Des véhicules ont été transformés en amas de ferraille ou ravagés par les flammes. Des structures en béton et en métal ont été détruites. Mais par chance, nul n’a été gravement blessé lors de l’accident causé par un poids lourd, en début de semaine à l’entrée de Port-Louis.
La chronologie des faits se retrace en bribes auprès des accidentés, dont certains affichent des difficultés à s’exprimer. Une fois assemblée, la multitude de pièces de ce complexe puzzle mène à comprendre l’étendue du « miracle » intervenu à la veille de la nouvelle année. Malgré tout, les festivités sont chamboulées par des séquelles physiques et psychologiques sous forme de traumatisme.
« Mo pa pou kapav koze », murmure Umaira Buckeedun, 24 ans, d’une voix tremblante. Ce vendredi matin, la conductrice se remet des blessures subies lors du grave carambolage causé par un poids lourd défaillant, lancé ce mardi à toute allure sur l’autoroute bondée de Pailles.
La soirée précédente, Umaira et sa soeur Najida Heathy, passagère au moment des faits, ont été autorisées à quitter l’hôpital. Sa fébrilité mène à penser que le Nouvel An se célébrera avec des séquelles physiques, mais aussi psychologiques.
« Oui, nous avons été très chanceux », reconnaît de son côté Usha Chamroo, 32 ans, une autre conductrice miraculée de cet accident ayant occasionné neuf blessés transportés dans des centres de soins, dont aucun dans un état grave. Un « miracle » au vu des circonstances de l’accident et des impressionnants dégâts matériels causés.
Aucun présage
Pourtant, ce mardi s’annonce sans histoire pour l’ensemble des automobilistes concernés par cet accident. Vers midi, un flot de véhicules défile comme d’habitude sur le bitume brûlant de l’autoroute M1, à Pailles, soumis aux 32°C qu’affiche le thermomètre.
Au volant d’un 4×4, Zakari Legentil, 43 ans, poursuit sa route vers Port-Louis. Devant lui, à bord de sa Ford grise, Usha Chamroo et son père se dirigent également vers la capitale. À quelques mètres dans une Toyota, Umaira Buckeedun et sa soeur quittent Pailles pour se rendre chez eux à Vallée-Pitôt. Conduisant sa Volkswagen, Manish Kumar Nurkoo, 23 ans, retourne à son domicile à Ste-Croix, après quelques achats.
L’effervescence des célébrations du Nouvel An se ressent, renforcée par un Noël fêté durant le week-end. Cependant, à des dizaines de mètres derrière eux, un incident aux effets gravissimes survient.
Au volant d’un poids lourd (truck trailer), Parmanund Beeharry, 43 ans, aborde la descente de Sorèze. À ses côtés dans la cabine, deux assistants-camionneurs, Suraj Khedoo et Sahidul Islam, un Bangladais. Le conducteur tente de freiner, dans un geste des plus banals. Mais le véhicule ne ralentit point, l’habitant de Bambous comprend que les freins ont lâché.
Les trois occupants n’identifient aucun espace libre aux alentours vers lequel diriger le camion pour le stopper. Conscient du danger guettant ses collègues et les autres usagers de la route, bondée en cette période, Parmanund Beeharry s’emploie à esquiver au mieux les véhicules.
Toutefois, la route de Sorèze à Pailles comprend une dangereuse descente en cas de défaillance mécanique, comme cela a maintes fois été observé lors de précédents accidents. Par conséquent, Parmanund Beeharry tente d’avertir les autres conducteurs.
« Le camion avait les phares allumées », relate Jameer Bheekarry, 47 ans. Au volant de sa voiture, l’habitant de Pailles comprend aussitôt que quelque chose cloche. À la hauteur de la passerelle Mayflower, à Pailles, ses appréhensions se confirment au vu de la vitesse excessive à laquelle le poids lourd se rapproche.
Dans la ruelle abritant l’église Saint-Vincent de Paul jouxtant la M1, Manilall Dodee, un chauffeur de 52 ans, a stationné sa fourgonnette. Cet employé d’une compagnie de nettoyage patiente dans le véhicule en vue d’embarquer des travailleurs. Mais une explosion le fait tressaillir.
La même détonation interpelle Machoeng Mohit Pearly Brooke, employée d’une société de Pailles. En cette même ruelle, la pause déjeuner avec ses collègues est bouleversée.
