Le conseil d’administration d’Air Mauritius a officialisé cette semaine la nomination de Charles Cartier au poste de Chief Executive Officer (CEO), marquant le début d’une nouvelle ère pour la compagnie nationale. Cette décision fait suite au départ négocié de l’ancien CEO, Kresimir Kucko, après une enquête dont les conclusions n’ont pas été rendues publiques. Lors d’une brève rencontre avec la presse, Charles Cartier a souligné l’importance cruciale de placer l’expérience client au cœur des priorités d’Air Mauritius, aspirant à faire de chaque passager un fervent supporter de la destination. Le nouveau CEO a également mis en avant l’importance du positionnement stratégique d’Air Mauritius, visant à résoudre les problèmes passés tels que les mauvaises expériences, les retards et les pannes pour améliorer la satisfaction des clients. Dans une démarche inclusive, Charles Cartier a annoncé des forums avec les employés et des réunions départementales pour définir une stratégie claire pour les axes prioritaires d’Air Mauritius Ltd. Avant sa nomination, le conseil d’administration d’Airport Holdings Ltd (AHL) a pris acte de la démission de Ken Arian en tant que Board Director de MK. Cette décision a été suivie de la désignation de Kantabye Babajee en tant que représentante d’AHL sur le board d’Air Mauritius. En fin d’après-midi de vendredi, sollicité par Week-End, Charles Cartier s’est prêté à l’exercice d’une première interview trois jours après avoir pris ses fonctions.
TAC-O-TAC : Le nouveau CEO de MK : « Un challenge qui a un impact national »
M. Cartier, quel a été votre premier sentiment lorsqu’on vous a proposé le poste de CEO d’Air Mauritius, qui est le siège éjectable N°1 à Maurice. Avez-vous hésité ou répondu tout de suite ?
J’ai répondu tout de suite. Moi, je ne le vois pas du tout comme un siège éjectable. Je dois dire que je suis assez content qu’on ait pensé à moi, et pour moi, c’est surtout le sentiment de me sentir utile pour un challenge qui a un impact national.
Et dans le sillage, que vous inspire la démission de Ken Arian comme membre du board d’Air Mauritius alors qu’il conserve son poste de CEO d’Airports Holdings Ltd et sera en quelque sorte l’un de vos supérieurs ?
Je vais répondre à la dernière partie de la question d’abord. M. Arian n’est pas mon supérieur. Je réponds au board d’Air Mauritius, dont il ne fait plus partie. Et pour répondre encore plus clairement à votre question, j’aimerais faire comprendre que la holding est une holding financière. Il n’y a pas de lien de hiérarchie entre les employés d’Air Mauritius et la holding. Il n’y a pas de lien de hiérarchie avec le CEO ou toute autre personne…
Néanmoins, on a vu ce qui s’est passé ces dernières années. Il y a quand même eu ingérence dans la gestion quotidienne d’Air Mauritius…
Je n’ai rien à dire sur ce qui s’est passé avant.
Et sur ce que vous inspire la démission de Ken Arian qui reste jusqu’ici à AHL ?
On m’a posé la question lorsque j’ai été nommé. Et je pense que la seule personne qui a à donner une réponse par rapport à cette démission, c’est M. Arian lui-même.
Savez-vous pourquoi il a démissionné ? Est-ce votre arrivée à la tête de MK ?
Je ne sais pas du tout ce qui a motivé son départ.
Vous n’êtes pas sans savoir qu’occuper le poste de CEO d’Air Mauritius vous donne une étiquette politique. D’ailleurs, dans les coulisses, on dit que vous êtes un des blue-eyed boys de Lakwizinn. Qu’est-ce que vous répondez à cela ?
Vous savez, je suis un professionnel et je m’occupe de l’administration d’entreprises depuis plusieurs décennies. Et je vais continuer à faire mon travail dans cet esprit. Je pense que ces considérations intéressent beaucoup de personnes, mais ne m’intéressent pas vraiment. Mon intérêt, et je l’ai dit clairement, est essentiellement tourné pour apporter la sérénité au sein de l’entreprise pour les employés et conquérir le cœur de nos clients. C’est vraiment mon focus. Étiquette, ce que les gens pensent, etc., je crois que ça leur appartient. Je n’ai pas encore fait assez de temps ici pour que les gens comprennent que moi, je suis là pour tous les employés et que je suis là pour faire de sorte que notre compagnie nationale retrouve ses couleurs.
