dire qu’en apprenant aux autres à découvrir — avant de les défendre — les doits de l’enfant, nous avons aussi à apprendre d’eux. Apprendre à revoir ce que nous faisons et améliorer notre manière de fonctionner. Pendant longtemps, le bureau a fait des actions de sensibilisation ponctuelles, qui ont donné des résultats. Mais quand il s’agit d’intervenir dans une communauté comme celle de Cité Anoska, une sensibilisation ponctuelle ne suffit pas. Il faut comprendre dans quel cadre vit l’enfant, quel est son environnement, comment est sa maison, quelles sont ses attentes et ses capacités pour ne pas produire un rapport abstrait déconnecté de la réalité. Et cela, nous l’avons découvert en discutant avec les habitants d’Anoska pendant le travail sur le terrain. Nous avons appris à être plus à l’écoute et à valoriser la parole des parents des enfants de cette cité. Nous espérons que le rapport spécial que nous sommes en train de préparer sur Cité Anoska pourra devenir une référence, un outil de travail qui pourra être utilisé dans d’autres cas. Il faut disposer de statistiques précises, il nous faut avoir cette culture des statistiques avant d’intervenir. Il faut que la réflexion précède l’action, sinon, en utilisant des données incomplètes, nous pouvons être amenées à faire des erreurs. Il faut surtout, surtout éviter la duplication : que dix ONG fassent le même travail dans le même endroit est un gaspillage d’énergie et de ressources.

l Il n’existe pas de coordination entre les différentes institutions qui travaillent pour la promotion des droits des enfants ?
– Il nous faudra travailler sur une coordination plus pointue quand nous offrons des services par rapport aux enfants.

l Est-ce la situation des enfants habitant des cités comme Anoska est plus préoccupante que ceux des enfants qui habitent les villes ?
– Pas forcément. Il faut souligner que les habitants de cette cité déplorent d’être présentés dans les médias comme un endroit à problèmes, ce qui n’est pas le cas. Comme partout ailleurs, il y a un manque d’information sur les droits des enfants et souvent une surmédiatisation peut rendre plus difficile une situation donnée.

l L’autre grand sujet de votre rapport 2020 est les enfants des squatters, ceux de Pointe-aux-Sables et de Riambel. On a noté qu’une des personnes assistant à la présentation du rapport était le ministre du Logement, le principal responsable du fait que le terme squatters soit entré dans l’actualité nationale depuis le mois de mai. Dans votre rapport, il est dit que votre bureau travaille en collaboration avec ses officiers. Il y a donc un travail en cours après les expulsions musclées ?
– Notre bureau a ouvert, le 25 mai, une enquête sur les enfants en situation de squatting, enquête qui s’est terminée le 25 septembre.

l Pourquoi avez-vous décidé de mener cette enquête sur un problème qui ne date pas d’hier ?
– Attention ! Nous n’avons pas fait une enquête sur tous les squatters de Maurice, sur ce problème en général, mais avons ouvert une enquête sur les familles qui ont des enfants et qui ont été expulsées. Notre objectif était de nous focaliser sur les enfants qui vivent sous les tentes.

l Avez-vous compris, vous a-t-on expliqué pourquoi le ministre du Logement a choisi de faire démolir les abris des squatters à Pointe-aux-Sables et Riambel au mois de mai, en plein hiver et en plein confinement sanitaire ?
– Je tiens à préciser que notre enquête avait trois objectifs : recenser le nombre de familles ayant des enfants et squattant à Riambel et à Pointe-aux-Sables ; vérifier dans quelle mesure les droits d’un enfant sont affectés quand il vit sous une tente de squatter et, troisièmement, proposer des recommandations. C’est dans ce cadre très précis que cette enquête a été menée.