Il est 12h21 quand le téléphone résonne dans la caserne de pompiers de Coromandel. Un grave accident de la route a provoqué des incendies de véhicules. Quarante combattants du feu et six camions de pompiers s’activent.
L’instant T.
« Tout est arrivé si vite », se remémore Zakari Legentil. Au volant de son 4×4, il n’a pas le temps d’analyser les options à sa portée. « J’ai aperçu un camion derrière moi. Je n’ai pu que prendre la fast lane », ajoute-t-il. Trop tard. Le poids lourd percute l’arrière de son véhicule. L’impact est tel que le 4×4 « fer tono », traversant le grillage et le muret en béton qui le sépare du sens inverse de l’autoroute.
« Nous nous sommes rués pour comprendre ce qui se passait. Sur l’autoroute, il y avait un camion en feu », retrace Machoeng Mohit Pearly Brooke, qui a finalement abandonné l’idée de déjeuner. D’autant que des flammes émergent d’un autre véhicule.
À bord de sa Volkswagen, Manish Kumar Nurkoo n’aperçoit nullement le poids lourd lui foncer dessus. « J’ai seulement entendu un énorme bruit à l’arrière de ma voiture. Sa finn fer mwa abriti, et j’ai perdu le contrôle du véhicule. » Les souvenirs de cet instant décisif lui reviennent difficilement. Cependant, Manish Kumar Nurkoo se rappelle de cette chaleur soudaine : sa voiture prend feu.
Voyant le danger dans son rétroviseur, Jameer Bheekarry essaie de se rabattre sur la droite, mais un autre véhicule lui barre la route. Il jette alors un ultime regard en arrière avant l’impact. Sa voiture, raconte-t-il, « fer toupi lor liem avan li mont lor rebor » bordant l’autoroute.
« Je ne me rappelle pas de ce qui s’est passé », souffle Umaira Buckeedun, dans des confidences dures à transmettre. Également percutée par le poids lourd, sa Toyota est gravement endommagée. Il en est de même pour la Ford grise d’Usha Chamroo.
Derrière le muret en béton séparant la rue de l’église Saint-Vincent de Paul, Machoeng Mohit n’en croit pas ses yeux. « Nous avons vu du feu, des explosions et des véhicules accidentés, dont ma voiture qui était en stationnement », soutient-elle. « Rien qu’avec les débris, mon pare-brise a volé en éclats. Je n’ose même pas imaginer si j’étais à l’intérieur de ma voiture », s’émue Machoeng Mohit. « For posib nou ti kapav gagn kout beton lor latet ».
À quelques mètres, la fourgonnette de Manillal Dodee est également impactée par quelque chose qu’il peine à décrire. Installé derrière le volant, il voit son pare-brise se lézarder. « Mo’nn tann enn explozion, mo parbriz inn andomaze », lâche-t-il. Par chance, il n’avait encore embarqué aucun travailleur.
Des héros inconnus
Des automobilistes, des employés de compagnies avoisinantes et des habitants de la localité accourent. Zakari Legentil est sous le choc dans son 4×4 endommagé. Des samaritains se pressent pour le secourir. « Beaucoup de gens m’ont aidé », affirme le quadragénaire. « Je suis sorti de mon véhicule complètement abasourdi. »
Entre-temps, Manish Nurkoo se retrouve bloqué dans sa Volkswagen en flammes. C’est alors qu’un homme — dont il ne connaît l’identité — brise la vitre à côté de lui et l’extirpe du véhicule.
De son côté, Jameer Bheekarry a été évacué de sa voiture par des passants. D’autres inconnus portent simultanément secours aux autres accidentés, en attendant l’arrivée de la police, des ambulanciers et des pompiers. Tous sont sauvés des carcasses de leur véhicules.
Il revient alors aux soldats du feu d’éteindre les flammes et d’aider à déblayer la route. Une opération qui prend quelque deux heures, durant lesquelles la police bloque, peu après Sorèze, le trafic en direction de la capitale. En parallèle les ambulances se faufilent parmi les files de véhicules pour apporter les premiers soins aux accidentés. Neuf d’entre eux sont emmenés à des centres hospitaliers. Aucun n’a subi de graves blessures.
Umaira Buckeedun et sa soeur ont été conduites à l’hôpital Jeetoo. Elles y passeront deux jours avant de pouvoir regagner leur domicile. « Je ressens des douleurs et ne parviens pas à marcher », confie fébrilement Umaira Buckeedun.