Après les questions qui fâchent, revenons-en à la gestion au quotidien de MK qui est maintenant votre mission principale. Pensez-vous continuer à assumer votre rôle à la présidence de l’OTAM et vos autres fonctions éventuelles ?
Je tiens d’abord à rectifier quelque chose. Cela fait plusieurs années que je ne suis plus président de l’OTAM. La présidente, c’est Jenny Chan. Je trouve très dommage qu’on ne reconnaisse pas son travail au niveau de l’ensemble de la presse, alors qu’on a fait des communiqués, etc. Et je profite de la Journée Internationale de la femme pour rendre hommage à toutes ces femmes, dont Shalini, Yashmee, Chrystel, Ruba, Shramila et Ruba entre autres, qui oeuvrent dans le secteur ICT/BPO et qui constituent d’ailleurs la majorité des employés de ce secteur.
Je suis revenu à l’OTAM après avoir quitté l’EDB, comme premier vice-président, un poste que je suis en train de hand over. Je suis aussi membre du board de Business Mauritius, et je ne vais pas continuer… Je suis aussi Chairperson du Bureau des Statistiques. Mon focus est réellement au niveau d’Air Mauritius qui va prendre toute mon attention.
Pouvez-vous partager des insights tirés de votre expérience en tant que directeur d’Accenture (Maurice) et en tant que premier président de l’Economic Development Board ?
Comment ces expériences influenceront-elles votre approche en tant que CEO d’Air Mauritius ?
Au cœur de mes priorités, il y a l’engagement et la cohésion des équipes. Mon parcours reflète une constante : travailler avec une vision de croissance à long terme. J’ai eu la chance de collaborer avec des équipes qui ont adhéré à cette vision, et ensemble, nous avons accompli des réalisations exceptionnelles. Je tiens à souligner que cette adhésion ne se gagne pas en un jour, mais s’instaure progressivement au fil du temps.
Mon expérience chez Accenture, en deux étapes majeures entre 2004 et 2007, a été ponctuée par une période où j’ai dirigé TNT Business Solutions. À cette époque, l’entreprise était confrontée à des défis majeurs, effectuant des tâches simples facilement reproduisibles par nos concurrents en Inde et en Chine. Avec une vision ambitieuse, nous avons transformé cette petite entreprise en la plus grande du secteur BPO, surpassant même Accenture en 2015, avec 700 employés. En intégrant Accenture cette même année, l’équipe est passée de 1 200 à 1 300 personnes.
Nous avions des ambitions claires dans l’assurance et le supply chain, notamment dans le secteur aéronautique, où nous avons rapidement acquis trois des plus gros clients. Mon implication dans ce domaine a été marquée par la croissance significative du business, passant à 200 employés dans l’aéronautique, couvrant divers domaines tels que le supply chain, la comptabilité et les services d’ingénierie.
Entre 2015 et 2024, j’ai eu la chance d’avoir la responsabilité du supply chain européen d’Accenture, implémentant des transformations majeures pour de grandes multinationales. Cette expérience internationale riche, je suis ravi de pouvoir l’appliquer aujourd’hui à Air Mauritius, une entreprise de valeur stratégique pour l’économie mauricienne. En répondant à votre première question sur mes sentiments, c’est une opportunité unique d’utiliser toute l’expertise que j’ai accumulée à l’international au service de mon pays.
Quels sont les principaux éléments de la vision stratégique que vous envisagez pour Air Mauritius sous votre direction en tant que CEO ?
Il y a trois axes clés à cette vision stratégique. Le premier axe est d’instaurer une ambiance sereine au sein de l’équipe, où la méritocratie prévaut en permanence. Pour moi, c’est très important. C’est un processus qui prendra du temps, mais je souhaite que cette atmosphère de confiance s’établisse de manière durable… La deuxième priorité, c’est l’amélioration d’expérience client. Effectivement, nous avons eu ces derniers temps de nombreuses plaintes, des pannes, des retards, etc. Et on sait que cela affecte l’image de marque de l’entreprise. Mon objectif est de m’assurer que l’expérience client, à toutes les étapes — c’est-à-dire au moment où la personne fait sa réservation, qu’elle achète son billet, lorsqu’elle arrive à l’aéroport, monte à bord, durant son voyage, les repas, à sa sortie de l’aéroport, les heures d’arrivée, les heures de départ — qu’il y ait de l’excellence dans cette expérience client. Je veux que tous nos clients deviennent des fans d’Air Mauritius et aussi des fans de la destination Maurice.
