Abolition de l’Esclavage – 189 ans après : Difficile restitution des terres volées aux esclaves

La création d’une Land Division de la Cour Suprême loin d’être un Fast Track Une victime : « We are breaking ourselves against the system »

La dépossession des terres est l’une des séquelles de l’esclavage qui perdure, 189 ans après son abolition. La mise sur pied d’une Commission Vérité et Justice avait suscité beaucoup d’espoir aux descendants des victimes. Puis, les dossiers ont dormi dans les tiroirs et la mise sur pied d’une Land Court s’est fait attendre pendant plus de dix ans. La création d’une Land Research and Monitoring Unit par le gouvernement et la création d’une Land Division, de la Cour suprême avait redonné espoir aux familles dépossédées des terres de leurs ancêtres. Malheureusement, tous les cas appelés devant les instances judiciaires compétentes sont renvoyés, les uns après les autres et les victimes se disent à bout.

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« Justice delayed is justice denied. » Plusieurs ministres ont entonné ce refrain lors des débats parlementaires sur le texte de loi menant à la création d’une Land Division à la Cour Suprême. Après un long combat pour se faire entendre et pour enfin voir la création de ce tribunal, recommandé par la Commission Vérité et Justice, les victimes, descendants d’esclaves, doivent aujourd’hui se battre contre le système. Certains se disent à bout, d’autres sont découragés…

En 2010, la Commission Vérité et Justice, sous la présidence d’Alex Boraine a travaillé sur plus de 300 dossiers de dépossession des terres. De nombreux cas, documents légaux à l’appui, ont ainsi été considérés comme Genuine et référés au gouvernement pour des procédures de restitution. Un rapport a été soumis en 2011, avec une série de recommandations. La création d’un Land Tribunal étant l’une des principales recommandations. Le rapport qui n’a pas été rendu public dans son intégralité, mettait également à jour, les ruses utilisées, notamment par des compagnies sucrières, pour déposséder les esclaves et leurs descendants de leurs biens fonciers.

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Ce n’est qu’en 2021 qu’une Land Division de la Cour suprême a été instituée, sans pour autant jouir d’une autonomie, puisque les cas devaient d’abord passer par la filière du Master and Registrar, avant d’arriver à la Land Division. Ce n’est que depuis mai 2023 que cette unité spéciale appelée à traiter les cas de dépossession des terres, est pleinement opérationnelle.

Grâce à la Land Research and Monitoring Unit, opérant sous le ministère des Terres et du Logement, plusieurs dossiers ont été finalisés et soumis à la Land Division. Le gouvernement octroie également une somme de Rs 300 000 pour chaque cas, afin d’assurer les frais légaux.

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Cela aurait pu être considéré comme une victoire pour les victimes qui se sont battues pour voir ce tribunal devenir une réalité. Sauf que maintenant, celles-ci se retrouvent à se battre contre le système. Clency Harmon, figure incontournable de la lutte contre la dépossession des terres qui a fait deux grèves de la faim, ne cache pas sa déception.

« Quand le projet de loi a été voté à l’Assemblée nationale, on avait dit que la Land Division allait être un Fast Track. Mais la réalité est bien différente. Toutes les affaires sont renvoyées les unes après les autres, dès qu’elles sont appelées en Cour », regrette-t-il.

Il cite en exemple, un cas qu’il avait logé en Cour et datant de 2007. L’affaire a été appelée devant le Master and Registrar la semaine dernière et on attend toujours le verdict sur sa recevabilité. « Maintenant, si on me donne raison, je dois aller loger un cas devant la Land Division. Et je ne sais quand je serai appelé. C’est compliqué. Ce n’est pas du tout ce qu’on nous avait promis », fait-il comprendre.

Clency Harmon n’est pas le seul à affronter cette désillusion. Une vingtaine de cas de la Commission Vérité et Justice ont été traités par la Land Research and Monitoring Unit, puis transférés à la Land Division. Celui de la famille Tancrel en était le premier.

Valeur du jour, ce cas a connu plusieurs renvois successifs. Un jour la défense demande un délai, un autre jour, elle dit qu’elle n’est pas prête, puis elle soumet ses questions, un autre jour on réclame des documents supplémentaires, puis on demande un nouveau délai parce qu’on n’a pas eu le temps d’étudier les documents, trop volumineux… Les victimes se retrouvent ainsi ballottées d’une séance à l’autre.

Toutes les autres victimes se retrouvent dans la même situation. Dans le cas de l’affaire Kisnorbo, en octobre dernier, la juge avait même refusé un nouveau renvoi. Toutefois, la défense est venue avec un Third Amended Plea and Counterclaim à la veille de la séance.

Si tous ces renvois et autres arguments de la défense pour tous les cas, sont dans la limite de la légalité, les victimes ont l’impression qu’elles sont en train de se battre contre un système. L’une d’entre elles n’hésite pas à dire : « We are breaking ourselves against the system. »

À la veille de la commémoration du 189e anniversaire de l’abolition de l’esclavage, tous se disent découragés et se demandent s’il y aura justice un jour. « Nous avons l’impression que tout est fait pour nous user. Nous sommes dans un système où les victimes deviennent encore plus vulnérables. Certains sont vraiment à bout », affirment-ils.

Pourtant, le gouvernement avait affiché de grandes ambitions à la création d’une Land Division de la Cour suprême. Le ministre Joe Lesjongard , bras droit du Premier ministre, avait déclaré, lors des débats parlementaires du 28 août 2020 : « Il ne faut jamais oublier que ce pays a été bâti de la sueur des esclaves et des travailleurs engagés. Nous leur devons cette justice aujourd’hui. » Il avait également ajouté : « Nous reconnaissons les erreurs du passé. Ce gouvernement a bien compris la douleur et la souffrance de ceux qui ont été injustement privés de leurs droits de propriété et ont lancé un cri d’aide et d’espérance. »

Pravind Jugnauth, avait argué : « As we are all aware, many of the long-standing land disputes bear an emotional character as they date back to colonial times. »

Raison pour laquelle le gouvernement avait décidé de créer une Land Division de la Cour suprême, « with a view to facilitating the just, expeditious, and accessible resolution to land disputes », avait-il précisé.

Pour les victimes, malheureusement, la route de la justice est encore longue. Nombreuses sont-elles à se demander si elles pourront un jour, recouvrer les terres de leurs ancêtres, qui ont été volées…

 

Land Research and Monitoring Unit : Jennifer Dubois nommée Project Manager

La Land Research and Monitoring Unit a une nouvelle Project Manager. Il s’agit de Jennifer Dubois qui est en poste depuis novembre 2023. Cette unité, qui opère sous le ministère des Terres et du Logement, est composée de membres de la profession légale en vue d’aider les victimes dans leurs recherches, afin de monter leurs dossiers à être déposés en Cour.

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