En l’espace de quatre jours, entre le 4 et le 7 octobre, neuf joggers et randonneurs ont été victimes de vols et d’agressions lors de leurs périples en pleine nature. Un phénomène loin d’être anecdotique auquel les forces de l’ordre devraient sérieusement prêter attention. Les récits donnent froid dans le dos : des hommes cagoulés et armés de sabres (entre autres) forçant les victimes à s’agenouiller. Des gens ligotés avec des câbles, un autre roué de coups… À l’heure où les loisirs et les sports de pleine nature explosent, une question revient en boucle : faut-il pour autant céder à la psychose face à ces fâcheux événements ? Si on se fie aux témoignages recueillis par Week-End, couplés aux comptes rendus publiés par des groupes de passionnés sur les réseaux sociaux, la réponse est « non, mais… » Reste à trouver la parade pour mettre hors d’état de nuire ces parasites.
Il n’y a rien de plus simple que de lacer ses chaussures et de mettre un pied devant l’autre. Il est tout aussi aisé d’oublier que la randonnée ou faire du jogging, tout accessible qu’elle soit, comporte des risques. Au-delà du péril lié aux accidents, à toute heure du jour comme de la nuit, un autre danger somnole parfois au coin d’un rocher, près d’un arbre ou derrière les broussailles. La présence de délinquants en quête de proies idéales et vulnérables pour leur voler leurs biens, avec violence parfois. La série d’agressions survenues entre le 4 et le 7 octobre a ouvert le débat sur la dangerosité d’un sport que l’on pratique souvent en solitaire, avant ou après le travail.
Le 4 octobre, une randonnée a viré au cauchemar pour trois individus, près de la réserve de Mare-Longue. Au moment de regagner sa voiture, vers 13h55, une nutritionniste de 37 ans et ses deux amis, un homme et une femme ont été surpris par trois individus cagoulés et armés d’un sabre, d’une hache et d’un couteau. Les agresseurs ont forcé les victimes à s’agenouiller, les ont ligotées avec des câbles, bâillonnées, puis dépouillées de leurs effets personnels, téléphones, argent liquide et des clés du véhicule. L’ami de la nutritionniste, qui a tenté de raisonner les agresseurs, a été frappé à la tête. Avant de quitter les lieux à bord de la voiture, les malfrats ont attaché les trois victimes à un arbre. Ces dernières ont été secourues par un passant, peu de temps après. Le cas a été rapporté à la police. Les limiers de la Criminal Investigation Division (CID) sont à la recherche des suspects et de la voiture volée, selon les dernières nouvelles.
Le 6 octobre, une ressortissante suisse s’est fait dérober sa sacoche par un délinquant alors qu’elle faisait son jogging quotidien sur un chemin de champs de canne à Upper Vale. L’homme l’a menacée avec un bâton en bois, avant de la pousser au sol et de s’enfuir. Le préjudice est estimé à Rs 25,800. Le 7 octobre, un groupe de touristes britanniques partis en randonnée ont eu le choc de leur vie. C’est du moins le récit relayé par une de leurs amies sur Facebook : « Our 5 friends from UK are on holiday just now and today decided to climb Pouce Mountain this morning from Le Dauguet side… They were 3/4 way up when they were attacked by two masked young men with masks and knives. All had their rucksack stolen. Apparently, a couple not long before had been attacked and alerted the police. They are very badly shaken, but unhurt. They say the police response and support was excellent. »
Neuf victimes en l’espace de quatre jours. Et encore, ce n’est là que la pointe de l’iceberg, comme le suggèrent d’autres témoignages sur la toile.
Un parcours de combattantes
Quid des joggeuses qui se sont tues malgré des comportements pervers, des remarques sexistes, des sifflements ? Elles qui sont des proies idéales et vulnérables pour d’éventuels agresseurs. Face aux violences qui ont émaillé la semaine écoulée, il est aisé d’imaginer pourquoi l’idée de se retrouver seule et vulnérable coupe l’envie à plus d’une joggeuse de s’adonner à son loisir.
