Roshan Seetohul : « Accélérer la transformation digitale du pays »

Roshan Seetohul est engagé dans le secteur des Tics et de l’externalisation depuis une quinzaine d’années. Dans une interview accordée au Mauricien cette semaine, il parle de la résilience du secteur de l’Outsourcing et des télécommunications, ainsi que de la nécessité d’accélérer la transformation digitale à Maurice. Il évoque également la situation politique dans le pays et considère que les priorités du moment devraient être la vaccination et la résilience économique.

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« Malheureusement, c’est la politique qui prédomine », déplore-t-il.
M. Roshan Seetohul, en tant que président de l’OTAM, vous êtes bien placé pour nous dire comment le secteur se porte en cette période marquée par la pandémie de COVID-19. Quel est votre constat ?

La pandémie de COVID 19 a provoqué des niveaux de perturbation sans précédent dans le monde, a semé l’incertitude dans l’esprit de tout le monde et les données ne sont plus les mêmes. Le secteur de l’externalisation et des télécommunications dépend beaucoup des conditions et facteurs par rapport avec les pays avec qui nous travaillons. On constate que les pays sont durement touchés et certains sont toujours en confinement. Nous manquons encore de visibilité pour certaines opérations en 2021.
De par sa résilience et robustesse, le secteur a pu tenir le choc et a quand même pu maintenir ses activités, voire faire une progression constante. Les dispositions prises durant le confinement et même après nous ont permis de garder la tête hors de l’eau et de limiter la casse. Dans un contexte pareil, alors que la pandémie continue à nous affecter, on arrive à se tirer d’affaire. Je peux dire que le secteur se porte bien mais il reste toujours beaucoup à faire. La COVID-19 peut être considérée comme un “wake up call” pour nous tous.

Peut-on dire que le secteur des TIC-BPO a réussi à surmonter les moments les plus difficiles ?
Je peux dire que oui. En grande partie grâce au soutien du gouvernement et du Premier ministre. Pendant toute la période COVID, en tant que président de l’OTAM, j’ai été en contact avec le gouvernement pour que ce secteur puisse survivre. Pendant le confinement, on a dû intervenir au plus haut niveau pour obtenir un quota de 25% d’employés sur le site de travail soit approuvé par le gouvernement. Cela nous a permis de préserver l’emploi dans le secteur des TIC-BPO in extremis. Le Wage Assistance Scheme nous a été d’une aide certaine pour traverser le confinement.

En 2019, ce secteur avait enregistré une croissance de l’ordre de 6%. A-t-il été en mesure de répéter cette performance ?
Le secteur enregistre une croissance à moins de 6% depuis quelque temps. J’avais même affirmé l’année dernière que le secteur passe dans une phase d’essoufflement, qu’il fallait revoir certaines stratégies qui font date et que les données dans ce secteur bougent à une vitesse vertigineuse. En fait en 2019, la croissance était de 5,7%. Oui, on aurait pu répéter cette performance et pourquoi pas accélérer la croissance si les bons choix stratégiques avaient été faits. L’envie, l’ambition et les conditions devront être réunies afin d’y arriver.

De nouvelles méthodes de travail ont fait leur apparition durant cette période de COVID-19, dont le “work at home”. Comment le secteur des Tics s’est-il adapté à cette situation nouvelle ?
Oui, effectivement le télétravail est devenu la norme. C’étaient des modèles qui existaient ailleurs mais qui n’étaient pas trop prisés à Maurice. La COVID nous a obligés à déployer le “work at home” rapidement afin d’adopter un plan de continuité des opérations en période de confinement et même après. À ce jour, il y a toujours des sociétés qui opèrent en télétravail à 75 – 80% et gagnent en productivité. C’est le cas d’ailleurs pour certaines sociétés de presse.
Les autorités sont mêmes venues avec un règlement légal concernant le “work at home”. Ce qui est bénéfique pour les deux parties, c’est-à-dire aussi bien pour l’employée et que pour l’employeur. Il faut aussi préciser que ce ne sont pas toutes les opérations qui peuvent être effectuées à travers le télétravail. Par exemple, le BPO Voice Process n’est pas encore sécurisé sur toutes les parties de l’île par rapport au réseau à haut débit. Les consultations sont en cours avec les opérateurs de téléphonie afin de pallier ce manquement. Pour développer le télétravail, il nous faut nous pencher davantage sur les conditions et l’environnement de travail avec des mobiliers adaptés, etc. Il faut que les employés se sentent à l’aise chez eux et s’adaptent entièrement à l’objectif en termes de productivité et d’objectivité.
L’État doit venir avec des incitations fiscales afin d’encourager le “work at home” si nous voulons valoriser cette démarche et avoir des résultats escompter.