Un autre habitant de Vallée-Pitot victime de ce carambolage, Fardeen Boodoo, 32 ans, souffre toujours de maux. En raison de son état, il ne souhaite communiquer. Un autre accidenté, Nigel Marie Louise, 38 ans, ne répond pas aux appels. Parmi les occupants du poids lourd, le conducteur et son collègue bangladais ont été admis à l’hôpital du nord.
Ce vendredi, Usha Chamroo se prépare en vue de se rendre à l’hôpital Bruno Cheong, dans l’est. Des douleurs au cou l’accablent. Zakari Legentil, lui, se remet de fractures aux cotes. « Je pouvais marcher, mais j’ai eu peur… J’étais sous le choc », déclare ce père de deux enfants, conscient que son salue relève d’ « un miracle ».
Pour sa part, Jameer Bheekarry n’a subi que de légères blessures. Cette expérience, qui lui rappelle le film Fast and Furious, le marquera à jamais. « Ma vie est plus importante. Loto-la, li feray li », se résoud-il.
Depuis l’accident, des incertitudes planent sur la participation de Manish Nurkoo à une compétition de Muay Thaï en Thaïlande. Tant pour le jeune homme que pour d’autres accidentés, les images encore vives de ce traumatisant épisode devraient entacher les célébrations du Nouvel An. « Pour l’année, je ne crois pas que je pourrais faire quelque chose », regrette Manish Nurkoo. « Ce n’est pas évident. Seki fi’nn arive ankor tro fre. »
Le camionneur arrêté, le propriétaire recherché
Arrêté par la police après avoir obtenu sa décharge, Parmanand Beeharry a été placé en détention suite à sa comparution devant la justice. Une accusation provisoire de blessures involontaires a été retenue contre le camionneur. La police a objecté à sa remise en liberté conditionnelle. Sa motion de libération sous condition sera appelée le 4 janvier devant la Cour de Port-Louis.
ace à la presse vendredi après-midi, l’ASP Dunraz Gungadin a fait ressortir qu’ « on ne peut tolérer le fait que le véhicule en question ne possède pas de certificat de fitness ». Pour ce qui est du propriétaire du camion, il est wanted par la police. « Malheureusement, nous ne parvenons pas à mettre la main sur lui. Nous faisons tout pour l’arrêter. Il ne coopère pas et ne se soumet pas », a déploré l’ASP Gungadin.
Le DCP Taujoo : « Chanceux que ça n’ait pas été plus grave »
Rencontrant la presse aux Casernes centrales quelques heures après l’accident, le DCP Taujoo n’en revenait pas de la chance qu’ont eue les conducteurs impliqués de s’en sortir sans blessures graves — voire pire. « Nous avons été chanceux que cet accident n’ait pas été plus grave », a-t-il laissé échapper. À ses côtés, le Dr Govinden Ayassamy, Acting Director du SAMU, a indiqué dans un bilan initial que « cinq personnes » avaient été transportées à l’hôpital Jeetoo. Elles avaient été placées en observation dans un état stable. Au total, neuf accidentés seront conduits dans des centres de soin.
Opérations d’urgence
L’Information Room de la police ayant été avertie, des motards ont rapidement gagné les lieux de l’accident. Des remorqueurs de la force policière, de même que des éléments de la Special Mobile Force et de la Special Support Unit ont été mobilisés. Ainsi, 60 à 80 membres de la force policière ont fait le déplacement, notamment pour stopper le trafic vers la capitale. Deux heures plus tard, les motards de la police ont redirigé une partie des véhicules vers une voie inverse de l’autoroute, leur permettant dès lors de poursuivre leur trajet vers la capitale. Peu de temps après, d’autres voies en direction de Port-Louis seront libérées des débris. Cela, grâce à l’entremise des pompiers, qui opèrent un exercice de flushing en nettoyant à l’eau pressurisée la route. À savoir que trois pôles électriques en béton de même que d’autres structures publiques, dont des grilles métalliques, ont été endommagées.