Enfin, le troisième axe concerne le positionnement stratégique d’Air Mauritius, étroitement lié aux deux premiers. Aujourd’hui, on parle de mauvaises expériences, par exemple, les retards ou les pannes d’avion qui sont également source de beaucoup de retards. Ce genre de choses est relié à la flotte actuelle. Il faut se poser les bonnes questions : Est-ce qu’on a la bonne flotte ? Est-ce qu’on a les bonnes destinations ? Est-ce qu’on a le bon nombre de sièges en classe économique, en classe affaires ? Est-ce qu’on a les bons partenariats ? Toutes ces questions doivent être répondues. On doit réellement s’asseoir et s’assurer que ce positionnement stratégique dessert deux objectifs : le premier est la croissance et la performance financière d’Air Mauritius, le deuxième est le rôle de MK. Pour ce positionnement stratégique, tout doit être pris en compte, revu.
Cependant, je suis quelqu’un qui ne prend pas des décisions sur les intuitions, mais basées sur des données chiffrées J’ai besoin qu’on me dise par exemple, quand on a X nombre de vols sur telle destination, cela sert à ça, ça et ça. Si on en avait plus, ou si on avait un partenariat additionnel, ce serait ça et ça. La stratégie doit être chiffrée et clairement définie, en se basant sur des données bien travaillées, des statistiques et des analyses approfondies plutôt que de me dire « on a l’habitude de faire comme ci ou comme ça »…
Vous avez souligné l’importance de faire de l’expérience client une priorité. Pourriez-vous expliquer comment vous comptez améliorer cette expérience pour les voyageurs d’Air Mauritius ?
Je viens d’un monde où l’intelligence artificielle est utilisée de façon très avancée, où la technologie est reine. Un monde où le service client est essentiel et toujours mis de l’avant. C’est la seule priorité, l’obsession de notre industrie pour nos clients. Et pour moi, ce sera exactement la même chose dans un monde où l’humain est au cœur des préoccupations. C’est pour cela que je dis que la priorité N°1, ce sont les employés. Le business ne fonctionnera pas bien si la sérénité n’est pas retrouvée.
Vous parlez de sérénité par rapport aux employés et vous évoquez également la méritocratie. Quand on parle d’Air Mauritius, on connaît comment ça fonctionne, les petits copains-copines, les lobbys, etc. Ce ne serait pas naïf de parler de méritocratie ?
Je vais vous dire très clairement, et je vais répéter, car pour moi, c’est extrêmement important. Tous les gens qui ont travaillé avec moi jusqu’à maintenant savent comment je suis. Je n’ai vu personne qui ait mis en doute mon engagement pour la méritocratie. Et c’est la première chose que j’ai dit au board. Le board est prévenu que je ne ferai aucune concession sur la méritocratie. Aucune concession !!!
Attendons voir… Revenons à vos stratégies. Par rapport aux trois axes que vous avez abordés, vous avez aussi parlé des récents problèmes à Air Mauritius. Quelles initiatives spécifiques avez-vous l’intention de mettre en place pour résoudre les problèmes passés tels que les retards et les pannes ?
C’est un problème qui mobilise toute mon attention depuis que j’ai pris les rênes de la compagnie et la première chose que je peux dire, c’est qu’il n’y a pas de solution “vite-vite” pour ce problème. Il y a certaines décisions clés qui doivent être prises, mais ce ne sont pas des solutions qui peuvent être mises en place aussi vite que les gens le pensent. Cela nécessite des positionnements qui prennent du temps parce qu’il y a d’autres protagonistes, comme les fournisseurs, qui sont concernés. Nous ne sommes pas dans un business où on achète des consommables et on les revend. Nous sommes dans un business avec des investissements en capitaux qui prennent du temps et qui sont très chers. Les décisions vont être prises rapidement, mais la mise en œuvre des décisions peut être un peu plus longue que ce que les gens anticipent. Ce qui est sûr, c’est qu’on y travaille…
Vous avez mentionné votre intention de mettre en place des forums pour rencontrer les employés. Ces rencontres, comment est-ce que vous les envisagez, et c’est pour quand ?