l Vous avez enquêté sur les conséquences, pas sur la décision qui les ont provoquées. Qu’avez-vous découvert et compris au cours de cette enquête ?
– Nous avons travaillé avec la société civile et les ONG qui étaient sur le terrain. La première difficulté a été le nombre de squatters parce qu’il y a eu a un moment, à Pointe-aux-Sables, plus de 80 dont plusieurs qui étaient de “faux squatters” qui mettaient leurs enfants en danger inutilement dans la perspective d’avoir un logement, ce qu’il avait déjà. Des squatters, de vrais, nous ont dit que le tri allait se faire automatiquement, car il est difficile de rester longtemps sous une tente alors qu’on dispose déjà d’un logement avec eau et électricité. À Riambel, les vrais squatters nous ont expliqué que les faux venaient avec leurs enfants sous la tente juste quand les ONG venaient distribuer des provisions. Il y a aussi des squatters qui ne venaient que le week-end. À la fin, nous avons pu recenser le nombre de vrais squatters avec enfants et travailler avec eux.

l Quelle est la solution au problème des “vrais” squatters avec enfants ?
– Mettre à leur disposition des logements décents pour leurs enfants qui sont en danger en situation de squat. Ces enfants vivent dans des espaces où des adultes sont frustrés, fatigués, tracassés et où la tension est permanente, ce qui n’est pas bon pour eux, mais aussi pour la société en général. Il faut donc éviter que ce genre de situation ne se répète ou perdure. C’est pour cette raison que notre rapport propose la création d’une unité pour s’occuper des homeless people, car il faut préciser que tous les homeless ne sont pas des squatters et que tous les squatters ne sont pas homeless. Il faut surtout prendre des mesures préventives pour empêcher que le phénomène ne se reproduise.

l Dimanche dernier dans Week-End, Cassam Uteem disait que beaucoup de squatters font partie d’une section de la population qui, pour des raisons historiques et sociales, sont aujourd’hui les individus les plus vulnérables et les marginalisés de la société mauricienne. Partagez-vous cet avis ?
– C’est une réalité de notre société que nous ne devons pas nier. Il faut une certaine forme de discrimination positive pour les membres de cette communauté qui, avec ses enfants, font partie des most vulnerable and marginalised group of people. Le concept de la discrimination positive a été appliqué avant en Inde ou en Afrique du Sud. Dans le combat contre la réalité que vous évoquez, le droit au logement est un concept fondamental qui touche aussi tous les autres droits. Comment voulez-vous, par exemple, qu’un enfant qui vit sous une tente sans électricité puisse faire ses devoirs pour bénéficier pleinement de son droit à l’éducation ? Il faut aussi empower les squatters et leur apprendre à se mettre debout et à défendre leurs droits. Il faut dans ce cas qu’on leur apprenne quels sont leurs droits et aussi, évidemment, leurs devoirs. Le travail des ONG et de la société civile est très important, mais il faut aussi apprendre aux squatters à se responsabiliser, à se débrouiller, à participer aux démarches qui les concernent et ne pas se contenter d’être assistés par l’État, les ONG et les personnes de bonne volonté. Il faut leur faire comprendre les droits humains pour qu’ils puissent se défendre, mais aussi respecter, protéger et défendre ceux de leurs enfants.

l Comment a réagi le ministre du Logement à votre proposition visant à créer une unité pour les homeless people ?
– Le ministre du Logement et ses officiers ont toujours été attentifs à nos arguments et nos propositions depuis que nous avons ouvert notre enquête en mai.