Le trajet dangereux de Bagatelle-Sorèze-Pailles : Agir avant le prochain carnage
La mise en place d’au moins un lit d’arrêt d’urgence est obligatoire sur ce trajet
Les accidents sur le tronçon Bagatelle-Pailles qui fait environ 5 km sur l’autoroute sont légion. Et pour cause, cette partie de la M1 qui a une déclivité moyenne de 4% est propice à la vitesse et les autorités conscientes du danger ont placé trois radars de contrôle sur cette partie de l’autoroute où le véhicule accélère tout seul. Les trois accidents majeurs causés par des poids lourds, autobus et camions, qui ont eu lieu ces 10 dernières années, den sont la preuve Il existe plusieurs solutions, mais la plus efficace demeure sans aucun doute le lit d’arrêt d’urgence qui a fait ses preuves à l’étranger….
Lorsqu’ils circulent sur les routes, les usagers peuvent être confrontés à de nombreuses situations et configurations des dangers, listés dans le code de la route, et qui les obligent à adapter leur comportement au volant. C’est notamment le cas des descentes dangereuses, comme celles qui rejoignent Bagatelle à Pailles en passant par Sorèze.
Le terme de “descente dangereuse” définit des sections de routes ou d’autoroutes comprenant une importante dénivellation. Lorsqu’un usager circule sur une route en pente de 4% à 10%, il doit obligatoirement revoir son comportement de conduite. En effet, si un automobiliste roule à 80 km/h sur une route comprenant une descente à 10%, par exemple, et qu’il est amené à freiner, sa distance de freinage sera rallongée de 7 mètres par rapport à la distance de freinage habituelle. Cette situation est due à la force d’inertie, qui augmente la vélocité du véhicule lorsqu’il se trouve en descente.
Cette force d’inertie est encore plus importante pour les poids lourds qui sont plus difficiles à arrêter vu leur masse. Ils deviennent plus dangereux encore, voire une bombe ambulante, lorsqu’on leur impute la défection des freins, qu’on appelle à Maurice “freins percés” qui arrivent souvent sans prévenir.
Le camion fou de mardi dernier 26 décembre n’était pas en conformité avec la loi et il a causé un accident d’une rare violence sur l’autoroute M1. C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de victime et plus de blessés… Mais le prochain pourrait être un véritable carnage vu le nombre de véhicules et de poids lourds qui empruntent cette partie de l’autoroute vitale pour l’économie du pays, surtout dans la matinée.
Lorsque l’autoroute Terre Rouge-Verdun, l’une des nouveautés sur les routes mauriciennes avaient été l’élaboration d’une voie de dégagement d’urgence au bas de la pente en direction vers Terre Rouge. C’est une infrastructure semblable qui est aujourd’hui nécessaire sur le trajet Bagatelle-Soreze-Pailles si l’on entend éviter le pire à l’avenir.
Une voie de détresse, ou lit d’arrêt d’urgence, est un type de voie rencontré généralement sur une autoroute et dont la finalité est de permettre à un usager de s’arrêter avant une portion de route dangereuse, au cas où il aurait un problème de frein, par exemple.
Constituée de gravillons à l’entrée ainsi que de moyens de ralentissements naturels (talus, buttes, sables …) ou artificiels (barils, butoirs, …) à son extrémité, la voie de détresse est théoriquement à même de stopper tout véhicule lancé sur une autoroute et ne pouvant plus faire usage de ses freins, et ceci qu’il s’agisse d’une voiture, d’un camion, d’un autobus etc.
L’objectif principal des voies de détresse étant d’aider les véhicules ayant des soucis de freins de pouvoir s’arrêter, les lits d’arrêt d’urgence sont généralement placés par suite d’une pente et avant des points singuliers, comme des échangeurs, des tunnels, des virages, … qui nécessitent l’utilisation de la pédale de frein pour être empruntés.
Un tel projet avait été annoncé dans cette région après l’accident de Pailles en 2021 et avait été évoqué à nouveau en mai de cette année après les commémorations des dix ans de l’accident de Sorèze. Mais jusqu’ici, rien de concret n’a été entrepris, si ce ne sont une étude de faisabilité et un budget prévisionnel établi de plusieurs dizaines de millions qui a fait apparemment tiquer les autorités.
Par rapport aux autres projets routiers qui ont certes décongestionné certaines voies vitales du pays, celui-là concerne la sécurité des dizaines de milliers d’automobilistes, des milliers de passagers d’autobus et aides-chauffeurs de camions. Le coût ne devrait pas être un facteur limitant. Il faut faire vite pour éviter le prochain carnage qui pourrait compter un cortège de personnalités importantes du pays, car nous l’avons vu sur les images vidéo de mardi dernier, nul n’est à l’abri…