Shweta Seebaluck, chauffeur : Son taxi, sa liberté

Même si elle doit « roule enn zourne » et « koze enn zourne », Shweta Seebaluck est, dit-elle, plus que jamais heureuse d’avoir choisi le métier de chauffeur de taxi et qu’elle exerce depuis deux ans. Jusqu’à mars 2020, ses clients étaient pour la quasi majorité des touristes. Ancienne employée d’hôtel et guide touristique, Shweta Seebaluck, comme beaucoup, attend la réouverture complète des frontières pour retrouver le chemin de l’aéroport et les circuits qu’elle connaît par coeur.

- Publicité -

Elle a grandi et vit à Triolet. « Mo enn zanfan Triolet », se plaît-elle à dire. Elle est une femme libre, indépendante, ambitieuse et déterminée. Shweta Seebaluck, 38 ans, sait ce qu’elle veut et grâce à son taxi, elle peut aller dans la direction — au sens propre comme au figuré – qu’elle veut. Elle a du caractère, Shweta Seebaluck ! Et ne s’en cache pas. Il en faut pour faire son métier. Dans le rétroviseur de son grand véhicule de sept places, le client doit voir en elle une professionnelle en qui il peut avoir confiance. Et quand il lui fait remarquer « ou pa roul brit », la chauffeur est ravie du compliment. Pour ce qui est de la destination, il n’y a aucun souci. Shweta Seebaluck connaît Maurice et ses recoins comme sa poche. Elle a été guide touristique et a travaillé avec différents tours opérateurs dans le passé. D’ailleurs, son carnet d’adresse est toujours d’actualité.

Elle attend octobre pour

faire de longs kilomètres

Il y a encore deux ans, la jeune femme faisait visiter l’île à des touristes en quête d’évasion. En italien, en hindi, français ou anglais, Shweta Seebaluck les faisait non seulement découvrir le pays, mais assurait aussi leur moindre déplacement durant leur séjour, ainsi que leur transfert. Depuis 2019, elle s’est mise à son compte. Son taxi est principalement destiné à des circuits touristiques. Mais depuis le confinement de 2020, la donne a changé pour la chauffeur. Elle s’est tournée vers la clientèle locale et n’a pas pour autant chômé. Mais Shweta Seebaluck n’a qu’une hâte : qu’arrive le 12 octobre. Le compte à rebours a commencé pour elle. “La dernière fois que j’ai véhiculé un client étranger remonte au 17 mars 2020. Je l’avais déposé à l’aéroport.”

Ses prochains clients qui arriveront d’Autriche ont déjà réservé ses services. “Ils assisteront à un mariage et c’est moi qui vais assurer leur transport”, dit-elle avec le sourire dans la voix. D’autres clients, des Mauriciens en déplacement au Canada, rentreront eux au pays quelques jours plus tard. Et si le tourisme redémarre, Shweta Seebaluck sillonnera à nouveau les routes les plus dépaysantes, fera de longs kilomètres avant de rentrer chez elle exténuée, bien souvent dans la soirée. Mais Shweta Seebaluck n’est pas très optimiste. Les réservations ne sont pas légion. Tout en croisant les doigts pour des arrivées touristiques, elle confie qu’elle a fait son choix de carrière sans regret, son métier, dit-elle, assure aussi son confort économique et sa retraite. À 38 ans, elle y songe déjà. “C’est décidé ! J’arrêterai de travailler à 55 ans pour profiter de la vie. Je voyagerai et je me ferai plaisir”, dit-elle.

“Be neat and clean”

Quand elle ouvre la porte de son taxi pour laisser entrer un client, Shweta Seebaluck se présente toujours en pantalon et chemisier à manches longues. “Jamais de savates aux pieds”, insiste-t-elle. Il n’est pas question d’afficher une apparence négligée. Le maquillage est discret. Shweta Seebaluck fait de sa tenue une question de principe. De ses 17 années passées dans le secteur du tourisme, elle a retenu et applique toujours des règles de grooming et qui la démarquent de ses collègues masculins, dit-elle confiante. « La première impression compte. Ma devise est be neat and clean. » 

