Roche-Bois : L’autre visage du faubourg

Roche Bois est un des endroits à Maurice ayant été le plus stigmatisé. Pour beaucoup de Mauriciens, ce faubourg de Port-Louis évoque la drogue et l’insécurité et son nom engendre des allusions négatives. Or, le Roche Bois d’aujourd’hui est un lieu paisible où l’on respire la joie de vivre et où la fierté d’y vivre est constamment revendiquée par ses habitants.
Roche Bois est traversé par l’autoroute : ce faubourg de Port-Louis est coupé en deux. D’un côté, le cimetière, le dépotoir, le centre social et des habitations; de l’autre, des usines et d’autres maisons. Une visite à Roche Bois permet de découvrir une atmosphère bon enfant, des gens souriants, une tranquillité uniquement perturbée par le va-et-vient des véhicules.

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Fibre artistique.

D’illustres personnalités y ont vécu. Kaya est évidemment le premier nom qui vient en tête. Le père du seggae était une icône de la région. Son destin de martyr l’a fait devenir un symbole de Roche Bois, une fierté pour l’endroit. Sa tombe, reconnaissable avec la guitare façonnée dessus, se situe non loin de celle de Berger Agathe, autre chanteur populaire de la région, mort dans des circonstances troublantes lors des émeutes de 1999. D’autres chanteurs ont également fait la fierté de Roche Bois : Marie-Michelle Étienne, Sylvio Lynx, Tian Corentin, Gérard Bacorilall, Boyzini, Sky to be…

Cette fibre artistique continue à vibrer grâce à l’Atelier Moz’art, initié par feu José Thérèse. Son ancienne maison, reconvertie en salle de répétitions et d’apprentissage, est toujours en activité, en attendant la construction prochaine d’un bâtiment neuf à Mer Rouge. “José Thérèse voulait initier les enfants à la musique. C’était une façon de lutter contre la prolifération de la drogue à l’époque dans la cité et pour montrer tout le positif qui sommeillait dans Roche Bois. Nous avons une cinquantaine d’élèves qui viennent chaque semaine. La liste d’attente est longue, avec 150 à 200 noms”, confie Rick Cupidon, membre de l’orchestre et professeur de batterie à l’Atelier Mo’zart.

“Ros Bwa pe drese inpe”.

Les habitants ne veulent plus que leur quartier soit considéré comme un lieu malfamé où il ne fait pas bon s’aventurer. Ils s’insurgent contre une stigmatisation qui leur colle à la peau. “Je suis en colère quand on ne dit que des choses négatives sur Roche Bois. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas, mais comme dans tous les autres endroits, il y a des bons et des mauvais côtés”, avance Edwige Sivance, travailleuse sociale depuis 32 ans et qui nous a accompagnés lors de notre visite.

Jamel Lynx (à gauche) confie que le savoir-vivre est de mise dans son quartier

Au centre social, nous avons la chance de rencontrer Mme Fostin et Mme Chinien, 86 et 85 ans respectivement. Les deux sœurs, qui vivent à Roche Bois depuis 65 ans, sont venues jouer aux dominos, comme elles le font chaque semaine. “Lontan Ros Bwa ti inpe indiferan; aster Ros Bwa pe drese inpe. Aujourd’hui, il fait bon y vivre”, nous disent-elles.
C’est quasiment les mêmes propos qui sortent de la bouche de chaque habitant que nous rencontrons. On nous assure que l’endroit est paisible et qu’il fait bon y vivre, pour peu qu’on ne cherche pas d’histoires. “Mo lanvironnman korek. Di moman ou konn viv ar dimounn, ou pou korek ou”, confie Jamel Lynx, le neveu du chanteur Sylvio Lynx. “C’est un endroit agréable pour vivre, il n’y a pas de problèmes ici”, dit Mario Chinien, 61 ans. “Landwra bon, pou le moman nou landrwa trankil”, ajoute Maryline Éloise, 57 ans. Les habitants se disent fiers de vivre ici. “Nous avons eu des lauréats, des docteurs, des hôtesses de l’air, des stewards…”

Drogue synthétique.

Un terrain de football synthétique est en train d’être construit dans le jardin d’enfants, autrefois zone de quarantaine, surplombée par le dépotoir de Roche Bois, qui se situe juste derrière ses murs. Nous y rencontrons Kersley, en train de fouiller dans les ordures pour ramasser des sachets de spaghettis. Pêcheur de thon, il vient au dépotoir en période creuse pour “tras mo lavi”. “J’ai deux enfants à nourrir. Pour le moment, la mer est un peu houleuse, je ne pêche pas. Je viens ici trouver des denrées alimentaires toujours utilisables ou du cuivre, de l’aluminium et des bouteilles en plastique que je peux revendre.”
Les habitants de Roche Bois disent observer une baisse de la toxicomanie, mais certains admettent que la drogue est toujours présente. Les drogues synthétiques n’épargnent pas Roche Bois. Un habitant de Batterie Cassée, qui a tenu à conserver l’anonymat, nous affirme qu’il y a dans son endroit “bann dimounn insinifian me osi bann bon dimounn”. Sandra Modliar, partie prenante du programme d’échange de seringues avec l’association CUT et habitante de Roche Bois, observe une prolifération de la drogue synthétique auprès des jeunes du quartier. “On en voit un peu plus ces temps-ci, c’est assez inquiétant.”

L’Atelier Moz’art, initié par feu José Thérèse, fait la fierté de l’endroit

Taxi maron.

Comme dans pratiquement toute l’île, Roche Bois compte des poches de pauvreté. Marjolaine Malbrouque, 37 ans, n’a pas été gâtée par la vie, sans doute écrasée par le poids de la misère. Ses cheveux grisonnants ne reflètent pas son âge. Avec son mari et leur fils, elle vit dans une petite maison sans eau ni électricité. “Cette maison appartenait à ma grand-mère, c’est une maison CHA. Les voisins nous aident en nous laissant prendre de l’eau chez eux”, dit-elle en souriant.

Le problème de transport est sans conteste la plus grosse inquiétude des Rocheboisiens. Ils se plaignent de la mauvaise desserte du transport en commun. Pour aller à Port-Louis, les habitants du versant ouest de Roche Bois doivent compter sur des taxi maron. “Le service de transport public est à déplorer. Il faut marcher jusqu’à l’autoroute pour avoir un autobus, parce que celui qui est supposé passer ici n’entre pas toujours dans la cité. De plus, il fait un long détour dans les rues de Port-Louis”, souligne Edwige Sivance. Les chauffeurs de taxi maron, qui sont d’une grande aide pour les habitants, se font régulièrement rabrouer par les policiers. Ce que déplorent les Rocheboisiens, qui comptent sur eux pour sortir de leur quartier.

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