Satish Boolell (médecin légiste) : « Il faut un plan intégré applicable dans les zones rouges »

Alors que plusieurs régions ont été décrétées zones rouges ces derniers temps dans le cadre de la politique gouvernementale visant à combattre le Covid-19, Satish Boolell, médecin légiste, plaide pour la préparation d’un plan intégré applicable dans ces zones. Il considère qu’un minimum de préavis est nécessaire avant de proclamer une région ou un village zone rouge. « On ne peut pas se réveiller un matin pour constater qu’on est en zone rouge », déplore-t-il, en estimant qu’il faut un minimum de temps pour permettre aux personnes concernées de faire leurs provisions et acheter des médicaments, notamment dans le cas des enfants et des vieilles personnes. Il propose que les autorités saisissent l’occasion de procéder à la vaccination des habitants des zones concernées.
Satish Boolell déplore aussi l’absence d’une vision gouvernementale pour améliorer le service dans les hôpitaux. Il critique la lourdeur des procédures pour le traitement des cas de négligence médicale dans les établissements de santé publics et souligne l’importance d’un système de Victim Support.

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On a connu une flambée du Covid-19 cette semaine. On a même enregistré en un jour 280 cas positifs. Quelle est votre évaluation de la situation ?
La situation est bien simple. Il y a une recrudescence de cas de Covid à travers le monde. Il y a des pays qui sont plutôt irrationnels dans leur approche. Par exemple en Angleterre où il y a eu des rencontres de football de l’Euro organisées sans aucun geste barrière. Maintenant, le Premier ministre Boris Johnson prend ses décisions sur la base du taux de vaccination de la population. Il y a eu une politique intense de vaccination et il compte dessus pour décider de sa stratégie.

Dans d’autres pays dont la France, la situation est différente. On assiste à un conflit d’ordre commercial en ce qui concerne les vaccins. Le fait réel est qu’il y a une recrudescence du variant Delta. Les chiffres ont pris l’ascenseur à Maurice. Je suis convaincu que le variant Delta est en fête chez nous. Ce que nous avons appris concernant ce variant, notamment dans les pays du Sud-Est asiatique et en Malaisie, c’est que son taux d’infection est très élevé. En quelques secondes, une personne peut être infectée par quelqu’un d’autre. Donc, les gestes barrières sont très importants et doivent être appliquées. Au cas contraire, le variant Delta se propagera.

Le nombre de cas à Maurice a enregistré une croissance rapide et il n’est pas normal qu’on refuse de dire la vérité à la population. La perception est qu’il y a manipulation. Certains tests sont effectués à l’étranger dont on ne connaît pas les résultats. L’opacité autour des chiffres à Maurice où tous les péchés sont mis sur le dos des dortoirs est révoltante.
Or partout où il y a des dortoirs non seulement pour les travailleurs étrangers mais également pour la police, la SMF, les pompiers, il y a des risques de propagation. C’est la raison pour laquelle il faut ouvrir les fenêtres dans les autobus transportant les passagers ou les employés. Je conseille aussi d’éviter autant que possible les climatiseurs. Les autobus doivent cesser d’utiliser l’air conditionné.

Vous pensez donc que le virus est toujours présent dans la communauté ?
Bien sûr. Il faut savoir que le masque réduit l’émission d’air par une personne par 80%. Les personnes vaccinées sont également protégées à 80%. Avec pour résultat que le risque de propagation, même réduit à 20%, est toujours présent. La climatisation dans les autobus ou dans les dortoirs peut faciliter la propagation du virus dans l’air. Nous sommes arrivés à un stade où il ne faut pas uniquement critiquer, mais il faut aussi proposer l’alternative.
Pour préparer l’alternative, qu’on cesse de se mentir à soi-même. On ne peut pas se permettre de faire une déclaration aussi irresponsable sur le plan international selon laquelle Maurice est relatively Covid-free. On peut ouvrir les frontières, mais il faut dire la vérité aux touristes. C’est-à-dire qu’il court le risque d’être contaminé. Qu’il vient chercher la mer et le soleil à ses risques et périls. Nous n’avons pas besoin de l’embêter car s’il est contaminé à Maurice, cela risque de détruire totalement l’image du pays à l’étranger et affecter l’industrie touristique.

On a connu ce problème avec l’affaire Michaela Hart qui a affecté sérieusement l’image du pays en Irlande. On n’a pas besoin de dire aux touristes que nos établissements hôteliers sont devenus des bulles Covid-free tout en sachant qu’aucun endroit ne peut se targuer d’être étanche au virus même si le risque de contamination est réduit du fait d’un environnement vacciné et des gestes barrières.