C’est à la fin de ses études secondaires à la SSS de Port-Louis que Shweta Seebaluck opte pour la filière du tourisme. “Je me suis inscrite au cours de Tourism and Management à l’Université de Technologie”, dit-elle. Mais elle interrompt ses études pour entrer de plain-pied dans l’hôtellerie, où elle débute comme réceptionniste. Alors que son père, Premlall Seebaluck, gère sa plantation et des véhicules agricoles et son business de camions, Shweta, elle, ne fera pas comme sa jeune sœur Diya. Cette dernière, aujourd’hui âgée de 23 ans, est aussi chauffeur, mais de camion. « Elle aide mon père et fait le transport des employés. Dès fois, il m’arrive de dépanner mon père, je prend son camion pour déposer ses employés « , explique Shweta Seebaluck.

Dans l’hôtellerie, elle a gravi les échelons pour devenir Guest Relation Officer avant guide touristique. « Après 17 ans dans ce milieu, je commençais à ressentir une fatigue qui ne me convenait pas. Si je voulais faire autre chose de moins contraignant, il me fallait devenir mon propre chef. Mo’nn reflesi, mo’nn desid pou pran enn lisans taxi. Mo frer, Bhavish, ena so patant. Nou travay ansam », raconte la chauffeur. Et depuis, dit-elle, « mo happy kot mo ete. »

Les « klian misie » jamais sans leur « madam »

La première fois qu’elle a pris le volant de son taxi pour faire une course, c’était pour le compte de clients qui séjournaient dans un hôtel de luxe où elle-même avait exercé. « Mo ti in pe per. Mo ti bizin lev valiz », se souvient-elle. Mais quand à la fin de la journée elle a reçu un généreux pourboire, elle avait compris que « klian ti bien satisfe. » La plupart de ses clients étrangers, dit-elle, viennent passer leurs vacances à Maurice en famille. Ce qui lui convient. « Je me sens en sécurité. Et puis, les étrangers ont l’habitude des chauffeurs de taxi femmes. À Maurice, on s’en étonne encore un peu. Je ne suis pas la seule ici, mais nous ne sommes pas nombreuses », dit-elle.

Si la chauffeur ne rechigne pas sur la clientèle masculine locale, elle explique que c’est parce qu’elle connaît ceux qui font appel à elle et qui sont depuis fidèles à ses services. « Mo bann klian misie akonpagne par zot madam. Parfwa kan zot telefonn mwa, avan mem ki mo poz zot kestion, zot fini dir mwa pa traka, zot madam pe vinn ar zot. Arive kot madam asiz devan, misie asiz derier », raconte Shweta Seebaluck en riant. Cette dernière concède que par les temps qui courent, elle ne prend pas de risques inutiles. Et continuant sur le ton de la confidence, elle explique qu’après des courses, il lui arrive de recevoir des demandes d’amis sur les réseaux sociaux. « Je les ignore ! » Son cœur est pris. Et puis, Shweta Seebaluck, n’a de cesse de le répéter : « Je tiens à mon indépendance ! » À bord de son taxi, elle est à la première loge pour observer l’émancipation de la Mauricienne. « Les Mauriciennes s’affirment de plus en plus. Elles sortent, sont indépendantes. Quand c’est une chauffeur qui les véhiculent, elles se sentent davantage en sécurité. Elles savent qu’elles peuvent, par exemple, aller au pub et rentrer chez elles en toute tranquillité. » Quant à elle, les seules sueurs froides qu’elle a connues jusqu’ici sont des pannes, sans gravité, et qu’elle a pu régler.

« Depi dimans (ndlr : dimache dernier), mo dan lakaz », se désole notre chauffeur. Les sorties pour ses clients, si ce n’est que pour des rendez-vous médicaux, en ce temps de crise économique se font rares. Shweta Seebaluck profite de ce créneau pour cuisiner. « J’adore faire à manger. Mo kwi briani, bann ti gato indien, bann cakes. C’est ma passion », précise cette dernière. Elle s’occupe aussi de « bébé », son cateau vert. L’oiseau, qui vit en toute liberté chez elle, tient une place importante dans sa vie. Conduire à travers l’île lui manque. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle n’accorde pas une attention particulière à son véhicule. Elle le bichonne. « À chaque fois que je fais mes courses au supermarché, je lui achète un gadget », dit-elle.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -