À l’orée des fêtes de fin d’année : cris du coeur poignants des oubliés du quotidien

Enfant de rue transféré à l'Abri de Nuit de St-Jean: « J'aurais aimé célébrer Noël avec ma famille ».

À l’écart des achats compulsifs en cette période de célébrations, des résidents d’abris, dépourvus d’un logement, voire d’une bonne santé, rêvent d’une vie normale, que beaucoup prennent pour acquis. Leurs souhaits, souvent à la portée quotidienne de tous, se présentent à leurs yeux tels des mirages, malgré le soutien accordé par de bienveillants accompagnateurs. Car pour ceux soumis à la menace de la rue, un Noël aux côtés de leur famille peut constituer une utopie.

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« Je souhaite que mes deux filles, mon épouse et moi nous retrouvions tous ensemble à table pour Noël. Que nous partagerions un petit repas, ek enn ti lasante. C’est cela dont je rêve. » Un discret sourire se dessine sur le visage de Marco Radegonde*, dont les yeux d’un clair particulier scintillent soudainement en évoquant ses proches. Employé d’un prestigieux hôtel, il a pris place aux côtés de ses camarades, les résidents de l’Abri de Nuit de Saint-Jean, qui accueille des hommes n’ayant de logement. En cette période de festivités, leur seul luxe pour sortir de ce cauchemar au quotidien se résume au fait qu’ils peuvent se permettre de rêver.

« J’aurais aimé célébrer la Noël avec ma famille », renchérit Grégory Jeannot*, la vingtaine. À la séparation de ses parents, alors qu’il était âgé de sept ans, il arpentait les rues de Cité Barkly. La Child Development Unit l’a alors placé dans un centre, qui l’a ensuite transféré à l’Abri de nuit une fois la majorité atteinte. « Ni mon père ni ma mère ne me contactent. Il faut que je leur téléphone pour pouvoir leur parler. Seul mon beau-père m’appelle », explique le jeune homme, en quête d’un emploi.

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Différentes raisons poussent les résidents à la rue, la majorité d’entre elles trouvant racine dans les conflits familiaux. Certains souffrent d’addiction à l’alcool ou à la drogue; d’autres n’ont nulle part où aller après être sortis de prison. L’incapacité financière pour subvenir à un loyer ou la perte de leur maison en raison de dettes représentent autant de facteurs qui, du jour au lendemain, ont fait basculer leur vie.

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« J’avais une maison à Bassin, un emploi comme gardien et une épouse », raconte Rajen Kumar*, la trentaine. « Mo ti anvi pas Nouvel An ar mo madam, mais elle est décédée il y a un an. Depuis, je suis tombé gravement malade », soutient-il, en montrant une cicatrice au niveau de sa cheville gonflée et couverte d’ecchymoses.

« Je souffre d’épilepsie. À n’importe quel moment je peux m’évanouir. Le stress causé par la mort de mon épouse a rendu ma maladie encore plus agressive. J’ai des problèmes aux reins. À cause de mon état physique, j’ai perdu mon travail, vu que je devais être en forme. Je suis ici, à l’Abri de Nuit, depuis huit mois maintenant. Regardez ce fauteuil !… C’est mon lit. Je ne peux monter à l’étage », ajoute-t-il, avant de se déplacer lentement sur une chaise montée sur roulettes.

« Sous un arbre à l’église »

Malgré les malheurs pouvant les accabler, les résidents affichent la bonne humeur en cette fin d’année. Rajen Kumar a acheté des décorations de Noël, qu’il a remises à ses camarades pour qu’ils les installent. Plus loin dans la pièce, deux résidents s’affairent à décorer un sapin de guirlandes et de lumières, en n’oubliant pas l’étoile perchée en haut de l’arbre. « Nous nous amusons bien dans le centre entre nous », indique le doyen, Sébastien Lafleur*, résident depuis l’ouverture de l’Abri de Nuit, géré par Caritas, il y a plusieurs années.

« Pour moi, la Noël est une grande fête. J’aime la passer ici avec mes frères », lance Fabrice Léveillé, un soudeur approchant la soixantaine. L’année prochaine, il espère s’envoler pour La-Réunion en vue de suivre un traitement médical. Depuis la séparation avec son épouse, il a plusieurs fois été hospitalisé pour divers problèmes médicaux. Des différends familiaux l’ont poussé à la rue durant quatre semaines, avant qu’il ne trouve refuge ici.
« J’ai dormi durant trois mois sous un arbre dans la cour de l’église de La Visitation », souligne de son côté Pradeep Servansing*, la cinquantaine. Des troubles de santé ont rendu impossible la poursuite de son métier de lanfle kamion, poursuit-il.