Que pensez-vous de la première phase de l’ouverture des frontières ?
Je ne suis pas d’accord avec la première phase de l’ouverture des frontières. Ce que je dis, c’est qu’il faut reconnaître que le Covid-19 est présent dans l’île, que nous faisons tout pour le contrôler. Nous avons des tests PCR et appliquons les gestes barrières. Et les touristes vaccinés peuvent venir et faire comme tout le monde à Maurice.

Il devra quand même passer par une période de quarantaine…
Certainement, mais cette période de quarantaine ne devrait pas être aussi rigide. Avant l’arrivée à Maurice, le touriste a déjà fait un test PCR. Il fait un nouveau test à Maurice et on s’assure qu’il est vacciné. Si une personne a été vaccinée et que son PCR est négatif, pourquoi devrait-on l’enfermer dans un établissement hôtelier ?

Après une brève période de rodage, puisque la plupart de ceux qui sortent d’un avion ont toujours un peu d’influenza, il pourrait circuler comme tous les Mauriciens en prenant les précautions sanitaires et respectant les gestes barrières. Cela aurait permis aux taxis et restaurateurs de reprendre graduellement leurs activités.

Et la façon dont la situation est gérée à Maurice ?
Je dois vous avouer que je m’interroge sur la façon dont les zones rouges sont imposées. Ainsi à la lumière des résultats des tests effectués la veille au soir, toute une région peut se réveiller le matin et se retrouver dans une zone rouge sans créer gare. Les habitants de ce quartier se retrouvent sans pain, sans argent, sans médicaments. Il n’y a eu aucun avertissement au préalable pour demander aux habitants de prendre un minimum de précautions.

Qu’est-ce une zone rouge sinon une Intensive Care Unit”. On n’admet pas un malade en soins intensifs à moins d’être sûr qu’on dispose de tous les moyens et de tous les médicaments nécessaires pour le soigner. Je suis convaincu que comme c’est le cas pour le mauvais temps, il faut qu’il y ait un avertissement.

De plus, les autorités doivent pouvoir disposer d’un plan intégré applicable dans la région concernée. Le but de la zone rouge est d’empêcher la circulation physique et humaine afin d’empêcher la propagation. Or actuellement, on a l’impression qu’une fois la zone rouge proclamée dans une région, le virus disparaîtra miraculeusement après quelque temps. Les malades sont admis dans des centres de traitement sans qu’on ne sache quel traitement ils ont suivi et quels médicaments ont été utilisés. Il n’y a aucune transparence à ce sujet.
J’estime qu’en premier lieu, l’entrée en vigueur d’une zone rouge doit être précédée d’un minimum de préavis afin de permettre aux habitants de la localité de faire des provisions, aux personnes âgées et personnes malades d’acheter des médicaments, aux parents d’acheter le lait pour leurs bébés. Il faudrait au moins un ATM mobile. Il faudrait mettre en place un mouvement restreint et permettre aux habitants concernés de sortir en ordre afin de s’approvisionner régulièrement.

Nous sommes dans un pays où beaucoup de personnes vivent au jour le jour. Après 15 jours, on suppose que le virus a été maîtrisé. Or, le virus ne sait pas qu’il dispose de 15 jours pour partir. C’est pourquoi je préconise une forme d’action affirmative dans les zones rouges : il s’agit d’offrir la possibilité à tous les habitants de la région concernée de se faire vacciner. Ainsi lorsqu’on lève la zone rouge, on est pratiquement certain que les personnes qui y vivent sont protégées. Ce qui n’est pas le cas pour le test PCR qui n’empêche pas la propagation du virus.

Outre une augmentation du nombre de cas positifs, on a aussi observé une augmentation du nombre de décès. Est-ce que cela vous inquiète ?
Je suis effectivement inquiet parce que je ne fais que constater qu’il y a des cas de mortalité que je ne peux pas interpréter. On annonce, par exemple, le décès de 20 personnes dans les centres de traitement dont seulement cinq sont dus au Covid. On ne sait de quoi les 15 autres sont décédés. En tant qu’experts en certificat médical, je considère que c’est la dernière maladie qui doit être considérée comme cause du décès. J’ai consulté plusieurs spécialistes à ce sujet. Ils sont tous d’accord que c’est la dernière goutte d’eau qui doit être considérée comme la cause du décès. Une personne peut être atteinte de cancer et est en traitement. Son système immunitaire est déficient. Elle attrape le Covid et meurt. Ne venez pas me dire que le décès est dû à l’insuffisance rénale ou au cancer ou à de Multi System Failures”.