Peut-on dire que le secteur des Tics a été la bouée de sauvetage de l’économie durant cette période difficile ?
Le côté positif de cette crise est qu’elle nous a permis de mettre en lumière le rôle essentiel de la transformation numérique pour assurer la continuité des activités non seulement pour le secteur BPO, mais également pour d’autres secteurs qui ont pu opérer en ayant recours aux technologies nouvelles. Dans son rapport annuel de 2019, la Banque de Maurice avait considéré le secteur des services comme le principal moteur de croissance de l’économie mauricienne. Le secteur des TIC/BPO fait partie de ces secteurs qui ont permis de maintenir l’économie vivante.
Oui, je dirais sans hésiter que le secteur des Tic a grandement contribué à maintenir l’économie à flot alors que certains autres secteurs traversent une passe complexe et très difficile. Si on adopte les bons principes et les bonnes stratégies, on pourra regarder l’avenir avec optimisme.
Avec l’augmentation des services numériques tels que le commerce électronique dans nos pays clients, la demande de service-clients et d’autres opérations BPO ont pris un rôle plus important.

Y a-t-il eu des fermetures d’entreprise et des licenciements dans ce secteur ?
Parmi nos membres, il n’y a pas eu de licenciement, au contraire beaucoup recrutent en ce moment. On a eu des échos que quelques petites sociétés n’ont pas pu tenir et ont dû fermer leurs portes mais les employés ont été vite été absorbés par la demande sur le marché du travail. De toute façon, on est en contact avec le ministère de l’Emploi concernant ce sujet et jusqu’à maintenant il n’y a pas eu d’alerte.
Il ne faut oublier que le Wage Assistance Scheme, mis en place par le gouvernement, a grandement aidé à préserver les emplois et empêcher la fermeture des entreprises.

Quelles sont les faiblesses que vous avez constatées dans le domaine des Tics ?
Comme toutes les industries, le domaine des Tics a ses forces et faiblesses. C’est bon de pouvoir les identifier et de venir avec les solutions réalisables. À ce propos, nous avions demandé au ministère des Tic de venir avec un High Powered Committee incluant tous les acteurs concernés afin de dégager une synergie, une vision à court, moyen et long termes car les données ont changé et nous devons revoir nos prévisions.
On constate qu’il y a un manque en termes d’incitations concernant l’innovation et on n’a pas encore ce “mindset” numérique, on reste toujours timide dans nos approches. Les start-up font toujours face à beaucoup de difficultés afin de se frayer un passage. Certains qui ont des clients bien établis restent dans leur zone de confort, évitent de prendre des risques et ne font pas plus que le nécessaire. Or, il est impérieux que nous soyons constamment à la recherche de l’innovation et des nouvelles bases de clients, de nouvelles sources de revenus, de nouveaux domaines dans lesquels nous pouvons surpasser les autres et faire la différence. N’oublions pas que la compétition reste féroce.

En vérité, lorsqu’on parle de Tics, de qui parle-t-on ? Quels sont les activités et les métiers qui opèrent dans ce secteur ?
Il y en a plusieurs segments dans ce secteur dont en premier lieu le BPO Voice et Non Voice Process (l’externalisation) qui comprend des centres d’appels, l’“Assistance Payroll”, les finances et les services de comptabilité, etc. En deuxième lieu, il y a l’IT Outsourcing : la partie software et Web development, l’e-commerce, les mobile apps, multimedia, etc. En troisième lieu, il y a les IT Services qui regroupent les Data Centers, les sociétés des Telecom, les services de sous-traitance, entre autres. Il y a une panoplie de métiers qui peuvent être occupés aussi bien par les “school leavers” que ceux disposant des diplômes ou maîtrises universitaires.

