Ce 29 juin 2025, la rue Meldrum à Curepipe a vu sa tranquillité suspendue par une effervescence bien particulière. La maison de Guy Gnany s’est transformée en havre de mémoire, de gratitude et d’émotion. Alité mais rayonnant, le centenaire fêtait, ce jour même, ses 100 ans, entouré de ses enfants, de ses proches, de voisins, d’amis de toujours.
Endimanché pour l’occasion, avec le nœud papillon blanc et ce sourire des grands jours, Guy Gnany affichait la sérénité de celui qui regarde derrière lui sans regret. Il est désormais le 25e homme centenaire de Maurice vivant, un maigre chiffre, d’autant que le pays compte près de 170 femmes centenaires. Un déséquilibre qui, dans l’assistance, a inspiré cette remarque bien sentie : « Bann fam tro fatig zom… »
La célébration, tenue dans son salon et sa chambre même, a réuni une cinquantaine de personnes dans une ambiance à la fois chaleureuse et pleine de respect. Il y a eu les rires, les souvenirs, les accolades, et un petit moment protocolaire. En l’absence du ministre de la Sécurité sociale, Ashok Subron, retenu par d’autres engagements, des officiers du ministère sont venus porter les hommages officiels. Leur discours, très attendu, un peu trop formel peut-être, a été pimenté par un léger couac protocolaire : le nouveau maire de Curepipe, Sunjeevsing Dindyal, a été présenté, par erreur, comme celui de Vacoas-Phoenix — une confusion qui a déclenché quelques sourires complices des convives.
Malgré cela, les représentants de l’État n’ont pas lésiné sur les hommages : cadeaux, fleurs, médailles et chèques sont venus saluer cette vie longue et digne. Et le doyen du jour, entre un sourire discret et une larme fugitive, accueillait chaque geste avec une gratitude touchante. L’émotion flottait dans l’air, mais la joie — sa joie ! — était contagieuse. Il la partageait avec ses enfants, visiblement émus eux aussi, et fiers de cet homme-là.
Une vie professionnelle marquée par le devoir
Roland Pierrus, avec le soutien de sa fille Danielle, a eu l’honneur — et la délicate mission — de retracer les grandes lignes de la vie de Guy Gnany. On y apprit que ce dernier, né le 29 juin 1925, grandit à Beau-Bassin, rue Trotter, chez ses grands-parents maternels Aurèle et Adèle Feillafé.
C’est à l’âge de 15 ans qu’il vint habiter à Curepipe avec sa mère, Marie Lydie Merle-Feillafé, et sa sœur Paulette chez les Rivet, à la rue Naz. Il ne connut jamais son père, Félicien Marcel Gnany, décédé alors que sa mère, Lydie, n’était enceinte que d’un mois. Ce départ prématuré forgea très tôt chez lui un profond sens du devoir et une remarquable résilience.
Ancien élève du collège Royal de Port-Louis, alors connu sous le nom de La School, il entre très jeune dans la vie active. Son premier poste ? Le journal Le Mauricien, où il s’est investi davantage après le décès de son beau-père, Raoul Rivet, jusque-là directeur du journal en 1957. Selon le discours, on raconte qu’il s’est senti investi d’un devoir moral envers sa fratrie d’orphelins. Il y apporta son savoir-faire en administration avant de poursuivre une carrière exemplaire dans la fonction publique.
Il intègre d’abord le Central Board sous l’administration britannique, devient ensuite expert-comptable, puis rejoint le ministère des Coopératives, qui lui confie une mission aux îles Fidji pour une enquête sur le secteur sucrier. Après un passage au ministère du Logement, il termine sa carrière au ministère des Finances. Une trajectoire toute en discrétion, mais empreinte de sérieux et de rigueur.
Un homme de cœur, enraciné dans sa famille
Guy Gnany, c’est aussi une mémoire vivante de Maurice. Passionné de politique et d’histoire sociale, il suit encore aujourd’hui les débats parlementaires, avec cette touche d’ironie et d’esprit critique qui le caractérise. Il commente encore les interventions des parlementaires avec autant d’humour que de bon sens. Historien à sa manière, conférencier à ses heures, il prépare même son autobiographie — car oui, il en a des choses à raconter ! Et il ne manque pas d’anecdotes inédites… familiales, professionnelles et personnelles! Et de secrets dévoilés qu’il ne faut dire à personne ! On peut en dévoiler les contours quand il insiste à nous montrer une photo qui en dit long sur son allure sûre, son regard fier de tombeur…
Marié à Jacqueline Bijoux, il fonde avec elle un foyer dans cette maison même, à la rue Meldrum, où ils se sont installés il y a plus de 70 ans. Ensemble, ils ont élevé trois enfants : Guy Junior, dit Guito, Danielle et Didier. Le tout, avec l’aide précieuse de Mina, nounou fidèle au poste pendant 34 ans. Il est aussi le fier grand-père de quatre petits-enfants et arrière-grand-père de cinq arrière-petits-enfants. Dimanche, la présence des voisins a rappelé aussi combien les liens tissés dans le quartier ont traversé les âges. Guy Gnany, homme affable, a su cultiver ces amitiés durables.
Cette demeure, « la maison du bonheur » comme l’appelle tendrement Danielle, a vu défiler les rires, les fêtes, les vacances, les souvenirs partagés, mais aussi les départs douloureux de deux membres de sa famille : son épouse Jacqueline et une année plus tard, son petit-fils Mathieu, parti dans des circonstances tragiques. Malgré ces coups durs de la vie, le patriarche s’est toujours relevé…
Un optimisme contagieux
Doté d’une mémoire exceptionnelle, Guy Gnany est capable d’évoquer les moindres détails de son enfance, comme les grands tournants de sa vie professionnelle. Il incarne cette jeunesse d’esprit qui ne s’émousse pas avec l’âge : un optimisme contagieux, une dignité face à l’adversité, et une joie de vivre qui force le respect.
Il racontait encore récemment les difficultés qu’il avait surmontées dans sa jeunesse pour en arriver là. Et pourtant, c’est avec une humilité désarmante et une lueur malicieuse dans les yeux qu’il accueillait les hommages. Un verre de whisky à la main — interdit, certes, mais bien dilué —, il savourait l’instant avec un plaisir amplifié par la transgression.
Ce 29 juin 2025, c’est une génération entière qui lui a rendu hommage. Guy Gnany est à la fois témoin d’un siècle, pilier d’une communauté et modèle de résilience. Lorsqu’on a, presque solennellement, évoqué l’idée de fêter ensemble ses 101 ans l’an prochain, il a simplement hoché la tête, le regard pétillant, comme pour dire : « Je vous attends ! »
Bon anniversaire, Monsieur Guy Gnany. Merci pour ce siècle de sagesse, d’engagement et d’humanité, a conclu, ému, Roland Pierrus. Et de citer les mots que le centenaire aime tant répéter :« Écoutez-moi bien : sans EFFORT, vous n’obtiendrez RIEN… Même si vous échouez, cet EFFORT ne sera jamais perdu ! »