« J’ai longtemps couru seule dans des endroits isolés. Sans forcément avoir conscience du danger. Jusqu’à ce que des faits divers me rappellent que le risque existe pour les joggeuses. Et l’une des façons de s’en prémunir, c’est de ne pas courir seule. C’est rageant, mais c’est comme ça. Certaines courent seules dans les bois, en écoutant de la musique sur un MP3 à un niveau sonore qui les empêche de capter tout bruit suspect qui pourrait les alerter. La plupart suivent aussi toujours le même itinéraire, laissant ainsi la possibilité à une personne mal intentionnée de préparer son coup. Je leur donne un conseil : ne faites plus jamais ça, car des pervers sexuels et des toxicomanes rôdent partout », souligne une joggeuse.
D’autres randonneuses disent, en revanche, ne pas vouloir se priver du plaisir de se retrouver seule au contact de la nature, en dépit du danger qui guette. Céline, 40 ans, confie qu’ « il n’est pas question de courber l’échine. On ne me privera pas de mes plaisirs solitaires. Je ne suis pas parano, mais j’ai acheté, sur la toile, de quoi me défendre. Qu’on ne vienne pas me chercher ! »
ANDY SERVIABLE
Ali Jareehag, randonneur VTT :
« Certains sites sont devenus le terrain de chasse privilégié des voyous »
Ali Jareehag est un jeune passionné du patrimoine qu’on ne présente plus. Au fil de recherches assidues et de randonnées VTT, il lève le voile chaque semaine sur ces pépites architecturales et vestiges laissés à l’abandon, en publiant des clichés, qu’il accompagne de textes informatifs sur sa page Facebook et son blog Letsdiscovermauritius.com. Il dit n’avoir jamais fait l’objet d’agression ou de vol lors de ses périples en pleine nature, mais souligne avoir eu vent que certains parcours comme Le Pouce, la forêt Daruty, Le Dauguet Nature Park, la réserve de Mare Longue, Bras-d’eau, Montagne Jacquot et Trou-aux-Cerfs sont devenus le terrain de chasse privilégié des auteurs de ces basses besognes. Ali Jareehag note que « les récentes agressions perpétrées montrent qu’on a franchi un nouveau palier. Les gens, hommes ou femmes, se font attaquer, même s’ils sont en groupe. C’est grave et, forcément, cela instille la peur dans l’esprit des gens qui, en outre, n’auront pas la possibilité de se défendre face à des voyous munis d’armes. » Selon lui, « il est clair qu’il sera compliqué pour la police d’être partout à la fois pour mettre un terme à ces délits, mais on sait très bien que toute cette dérive est liée à la toxicomanie. Donc, ils ont un travail à faire de ce côté-là. »
Serge Marc-Faustin, randonneur
« Pas question de céder à la psychose ! »
Les randonnées, il connaît. C’est sa passion depuis des décennies. Serge Marc-Faustin regrette que « depuis quelques années, de petits délinquants sévissent en toute impunité au milieu des broussailles et des champs de cannes. C’est le cas au Dauguet Nature Park, souillé par des toxicomanes qui y déambulent quotidiennement. J’en suis témoin. Mais il est hors de question de céder à la psychose, à la peur. Je préfère courir tout seul. C’est comme ça » dit-il, en conseillant aux joggeurs de laisser tous leurs objets de valeur à la maison : « Kit tou lakaz. Argent, montre, téléphone, etc. C’est ce que je fais. Les malfrats iront voir ailleurs. Je suggère que les éléments de la Special Mobile Force (SMF) prêtent main-forte à la police dans le combat contre la délinquance en pleine nature. Il faut des actions. Nous sommes dans un pays libre, et il faut que ça continue. »
Deny Pachamoothoo, randonneur (guide) :
« Une bonne communication entre nous peut valoir son pesant d’or »
« En tant que guide de randonnée, cette recrudescence d’actes de vols et d’agressions ne m’enchante guère. Il y a des sites qui sont accessibles à tout le monde et face à cette spirale délinquante qui atteint son paroxysme à Maurice, il faudra très vite prendre les taureaux par les cornes. Je conseille aux gens de sortir en groupe. C’est rageant de dire ça, mais il faut être réaliste », confie Deny Pachamoothoo. Selon lui, une bonne communication entre les adeptes de ce loisir peut valoir son pesant d’or pour lutter contre ce fléau : « L’idée de créer des groupes WhatsApp ou un réseau social pour que les gens puissent donner l’alerte sur la présence de gens louches sur des sites et trouver des partenaires de course en qui ils auront confiance est une option à considérer. »