Comment est-ce que l’innovation se met en œuvre dans ce secteur ?
Il y a l’adage qui dit : “La nécessité est la mère des inventions”… Je pense que pour survivre et progresser, on doit à tout moment songer à l’innovation dans tous les domaines possibles. Pour prendre un exemple, on peut dire que durant le confinement, la plupart d’entre nous avons eu des réunions de travail par le biais de l’application Zoom, suivies des opérations en ligne.
Le “Zoom effect” était bel présent et était utilisé efficacement afin de toujours rester connecté et informé à tout moment. Il y a eu une explosion des réunions virtuelles. Je vous signale que la plupart des conférences internationales sont toujours organisées de manière virtuelle. Même l’assemblée générale des Nations unies avait pour la première fois été organisée de manière virtuelle. Aucun chef du gouvernement n’a eu à se déplacer pour se rendre à New York.
Mais pour bien opérer dans une ère de l’innovation, la bonne infrastructure technologique est nécessaire. Déjà les “live meetings” se font en 4K, en “spatial audio”, etc. Il faut suivre ce que nos compétiteurs font et se tenir informé des dernières technologies en place.

Est-ce que nous disposons des technologies et de l’expertise nécessaires pour faire face à cette situation nouvelle ?
Oui et non. Ça dépend sous quel angle on veut voir la question. Mon constat est que nous devons nous rattraper dans de nombreux domaines. Nous avons la technologie pour ce qu’on veut faire, mais ce n’est pas suffisant. On aurait dû pouvoir faire davantage si nous voulons rester à la pointe du progrès. N’est-ce pas là le moment d’accélérer notre transformation numérique ? Des pays voisins sont déjà en avance dans certains domaines.
La transformation numérique nous apportera plus d’efficacité, de la transparence et moins de corruption. L’émergence de la Fintech et de l’e-Health Management deviendra dans le futur des maillons importants dans notre progression. Donc, nous devons continuer à progresser en mettant l’accent sur la “right technology” et en important l’expertise nécessaire si le besoin s’en fait sentir.

On parle de l’introduction prochaine de la 5G. Que représente ce secteur ?
Les besoins sont plus importants aujourd’hui. La 4G a atteint un peu ses limites. Certes, la 5G aura un impact majeur en ce qui concerne le téléchargement et le transfert de données de manière ultrarapide. Cela apportera une certaine amélioration vu la demande accrue, mais les avis divergent quand même sur ce sujet.

Comment se porte l’Outsourcing à un moment où la plupart des pays du monde sont encore en confinement ?
L’externalisation est en pleine mutation. Il nous faut rester visibles, attractifs et compétitifs, car le confinement dans les autres pays peut nous apporter plus de business et plus d’activités professionnelles. Donc, la situation actuelle au niveau international pourrait être vue comme une opportunité aussi. A l’heure où je vous parle, les sociétés engagées dans l’externalisation recrutent. C’est bon signe.

Comment Maurice se prépare-t-elle à faire face à la compétition internationale ?
Comme je l’ai dit plus tôt, la compétition est rude et les clients ne cessent de mettre la pression afin de revoir les tarifs à la baisse. Nous devrons pouvoir garder notre compétitivité afin de rester visible et attractif. Il faut en plus garder un œil sur la formation et le bassin d’emplois, qui fait souvent défaut, pour la montée en charge et pour prendre plus de volume d’activités. Nous travaillons aujourd’hui avec le ministère de l’Emploi et le HRDC sur le National Training and Reskilling Scheme (NTRS) pour former dans les 2 500 personnes, ce qui est une bonne chose et une démarche encourageante.
Les services qui étaient autrefois et traditionnellement réalisés manuellement se font maintenant en ligne. Donc, une formation technologique de base est plus que jamais nécessaire. Il nous faut être agiles et prêts à prendre une bonne partie du marché si l’occasion se présente.