l Juste après qu’il a, avec la brutalité que l’on sait, fait expulser les squatters de Pointe-aux-Sables et de Riambel en négligeant de faire la réflexion précédant l’action !
– Je ne peux entrer dans ce débat. Mais nous avons eu avec le ministre du Logement, avec ses officiers, avec les représentants de la société civile et des ONG beaucoup de discussions. Selon la stratégie onusienne pour la protection des droits de l’enfant, l’État, la société civile et les personnes concernées ont leur part de responsabilité. Dites-vous bien que le problème dont nous discutons ne pourra pas être résolu uniquement par le ministre du Logement. L’État a un rôle important, mais on ne peut pas tout attendre de l’État. Nous avons aussi parlé avec les ONG spécialisées dans l’accompagnement social, comme Saphire qui a une expertise sur l’accompagnement des enfants des rues. Beaucoup de groupes et personnes se sont mobilisés pour venir en aide aux squatters : certains pour trouver les moyens de trouver des maisons de relais, les artistes qui ont donné un concert pour aider à payer le dépôt à la CHA. On sait que de l’argent a été récolté et qu’un chèque a été remis à l’association Droit pou enn lakaz. La transparence dans toute action entreprise au nom des squatters est indispensable pour éviter tout malentendu ou fausse interprétation. Il ne faut pas que l’on recueille des fonds au nom des squatters sans pouvoir vérifier où vont effectivement ces fonds. Plusieurs squatters nous ont dit que s’ils sont reconnaissants qu’on leur vienne en aide, il faut aussi savoir que parfois on les a utilisés, qu’on a parlé en leur nom, qu’on a essayé de les manipuler. Il est aussi important que les squatters que l’on accompagne ne soient pas traités comme un groupe, mais que chacun reçoive une attention et une intervention personnalisées qui l’aident à retrouver sa dignité.

l Êtes-vous satisfaite de votre enquête ?
– Nous avons fait un travail difficile sur un sujet très délicat et je suis heureuse qu’il ait fait l’objet d’un rapport écrit. Il faut documenter ce qui est fait afin que cela puisse servir pour l’avenir et pour les autres. Nous devons avoir des statistiques et des données qualificatives et quantitatives pour pouvoir continuer efficacement. Il faut de la bonne volonté, de l’empathie, mais il faut aussi des données fiables pour être plus efficaces.

l Revenons au lancement de votre rapport. Il y avait donc les personnalités présentes, dont le ministre du Logement, mais une absence a été également notée : celle de la ministre de la Femme et de la Famille, qui devrait être, théoriquement, très concernée par votre travail
– Le bureau de l’Ombudsperson for Children a des contacts réguliers avec celui de la ministre de la Femme et de la Famille. Ce n’est pas parce qu’elle était absente au lancement du rapport que la ministre n’est pas intéressée et concernée par notre travail…

l Avez-vous le sentiment qu’à Maurice les droits des enfants sont de plus en plus compris et respectés ?
– Je pense pouvoir dire que nous sommes en tout cas dans la bonne direction. De manière générale, les Mauriciens aiment les enfants et je pense que nous en sommes en train de faire comprendre et adopter la culture des droits de l’enfant. Ce n’est pas toujours facile. Surtout quand nous nous retrouvons dans des situations où l’enfant est lui-même auteur de violences contre d’autres enfants. Des enfants violents qui ont ce comportement parce qu’au fond ils sont malheureux, ne savent pas s’adapter à la société et ces enfants-là, les mauvais enfants, les Mauriciens ne les aiment pas en général. Il faut alors expliquer que ces enfants-là sont le produit du système et qu’ils ont des droits et des devoirs, et qu’ils doivent être aidés au lieu d’être rejetés, marginalisés. C’est un travail de longue haleine, un travail de tous les jours.

l Dans le système mauricien, qui privilégie le politiquement correct pour le gouvernement en place, est-ce que le fait de rédiger et de publier un rapport qui remet en cause certaines de ses politiques et des prises de décision de ses ministres se fait facilement, en toute indépendance ?
– Le travail de l’Ombudsperson for Children n’est ni pour ni contre le gouvernement, mais avec lui pour la population. Le travail que fait ce bureau est dans l’intérêt supérieur des enfants mauriciens et reste mon principal fil conducteur. Mais tout dépend de la manière dont le travail et le plaidoyer sont faits. Je ne suis pas de ceux qui privilégient le mode agressif et je ne veux pas faire partie de ceux qui prennent plaisir à le faire. Je ne crois pas que crier et attaquer sans écouter, sans dialoguer fait avancer une cause. Un défenseur des droits des enfants doit pouvoir les promouvoir dans la non-violence pour aboutir à des résultats concrets.

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