C’est pour la semaine prochaine. Je vais rencontrer les employés. Restez tuned sur le site d’Air Mauritius et vous aurez toutes les informations. Déjà, une heure après ma nomination, j’ai fait une vidéo dans laquelle je m’adresse au personnel de MK, à qui j’explique très clairement mon engagement par rapport aux employés.
Qui dit employés dit aussi syndicats…
Effectivement. Là encore, c’est prévu. C’est une de mes priorités de rencontrer les syndicats, et je vais le faire très rapidement.
Il est de notoriété qu’il y a des potentats responsables qui abusent de leur pouvoir et sont restés impunis jusqu’ici. Comment prévoyez-vous de gérer la transition et surmonter les éventuels défis organisationnels liés à ce changement de direction ?
Ma méthode est très simple. Je ne suis pas quelqu’un qui me fie au « bouche à oreille » et qui utilise cela pour me faire une opinion sur une personne. Je vais rester très objectif et m’assurer d’avoir des éléments totalement objectifs avant de former mon opinion sur la base de choses concrètes. Mais je suis aussi très à l’écoute, parce qu’il y a plusieurs canaux pour l’expression des mécontentements. Je ferai ensuite mon homework par rapport aux infos que j’aurai en main avant de prendre des décisions.
Vous n’êtes pas sans savoir qu’Air Mauritius a été l’objet de virulentes critiques de grandes centrales syndicales internationales dans la façon dont elle a traité la présidente du syndicat du personnel navigant. Est-il envisageable en cette période de Journée de la femme que Yogita Baboo soit réintégrée ?
Vous me posez une question dont je n’ai pas la réponse aujourd’hui. Je n’ai pas assez d’informations à ce jour pour répondre. Il y a des procédures qui sont en place et nous allons suivre les procédures. Il y a souvent des informations qui sont confidentielles et il n’est pas convenable qu’Air Mauritius aille sur les médias et dise quels sont les éléments de cette affaire et la raison pour laquelle nous prenons telle ou telle décision. Mais ce que je peux vous assurer, c’est que ce cas, comme tous les autres cas, sont des choses pour lesquelles je commence à entrer dans le détail. Je ne peux absolument pas vous dire quelle direction cela prendra.
Cette question s’inscrit dans votre vœu de faire de l’expérience client la priorité des priorités. Avec des hôtesses et des stewards qui sont en première ligne pour la réussite de cette politique, ne pensez-vous pas qu’il faille rétablir leurs conditions de travail d’avant-Covid et les compensations subséquentes ?
Je ne vais pas préempter ma discussion avec les syndicats. Mais je sais qu’on va se voir avec les syndicats. Il faut tout de même savoir que depuis le Covid jusqu’à maintenant, l’entreprise a fait plusieurs pas. Plusieurs choses qui ont été prises en considération et ajustées. On continue à travailler pour l’avancement de la compagnie.
Une dernière question pour finir. Revenons simplement à notre première question, celle du siège éjectable. Pourquoi ne pensez-vous pas que le poste de CEO d’Air Mauritius soit un siège éjectable ? Il y a certains qui ont fait trois-quatre ans, d’autres moins d’un an, et certains même quelques mois…
Certainement. Mais moi, je ne travaille pas dans cet état d’esprit. Je ne travaille pas avec la peur et je ne suis pas accroché à une position. Mon intention est réellement de mettre en place un plan, de déployer le plan et de parler du résultat. Ce qui se passera, ce que décidera le board à un certain moment. C’est au board de décider. Je ne me sens pas du tout sur un siège éjectable. En tous cas, je ne vis pas du tout avec crainte. Je suis quelqu’un qui adore les challenges. J’ai fait quatre Ironman dans ma vie. J’ai fait des ultra trails de plus de deux jours, traversant des montagnes et des rivières pendant plus de deux jours. Je n’ai jamais démarré un challenge avec une once de peur. J’aime les challenges. Je prends plaisir à les affronter. Avec Accenture, nous avions l’habitude de travailler sous pression de façon permanente. Je fais cela depuis des années et des années. J’ai développé naturellement la capacité d’être serein en face de situations difficiles.