ÉTUDES TERTIAIRES: Le grand envol

Les résultats du HSC sont tombés. Pour beaucoup, il s’agit d’une page à tourner, souvent à l’étranger. Mais entre le rêve et la réalité, la marge est parfois grande.
« Tu verras, s’en aller n’est pas si simple », « Je me souviens… » ou encore « Je vivais ici ». Ce sont quelques-unes des réflexions de parents dont les enfants s’envoleront bientôt pour poursuivre leurs études à l’étranger. Et certains ne manqueront pas d’évoquer « letan margoz » quand eux-mêmes étudiaient dans un autre pays. Sempiternel refrain de ceux qui « savent tout ». Des « oui, je sais déjà », des « ayo, tonn deza dir sa ». Et l’on verra son cher rejeton se mettre à rêvasser à un départ vers une nouvelle liberté.
Ces nouveaux pâturages, on les voit verts. La faute souvent à la culture pop, aux séries culte. On se souvient de Felicity, de la série éponyme (de J. J Abrahams), qui arpentait les rues new-yorkaises, partageait une chambre d’étudiant avec une marginale punk/gothique, travaillait à temps partiel chez Dean & Deluca, entre autres. C’était dans les années 2000. De là émerge un spin-off français : La Vie devant nous, en 2002. Et encore la tentation d’idéaliser : les rues de Paris, le froid, l’accent, les bâtiments, les gens différents, des amitiés soudées, et enfin, la possibilité de l’amour. On se voit bien partager la vie de ces personnages sympathiques. Avant le départ, l’imaginaire de l’insulaire est une éponge. Quand on est entouré d’eau, l’appel du large prend tout son sens.
Recul
La rêverie se poursuit dans l’avion. Premier départ. Dans l’Airbus remplis d’étudiants, on voit des parents aux mines tendues, des enfants plus ou moins gaillards à l’idée de recommencer ailleurs. On est encore sur un petit nuage. Le Mauricien veut devenir Australien, Anglais ou Français. Mais l’avion finit par atterrir. Passé les portes de l’aérogare, le premier contact avec l’air de là-bas – on prend du recul. Une seule réalité : étranger.
Gavin* se souvient encore de son arrivée à Melbourne. C’était l’hiver. Son oncle était venu le chercher. « Je sors sur le parking, le vent sec transperce mes vêtements, dit-il, ce n’était pas facile d’arriver l’hiver. » Et en route, des voitures partout, une voix nasillarde à l’autoradio – des sens littéralement bombardés. « Mais le vrai dépaysement commence toujours par les transports en commun, soutient-il, et par solitude de la chambre. » La notion de distance est totalement bousculée. L’indifférence du regard difficile à gérer au départ. « C’est bizarre. On entre dans le bus, le train – pas de gens qui vous toisent. Voilà le véritable anonymat. Pa kouma Maurice enn dimounn rant dan bis tou dimounn chek li ». Et d’observer : « Si l’on vous fixe dans les transports publics, c’est que ça doit être un Mauricien qui se dit “pa enn morisien ki pe asize laba ?” ». Nul n’est prophète en son pays. Gavin aura redécouvert son mauricianisme. « On n’est Mauricien qu’à l’étranger » entend-on parfois. Les départs sont parfois des retours vers soi, serait-on tenter de commenter.
Blues
« Laba to pou kone ki apel tousel. » Ganesh*, qui étudie à Londres, se souvient des mots de son père. « La solitude, c’est quand on est dans sa chambre — une cellule presque – là à regarder le plafond pendant que la ville, elle, continue à vivre. » Difficile à gérer cette espèce de silence pendant que d’autres bougent. « C’est comme ça les premières semaines. Les cours n’ont pas encore commencé. L’université est à deux minutes. Pas grand-chose à faire… On se fatigue, même de dormir ». Coup de blues quand tu nous tiens. Certains professeurs de secondaire se délectent de ces petites anecdotes de ces loups qui, en études, deviennent des brebis. « Enn felonn finn al aprann en Russie. Ti pe fer dezord lekol isi. Me laba ou aret fer mari bien… Ou al manz salad corned-beef avek biscuits au chocolat » – exemple que prend souvent Michel*, enseignant dans un collège des Plaines-Wilhems.
Survient alors le besoin d’apprivoiser sa solitude. Ce sera la musique pour certains. Beaucoup de garçons se mettront à la guitare ou commenceront la gym. Ce sera l’écriture pour d’autres. Si au départ on se croyait étoile montante au collège, membre d’un student council, on se retrouve, au départ de l’université, aussi paumé que le « ringard qui écume la salle informatique », que celui qui ne joue ni au foot, ni au basket, ni aux cartes. Mais également, de grandes disparités physiques. « 1m77 à Maurice, c’est grand… là-bas (NdlR, à Melbourne) je suis devenu petit physiquement, très average » dit Gavin. La roue tourne.
Redémarrer
Changer de cadre, prendre un nouveau rythme à l’extérieur – un apprentissage proche du chômage. Mais de Bécaud à Johnny, il est possible de très vite muter du « Et maintenant, que vais-je faire ? » à « L’envie ». Car c’est bien de cela dont il s’agit. Avoir l’envie d’avoir envie. Et là encore, sempiternel refrain. Les bases d’une bonne hygiène de vie : ne pas « laisser filer la journée », toujours essayer d’être en avance, balayer l’atermoiement. Et se conditionner. Beaucoup de jeunes de retour d’études avouent que le rythme mauricien est relativement à deux de l’heure. L’emploi du temps du collégien local est d’ordinaire assez espacé alors qu’aux USA, par exemple, certains highflyers fonctionnent dans des créneaux de 15-30 minutes.
Mais également, il serait souhaitable de faire fi de la perception selon laquelle notre Cambridge HSC est garant d’un niveau d’excellence. Par exemple, on entend souvent dire que le niveau en Australie est bas, qu’avec la HSC, « on est en avance ». Faux. Ou du moins, pas toujours vrai. Ne surtout pas sous-estimer la pédagogie utilisée dans les pays développés car le comble serait qu’un pays développé ait un système d’éducation sous-développé.
Le trouble des débuts, les soubresauts et cette épreuve passés, il n’est pas rare de voir ces mêmes paumés revenir au pays pour des vacances affichant le meilleur sourire, s’exposant en panneau publicitaire parfois. Letan margoz – ou une tendance à occulter les moments difficiles. Mais laissons au folklore l’élégance de rétablir certaines vérités. « Ala krab bez so ledwa », voilà qui est bien chanté.

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