Quels sont les développements observés dans ce domaine dans le monde ?
Si un pays a une stratégie numérique réelle, c’est sûr que ce pays a pris des dispositions pour mieux s’armer pour l’avenir et qu’il va certainement réussir. Je constate que parmi ces pays figurent des îles non loin de nous, et qui ont déjà adopté une première stratégie numérique concernant l’ouverture des frontières en utilisant un système de paiement sans contact pour les réservations. C’est également le cas pour les fiches d’immigration pour les arrivées de touristes. Le monde ne reste pas les bras croisés. Ça bouge et les initiatives se multiplient.

L’installation d’un câble de fibre optique entre Maurice et Rodrigues peut-elle permettre de développer une industrie des Tics à Rodrigues ?
C’est sûr que maintenant Rodrigues figurera sur la carte de la fibre optique, étant désormais une île connectée. C’est déjà un grand pas pour le développement d’une industrie des Tics, mais d’autres aspects liés à ce développement ne sont pas à négliger, comme la formation, les infrastructures techniques, les espaces de travail convenables et la pratique d’un tarif raisonnable des connectivités, afin que l’Île soit une destination rentable, et non pas uniquement au démarrage, mais durablement.
C’est un plus pour Maurice, car certaines opérations peuvent être délocalisées vers la petite île. Les Rodriguais vont très bien faire à l’avenir si on introduit un programme de formation adéquat et par rapport aux opérations. Il ne faut surtout pas oublier Rodrigues. Cette île doit être une partie intégrante de notre stratégie digitale et de notre politique pour le développement du secteur des TIC/BPO. Cette île a un grand avenir.

Est-ce que l’Euro CRM, que vous dirigez, a aussi délocalisé vers Madagascar ?
Nous avons une antenne depuis bientôt un an à Madagascar. C’est une extension de nos activités. Comme nous sommes confrontés à un manque des candidats pour certaines activités, nous n’avons pas eu d’autre choix que d’exploiter l’opportunité malgache, qui est un bassin francophone et qui se trouve à côté de nous.

En tant que politicien, puisque vous êtes trésorier du PMSD, quel regard jetez-vous sur la situation politique ?
Personnellement, j’aurais souhaité un sursaut de solidarité nationale dans un contexte difficile, aussi bien sur le plan local que sur le plan international. Je suis en contact avec des clients au niveau international et suis bien placé pour mesurer les difficultés auxquels nous sommes confrontés à tous les niveaux. Business Mauritius et le MCCI ont abattu un gros travail pour que ce secteur et tous ceux concernés ne souffrent pas.
S’agissant de la situation politique, je constate qu’il y a beaucoup de débats. C’est vrai qu’il y a des zones d’ombre sur beaucoup de sujets, et qu’ils faudraient les éclaircir dans le dialogue, la transparence. Il y a des enquêtes en cours. Laissons la justice faire son travail afin de voir qui sont ceux qui ont fauté. Le gouvernement a ses priorités du jour, qui sont l’économie, la vaccination… Il faut à tout prix vacciner le plus grand nombre de personnes afin que nous puissions rouvrir les frontières en toute sécurité et faire redécoller l’économie. Je n’aurais pas souhaité que le pays rentre dans une campagne électorale. C’est un mauvais timing. Malheureusement, la politique semble prédominer sur toute chose, et c’est dommage. Le pays mérite mieux.

Serez-vous présent à la marche du 13 février ?
Depuis l’apparition de la COVID à Maurice, mes collègues vous confirmeront que je suis engagé à fond dans l’avancement du secteur des Tics. Le gouvernement a bien géré la pandémie et, aujourd’hui, on peut respirer. On est libre. Maintenant, en tant que patriote, j’ai envie de voir mon pays sortir du marasme économique.

Êtes-vous toujours actif au sein de votre parti ?
Je ne voudrais pas répondre à cette question. Je voudrais me concentrer sur mes activités en tant que président de l’OTAM et ne pas interférer dans la chose politique en ce moment.

Les préparatifs en vue de la présentation du budget ont déjà commencé. Avez-vous des propositions à faire concernant le secteur des Tics ?
Certes, nous aurions souhaité avoir plus d’incitations fiscales. Le conseil d’administration de l’OTAM se rencontre prochainement pour en discuter. Notre ambition est de faire des Tics un secteur compétitif, attractif et visible. Nous voulons donner un coup de main pour accélérer la transformation digitale à Maurice.

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