Nous ne sommes pas le Créateur, nous ne savons pas si la personne aurait pu vivre encore cinq ans. Il faut cesser de nous leurrer et reconnaître que la personne en question est décédée du Covid-19 et ne pas nier cela uniquement pour les besoins des statistiques afin de présenter une bonne image de Maurice et pouvoir dire que nous sommes “relatively Covid- free”.

Quid de la campagne de vaccination ?
Je ne m’associe pas à la philosophie de certaines personnes qui demandent aux autres de ne pas se faire vacciner parce que j’ai moi-même j’ai été vacciné. Je reconnais qu’il ne faut pas forcer une personne à se faire vacciner. Cependant, cette personne doit être au courant des risques qu’elle court et ne peut pas imposer sur sa compagnie qui doit protéger ses employés les risques auxquels il est exposé.

Je vous dis franchement que je ne serais pas d’accord qu’une personne qui n’a pas été vaccinée et qui est contaminée se retrouve dans le même restaurant que moi. Autant je respecte ses droits à ne pas se faire vacciner et d’assumer ses risques et périls, autant elle ne peut pas venir m’imposer son choix en mettant des affiches sur des Billboards pour me dire qu’elle ne veut pas que je me fasse vacciner. La vaccination ne peut pas se faire dans la coercition, mais la pandémie est une situation de guerre. Si je travaille dans un endroit où une personne n’est pas vaccinée, j’insisterai pour qu’elle porte son masque à plein-temps alors que ceux qui sont vaccinés ont le droit de l’enlever dans des endroits restreints.

Certains enseignants ont protesté contre le fait qu’ils sont forcés de se faire vacciner pour pouvoir travailler. Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas le fait qu’ils soient vaccinés au pas qui m’intéresse, mais la nécessité de protéger les enfants, les collégiens. Je suis en faveur de faire vacciner les enfants à partir de l’âge de 12 ans comme c’est le cas en Allemagne. De toutes les façons, les enfants sont habitués d’avoir des vaccins. Même les filles d’un certain âge sont vaccinées contre la rubéole. Je respecte ceux qui choisissent de ne pas se faire vacciner, mais ils ne pourront pas déranger le bon déroulement d’une société qui se protège en vue de la réouverture de l’économie.

Pour revenir au problème de mortalité, je suis d’avis qu’avant d’enterrer ou d’incinérer une personne, un service sanitaire doit faire un Swap sur cette dernière. Il faut connaître la vérité, surtout en ce qui concerne les vieilles personnes. Cela nous permettra de savoir si la famille est en sécurité. Je vous assure que lorsque j’ai été appelé à faire des autopsies, le médecin légiste et moi avons insisté pour qu’il y ait un test PCR sur le cadavre afin de s’assurer que le corps n’est pas infecté et ne pas mettre le personnel et nous-mêmes en danger. Au cas où la dépouille serait positive, on ne ferait pas d’autopsie. Je comprends le droit à la différence, mais ce droit s’applique pour moi aussi.

Et ce qui se passe dans les dortoirs vous inquiète-t-il aussi ?
C’est vrai que dans les dortoirs, il y a beaucoup de personnes qui ont déjà eu deux doses de vaccins et qui ont été testées positives. Quelle est la solution ? À mon avis, il est important de savoir quel vaccin on a injecté à ces personnes. Il faut savoir que les vaccins ont été achetés. Les citoyens mauriciens paient pour leur vaccin. Ils ont le droit de choisir quel vaccin ils souhaitent avoir.

En tant que médecin, je reçois tous les jours des personnes qui me demandent quel vaccin choisir. Comme un consommateur, il doit savoir. Nous sommes donc en droit de savoir quel vaccin a été administré à ceux qui ont obtenu deux doses, qui ont été infectés et ont infecté d’autres.

Que proposez-vous pour améliorer la campagne de vaccination ?
Le mode de vaccination laisse à désirer. Il n’est pas possible qu’une personne doive attendre trois heures pour se faire vacciner. À force d’attendre, une personne a trouvé la mort à Curepipe. Je pense qu’à un certain moment, il faudrait privatiser la vaccination et permettre aux institutions privées de faire davantage de vaccins. Il faut aussi permettre aux pharmaciens d’avoir les vaccins. Il faut rendre l’accès aux vaccins plus facile mais en même temps il faut permettre à ceux qui le veulent de faire le choix entre les différents vaccins disponibles.