Dans la foulée, cet ancien habitant de Vacoas a été mis à la porte du logement qu’il louait à bas prix, après que celui-ci a été repris par son propriétaire. « Nous ne sommes pas des voleurs; nous sommes juste des SDF », martèlent les résidents.

La demeure familiale de Kristnen Sewpaul*, à Quatre-Bornes, a également été vendue contre son gré en raison de péripéties financières, soutient cet employé du secteur de la construction, âgé d’une trentaine d’années. Sa mère vit depuis avec des proches, alors que son père, lui, réside dans un couvent. Son frère, pour sa part, est décédé. « Je dormais dans la rue et n’avais pas de travail fixe », ajoute-t-il. « Depuis que je suis ici, tout a changé. Maintenant, j’ai un emploi stable… inn refer net. »

Les acquis, leurs rêves

Tous ne peuvent cependant être réhabilités. « Il est difficile de vivre ici, selon nos règles, pour ceux restés longtemps dans la rue », constate Lynley Lachicoré, responsable de l’Abri de Nuit et de la réinsertion. Des groupes d’écoute sont mis sur pied pour tenter de soigner les traumatismes par la parole. Une aide psychologique est également offerte. Certains cas d’addiction aux drogues sont de même référés à d’autres centres spécialisés. Malgré tout, un travail approfondi d’accompagnement en faveur des résidents vient à manquer, faute de ressources.

Tous les jours, les résidents doivent quitter l’abri à 8h du matin, soit après le petit-déjeuner. Ils y retournent à compter de 16h30, et doivent alors se toiletter proprement ainsi que s’assurer de la propreté des lieux. Deux autres résidents – des Casuals – restent sur les lieux pour nettoyer et cuisiner.

Ce soir, cependant, une donatrice se présente avec des récipients de minn frit. « Pour la Noël, j’aurais aimé manger un rounder », laisse échapper le jeune Grégory Jeannot en éclatant de rire. « Moi, j’aurais préféré une grillade », renchérit Marco Radegonde.
« Mon vœu pour l’année prochaine est de retrouver la santé, de reprendre ma vie en main et de me trouver une partenaire », espère Rajen Kumar. Quelque peu hésitant au premier abord, Grégory Jeannot décide finalement de se confier sous les encouragements de ses pairs. « Moi, j’aurais aimé l’année prochaine rencontrer ma famille et avoir une maison », lâche-t-il.

À l’Abri de Nuit de Saint-Jean, les acquis de certains constituent les rêves des autres. Ce qui n’entrave en rien les pensées positives et profondément humaines des résidents. « Nous souhaitons à tout le monde bonheur et prospérité », lancent-ils sincèrement.


« Nepli dir tonton aster »

Il y a dix ans, un tout premier reportage, qui avait comme thématique la clochardisation, était consacré à la nuit à l’Abri de Nuit de Port-Louis. Les résidents étaient alors qualifiés de « tonton », la plupart d’entre eux étant âgés de 40 ans et plus.

« Maintenant, nous n’utilisons plus ce terme, parce que nous accueillons également des jeunes », constate Didier Rajibe, encadrant à l’abri de nuit, qui souligne un problème important d’addiction. « Un gros pourcentage de résidents est cependant âgé de 35 ans et plus. »


Discipline de vie commune

Pour quelqu’un qui a vécu libre dans la rue, « suivre les instructions de l’Abri de Nuit n’est pas sa priorité », indique Lynley Lachicoré. D’où la difficulté de nombreux SDF à rester au centre en tant que résidents. À cet effet, une dizaine d’entre eux, qui arpentent les rues de Rose-Hill majoritairement, se pressent les après-midi pour recevoir un repas. Les résidents confirmés, eux, acceptent de suivre les règles, sous peine de passer devant un comité disciplinaire et, après des avertissements, d’être expulsés.
« Quand ils décident de ne pas rentrer, nous avons établi comme règle qu’ils doivent nous avertir. Tous respectent cela », se félicite Lynley Lachicoré. Installé dans la maison de fonction, il reçoit plusieurs appels téléphoniques, notamment de donateurs ou de groupes de bienfaiteurs souhaitant offrir des dons en cette période. À l’heure actuelle, le centre affiche complet : les 40 lits répartis dans quatre grandes chambres sont tous pris pour fournir un abri de nuit cote les affres de la journée…

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