Sentiment d’exclusion, Roche-Bois ne va pas bien

Il y aurait un sentiment de frustration, que seuls les laissés pour compte du développement ne peuvent comprendre, qui flotte dans l’air à Roche-Bois. La région, qui donne sur une autoroute qui mènera vers un des plus grands chantiers que connaîtra le pays, a l’impression qu’elle ne sera pour toujours qu’un témoin du progrès. Après avoir connu une stabilité sociale, une prise de conscience de l’importance de l’éducation, entre autres, le sentiment d’exclusion est en train de refaire surface. Ajoutée à cela, la drogue synthétique, laquelle a connu une telle ascension que son “succès” auprès d’une jeunesse perdue aurait, dit-on, dépassé celui de l’héroïne vingt ans plus tôt ! La déscolarisation des adolescents et le faible pourcentage (28%) de réussite aux examens de fin de cycle du primaire à Emmanuel Anquetil GS inquiètent des travailleurs sociaux.

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Alors qu’elle a mené un long combat pour encourager la scolarisation des enfants et adolescents dans différentes régions de Roche-Bois et ses alentours, une travailleuse sociale concède avec regret “avoir fait des pas en arrière”. Depuis quelque temps, dit-elle, des jeunes en âge d’être en Lower Secondary délaissent le collège pour passer du temps dans les rues. Ils ont, explique-t-elle encore, découvert un moyen facile de se faire de l’argent en se prêtant au trafic de la drogue synthétique. L’optimisme qui avait gagné les travailleurs sociaux, principalement ceux qui interviennent auprès des enfants, il y a encore deux ans lorsqu’ils évaluaient l’impact des programmes d’accompagnement et faisaient un bilan de la vie sociale à Roche-Bois a cédé la place au pessimisme. Pour cause, la drogue synthétique et le trafic qui y est associé ont fini par recréer le sentiment d’insécurité qui prévalait dans les rues de Roche-Bois il y a une dizaine d’années de cela. “La situation est catastrophique”, se désole Lindsay Morvan, directeur du Mouvement pour le Progrès de Roche-Bois. Tout en précisant qu’il n’exagère pas dans son constat, Lindsay Morvan explique que, “la vitesse à laquelle la drogue synthétique est en train de faire des dégâts est plus virtigineuse que l’héroïne dans les années 1990-2000 !” Qui plus est, cette “situation catastrophique” dont parle le directeur du MPRB est de plus en plus visible dans les quartiers de la région. Si le trafic de la drogue synthétique ne se fait pas toujours au grand jour, en revanche les effets de sa consommation sur ses adeptes eux sont voyants. Comble d’ironie, selon Lindsay Morvan, même la présence d’un poste de police au coeur de la cité est loin de dissuader les toxicomanes. “Nous nous sommes battus pour avoir un poste de police à Roche-Bois. Mais la vente de la drogue se fait à une centaine de mètres du poste !” explique ce dernier. Et de confier: “Si je dois faire appel à une intervention policière, je préfère composer le 148 que d’appeler la police de Roche-Bois.” Il y a peu c’est l’atelier MoZ’art qui a fait les frais du comportement des toxicomanes, lesquels ont “une base” à côté de la structure. Et aussi dans le jardin sir Gaëtan Duval!

Le réveil des vieux stigmates
La présence de la drogue dans la cité où elle a grandi n’a pas échappé à Lylianne Selmour. En vacances dans son quartier, la Rocheboisienne vit dans le sud de Londres. Service coordinator dans un centre hospitalier anglais, Lylianne Selmour trouve que Roche-Bois a fait de grands progrès, mais du progrès essentiellement des côté de la cité, à l’entrée du Port, là où il y a moins de squatters, moins de familles d’origine rodriguaise. Roche-Bois, se plaît-on toujours à rappeler, est scindé en deux par l’autoroute. Il y aurait comme deux territoires, d’un côté la cité et de l’autre côté, Karo Kalyptis, Batterie-Cassée et le reste. “La manifestation du groupe Zenfan Roche- Bois pour réclamer du travail dans le port ne concerne pas l’ensemble de Roche-Bois. Ils ne peuvent pas prétendre parler au nom de tous les Rocheboisiens. Il est temps de comprendre que la Cargo Handling Ltd ne peut pas vous recruter de facto parce que votre père ou votre grand-père a été un employé du port.

De nombreuses personnes de Roche-Bois travaillent dans le port! Il ne faut pas faire l’amalgame des quartiers quand il y a un problème. Il en a été de même lorsque des habitants avaient manifesté à cause des inondations. Une partie de Roche-Bois avait été effectivement été très affectée par les intempéries, mais pas toute la région !” explique sur un ton exaspéré un résident de la cité de Roche-Bois. De son côt,é Lindsay Morvan est d’avis que la frustration des laissés pour compte du développement et de l’emploi est compréhensible. Bien souvent otages des politiques, ils se retrouvent seuls face à leur désillusion au moment des recrutements. Il est difficile, ajoute-t-il, de contenir son mécontentement quand l’on reste sur le banc de touche alors que des habitants du Sud du pays ou autres régions éloignées sont recrutés. D’autre part, “il y a eu une prise de conscience sur l’importance de l’éducation”. Ce qui a eu pour résultat de brillantes performances académiques. Il cite le lauréat de la cuvée 2016 en filière économique, Rony Busviah, “toutefois, lorsque l’emploi ne suit pas, parce qu’il faut un backing, les frustrations surgissent”.

Les cerveaux, ceux qui ont réussi dans la vie grâce à l’éducation et un mode de vie basé sur le respect des valeurs sont loin des quartiers les plus touchés par la précarité. Mais qu’importe le côté où l’on se trouve à Roche-Bois, la drogue synthétique, elle, ne fait pas de distinction entre les quartiers. “Des personnes, dont des délinquants, viennent de partout pour acheter des produits synthétiques à Roche-Bois”, se désole Frédéric François, musicien du quartier. Ce dernier explique que la situation qui y prévaut a réveillé les vieux stigmates, au temps où on qualifiait Roche-Bois de faubourgs dangereux.
28% de réussite au PSAC

De par sa situation, Roche-Bois est au plus près des grands symboles du progrès. A commencer par le port. Mais Roche-Bois n’est qu’un témoin lointain du développement. Lindsay Morvan ne digère toujours pas le fait qu’après la pose de la première pierre d’une piscine, la construction eut lieu à Plaine-Verte. “Une piscine aurait permis de détecter d’autres championnes, après Sarah-Jane Olivette”, dit-il. Il insiste que l’absence de politique et de structures de loisirs à Roche-Bois est un mal qui fait grand tort à la jeunesse de la région. Lylianne Selmour observe le progrès autrement. A chacune de ses visites dans la région, elle constate, dit-elle, une évolution dans les logements à la cité, une évolution dans la mentalité et l’émergence de petits commerces. Mais pour Lindsay Morvan, derrière cette façade, “Roche-Bois ne va pas bien en ce moment”. Il n’y a pas que l’emprise de la drogue synthétique dans la région qui inquiète le directeur du MPRB, il y a ausssi la déscolarisation de certains enfants.

Au MPRB, le centre qui dispense un programme de soutien scolaire aux jeunes, une vingtaine de jeunes âgés de 12 à 16 ans déscolarisés ont été pris en charge. A l’école Emmanuel Anquetil GS, le taux de réussite au récent Primary School Achievement Certificate a drastiquement chuté après avoir connu une remontée il y a quelques années. Il est passé à 28% en 2017!

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