Rs 7,9 milliards pour la nouvelle piste d’atterrissage à Plaine Corail et le gouvernement allouera un montant de 1,4 milliard de roupies pour lancer les travaux. C’est la mesure phare du budget en ce qui concerne Rodrigues. Et pourtant, plusieurs zones d’ombre subsistent encore à ce jour, notamment au niveau du financement qui est passé d’une main à l’autre, mais surtout de la mise en opération des travaux sur le plan environnemental.
Il s’agit d’un projet de taille pour l’île Rodrigues et depuis des années, les négociations sont en cours pour trouver le financement nécessaire pour construire une nouvelle piste d’atterrissage qui devrait faire 2,1 km de long. Si l’an dernier l’Assemblée régionale de Rodrigues confirmait avoir obtenu le financement nécessaire de la Banque mondiale et de l’Union européenne qui a également contribué en faisant un don à Rodrigues, il s’avère que le gouvernement mauricien n’a pas encore signé les documents nécessaires. Et ce, malgré l’annonce faite en fanfare lors de la présentation du budget.
C’est du moins ce que remarque Adi Teelock, qui suit de près ce dossier et qui soulève autant de questions sur le plan financier que sur le plan écologique. « D’où proviendra ce montant ? Car d’après un document officiel de la Banque mondiale, au 10 juin 2024 (soit 3 jours après le discours du budget), le gouvernement mauricien n’avait pas encore signé le document de prêt, pourtant approuvé par la Banque mondiale depuis septembre 2023 », indique-t-elle dans une publication sur sa page Facebook. En effet, selon le document de la Banque mondiale, « the Loan Agreement is not yet signed or effective. » Si fort probablement les choses devraient se finaliser « administrativement », les interrogations de part et d’autre sont à ce stade légitimes, d’autant que ce projet tant attendu traîne depuis des années et que les autorités mauriciennes et rodriguaises ont peiné pour trouver des « investisseurs ».
En effet, un des principaux bailleurs de fonds, l’Agence française de développement (AFD), s’est retiré du projet en 2022, soit trois ans après avoir annoncé son soutien à hauteur de Rs 3,5 milliards. « AML signed a Declaration of Intent with the European Union (EU), the Agence Francaise de Développement (AFD), for the purpose of financing development projects at Plaine Corail Airport in Rodrigues, for an amount of about MUR 4 Billion », indiquait fièrement Airport of Mauritius Ltd (AML) en 2019. Pourtant, encore à ce jour, aucune raison n’a été officiellement communiquée, expliquant ce retrait soudain… D’aucuns parlent de non viabilité du projet au vu des difficultés géotechniques du site choisi pour la piste, ou encore de la possibilité d’un nouveau bailleur de fonds étranger.
Toutefois, malgré son atterrissage prématuré du projet, l’AFD continue de soutenir l’île Rodrigues, notamment avec une étude en cours sur le littoral de Maurice et de Rodrigues. Sur le site de l’AFD, l’on explique ainsi que « l’étude permettra de développer une cartographique de ces aléas, de la vulnérabilité des zones côtières et du croisement de l’aléa et de la vulnérabilité pour déterminer les zones à risques et permettre en aval le déploiement de plans d’action correspondants. Ces cartographies pourront servir pour des besoins de développement stratégique, d’aménagement du territoire, d’orientation des politiques publiques et plus largement de portée à connaissance de ces risques vers les populations, le secteur économique et les décideurs. »
Une cartographique qui pourrait d’ailleurs s’avérer utile dans un projet d’envergure, tel que l’agrandissement de la piste d’atterrissage et la construction d’une jetée du même style que celui d’Agaléga ? En effet, en plus du financement, le dossier de la piste d’atterrissage de Plaine Corail comporte quelques zones d’ombre sur le plan environnemental. En 2022, soit un an avant que la Banque mondiale n’accepte de financer le projet, Platform Moris Lanvironnman (PML) dont fait partie Adi Teelock, susmentionnée, écrivait une lettre ouverte à l’ambassadeur de l’Union européenne d’alors. PML mettait en lumière le fait que le gouvernement mauricien avait exempté ce projet d’un Environment Impact Assessment (EIA). « … There will be again no transparent EIA process, no EIA Report with pertinent information being made public, no possibility of making public comments on a report, and no EIA Permit with conditions being issues and made public », écrivait PML. Une anomalie de taille et maintes fois déplorée par les observateurs environnementaux.
Et si la Banque mondiale, principal bailleur de fonds à l’heure où nous mettons sous presse (en attendant que le gouvernement signe le fameux prêt), a effectué les études environnementales nécessaires avec un Environmental and Social Impact Assessment en plusieurs volumes détaillant le projet, nul ne sait ce qui adviendra des travaux connexes — dont la construction d’une nouvelle jetée — qui eux seront exemptés d’études d’impact social et environnemental. Un aspect non négligeable, d’autant que selon la Banque mondiale elle-même, ce projet est « High Risk » sur le plan environnemental (voir tableau).
Affaire à suivre.
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Un virage à 180 degrés avant d’atterrir
Pour info, la piste actuelle ne fait que 1 200 mètres de long. La nouvelle piste sera quant à elle d’une longueur de 2 100 m et d’une largeur de 45 m conformément aux exigences de l’International Civil Aviation Organisation (ICAO), y compris des aires de virage pour les avions de type A321 Neo, et envisage une Runway End Safety Area (RESA) aux deux extrémités de la piste. Selon l’EISA de la Banque mondiale, l’orientation de la nouvelle piste est alignée sur la direction principale du vent.
La conception prévoit des accotements de 2,5 m de large de chaque côté de la piste plutôt qu’une bande de gazon afin d’augmenter la visibilité des feux de bord de piste. Par ailleurs, pour l’atterrissage principal, les avions devront donc effectuer un virage à 180 degrés avant de rouler le long de la piste vers l’aire de trafic. En conséquence, une aire de virage a été prévue pour faciliter le virage à 180 degrés.
Par ailleurs, depuis 2021, dans le cadre des travaux, plusieurs projets ont été complétés à la demande du bailleur de fonds d’ailleurs, soit l’AFD. Ainsi, les habitants du village de Sainte Marie, soit 15 familles, ont été relogés au village de Plaine Corail.