Vous êtes bien placé pour évaluer le système de santé à Maurice qui très critiqué ces derniers temps. Qu’en pensez-vous ?
La santé s’inscrit dans le cadre de l’Etat-Providence où tout est gratuit. Je n’ai pas de problème contre cela. Nous constatons que le nombre de personnes qui fréquentent les hôpitaux augmente. Il se trouve qu’une personne peut avoir une carte pour l’hôpital de Candos, une autre pour l’hôpital de Moka, et une autre pour l’hôpital Civil, etc.
Chaque nouveau ministre prend plaisir d’annoncer que le service de santé sera informatisé. Avec une population de 1,3 million d’habitants, il est facile de savoir où se trouve le dossier d’une personne.

Il est également très important d’assurer la formation continue des médecins ou faire venir des spécialistes de l’étranger afin d’assurer cette formation. Or dans le dernier budget, on annonce la possibilité pour les médecins étrangers de travailler à Maurice. Au lieu de former ceux qui sont à Maurice, nous importons les médecins. Il y a beaucoup de médecins étrangers à Maurice, certains ont eu la nationalité mauricienne en épousant des Mauriciens et opèrent dans le privé.

Dans les hôpitaux, les spécialistes peuvent travailler dans le privé afin de réduire la demande sur les hôpitaux. Or, en fin de compte, les hôpitaux sont laissés pour compte. Je suis d’avis que le budget pour la santé aurait dû prévoir un investissement pour le soutien logistique dans les hôpitaux. Il faut que les hôpitaux deviennent aussi bons que les cliniques et il faut donner des facilités techniques dans les hôpitaux. Il faudra digitaliser le service de radiographie. Il y a beaucoup de secteurs qui peuvent être améliorés. J’admire le système du Samu. C’est un des plus beaux fleurons de la médecine à Maurice. Il y a beaucoup de potentiel à Maurice.

Mais je comprends que quelqu’un susceptible de devenir un grand spécialiste appréhende l’idée de faire venir des médecins de l’étranger. Il sait que celui qui arrive a peu de chance de repartir et détruira ses aspirations. Il faut que les hôpitaux puissent offrir des facilités que même les cliniques ne peuvent offrir.

Malheureusement il n’y a pas une vision pour améliorer le service dans les hôpitaux. Nous gérons au quotidien. Je prends un exemple. Nous avons un excellent centre cardiaque au Nord. Par la suite, on a installé un centre cardiaque admirable à Candos. C’était une bonne initiative allant dans le sens de la décentralisation. Malheureusement, on ne l’a jamais utilisé. Voilà qu’on annonce un centre cardiaque à Côte-d’Or. Pourquoi ne pas améliorer le potentiel du centre de Candos ? On construit actuellement le bel hôpital pour cancer de MedPoint. Si dans le privé, on peut décentraliser le traitement du cancer, pourquoi ne pas le faire dans le public ?

Quid des négligences médicales qui semblent devenir récurrentes ?
La négligence médicale intervient lorsque le Duty of Care n’est pas respecté par le médecin. Si le devoir n’est pas respecté, cela donne lieu à un désastre. Malheureusement, dans le secteur public, le traitement d’un cas de négligence est confronté à la lourdeur des procédures administratives avant que le dossier arrive au Medical Council.
Par contre, une erreur commise dans le privé est référé directement au Medical Council. Je demande aux autorités concernées de faire une évaluation des services où il y a eu des négligences médicales avérées. Il y a un problème au niveau gynécologique et au niveau des personnes âgées. Je crois que le Medical Council a failli à son devoir de mettre de l’ordre parmi ceux qui n’ont pas été à la hauteur.

Faut-il sanctionner ceux qui ont commis des erreurs ?
Je suis contre les sanctions mais je suis en faveur d’une politique de vérité. Malheureusement, ce sont les personnes au bas de l’échelle qui sont le plus souvent affectées par des cas de négligence. Ensuite, il y a les femmes qui souffrent. Le problème est qu’il n’y a aucun moyen de demander réparation. C’est la raison pour laquelle je souhaite la mise en place d’un système de Victim Support au niveau de la santé. Pourquoi les Ong ne sont-elles pas formées pour souvenir les malades ?

Le mot de la fin…
Je voudrais dénoncer le fait qu’un ministre puisse se permettre de révéler publiquement les antécédents d’une personne décédée à l’Assemblée nationale.

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