Amina Akhoun, rédactrice en chef de Zinfos Moris : « Pour une fois, Pravind Jugnauth n’y est pour rien ! »

— « La fermeture du site devenait inévitable. Cela, malgré d’âpres batailles pour sa survie. La liberté a un prix. Bien des médias l’ont payé au fil des siècles »

Après cinq ans dans le paysage médiatique mauricien, le journal en ligne Zinfos Moris a fait ses adieux à ses lecteurs, lundi dernier. Ancrée à La Réunion, la publication qui traitait l’actualité générale mauricienne avait habitué les internautes à une ligne éditoriale teintée d’humour et de sarcasme. Un ton que revendique pleinement sa rédactrice en chef, Amina Ahkoun, d’origine mauricienne. D’ailleurs, cette dernière, qui ne sait pas faire dans la dentelle lorsqu’il faut dénoncer ou révéler, ne caresse personne, et encore moins les politiques, dans le sens du poil pour être dans les bons papiers des hommes et femmes du pouvoir. Femme au caractère trempé et tenace, Amina Akhoun a pendant les cinq années d’existence de Zinfos Moris transmis sa pugnacité à son journal. De La Réunion où elle vit, Amina Akhoun explique que Zinfos Moris, un titre qui se concoctait à quatre mains, disparaît pour des raisons liées à des développements au sein du groupe réunionnais Zinfos974.

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Vous avez annoncé l’arrêt de Zinfos Moris, sur Facebook, lundi dernier, en disant qu’il « est temps de tourner la page. »Quelles sont les véritables raisons derrière le clap de fin du journal en ligne ?

Pour une fois, Pravind Jugnauth n’y est pour rien ! Depuis sa création il y a cinq ans et demi, le site est autofinancé par le groupe réunionnais Zinfos974. Nous ne recevons pas de financement d’annonceurs locaux ou d’un quelconque parti politique. J’insiste là-dessus. Nous avons toujours chéri notre liberté. Nous avons pu résister aux conséquences économiques découlant de la pandémie. Mais en raison des développements majeurs au sein du groupe, la fermeture du site devenait inévitable. Cela, malgré d’âpres batailles pour sa survie. La liberté a un prix. Bien des médias l’ont payé au fil des siècles. Disons que notre tour est arrivé !

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Vous évoquiez par la même occasion “une nouvelle mission”. Pouvez-vous nous en dire plus ?

C’est tout simple. Je vais continuer à faire ce que je fais de mieux depuis 2013, avec talent et générosité. C’est-à-dire emmerder mon monde. Cela inclut un grand nombre, je peux vous l’assurer.

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Vous avez aussi parlé de menaces. Elles venaient de qui ? Et pourquoi ?

À force de frapper là où ça fait mal, pour le plus grand plaisir des Zinfonautes, le nombre de nos détracteurs a augmenté aussi vite que la dette publique du pays. Ils ont été nombreux. Cela allait des groupuscules extrémistes à certains qui opèrent dans l’ombre du régime au pouvoir. Mais il ne faut pas oublier quelques mercenaires de la presse. Eux, c’étaient les pires. J’ai eu droit à mon lot de bassesses, tentatives d’intimidation, lynchage public et insultes gratuites. Mais cela fait partie du jeu. Certes, ils ne s’attendaient peut-être pas que je riposte par des claques verbales bien méritées. J’ai un fichu caractère et si besoin, je sais piétiner avec mes talons pour me faire respecter. Néanmoins, je leur dis merci. Ils ont forcé Zinfos Moris à faire mieux, à être encore plus sarcastique, plus drôle aussi !

Comment a été créé Zinfos Moris et comment opérait-il ?

Zinfos Moris a vu le jour sur une idée de Pierrot Dupuy, le directeur des publications et fondateur de Zinfos974 à La Réunion. Il m’avait repérée depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux. Il a sûrement vu en moi son alter ego au féminin. Malgré mes réticences de départ à me lancer seule dans cette aventure, il m’a séduite en me remettant « clés en main » le site, la maintenance technique et par la suite, au vu du succès de Zinfos Moris, un collaborateur de mon choix. Nous avions carte blanche sur la ligne éditoriale. Avec mon binôme, nous avons construit une rédaction à deux. Cela demande forcément un investissement personnel sans relâche. On devait être disponible 7/7 et H24. Ce qui n’est pas évident, surtout lorsque le rythme est effréné. Nous avons produit plus de 40 000 articles. Je laisse chacun juger de notre implication.

Vous avez quelques fois, et à titre personnel, « flingué » le régime Jugnauth sur les réseaux sociaux. Pourquoi lui en voulez-vous ?

Je n’ai pas connaissance d’avoir « flingué » à titre personnel le régime Jugnauth, puisque de mémoire, et j’en ai une parfaitement intacte, j’ai flingué tous les chatwas, gopia et fatras qui me tapaient sur le système. Et avouez qu’ils sont nombreux. Cela inclut l’opposition et mes amis de la presse. Nous agissions comme des snipers. On tirait sur tout ce qui bouge. Comme dirait Brassens, « quand on est con, on est con ». Si certains ont été heurtés ou sont susceptibles, ils n’ont qu’à changer de métier. Mais je tiens à préciser, car on a tendance à l’oublier, que l’opposition a eu sa dose de critiques et de papiers humoristiques de la part de Zinfos Moris. Il suffit d’aller revoir certains des articles que nous avions écrits sur le PTr, le MMM, le PMSD et les autres. Néanmoins, ils étaient plus sarcastiques et humoristiques. Ce qui est normal, puisque l’opposition, comme son nom l’indique, n’est pas aux affaires. Dans ce contexte, il est évident que c’est le gouvernement qui a été le plus critiqué… car c’est lui qui prend les décisions.

Est-ce que les retombées de vos positions n’ont pas fini par éclabousser sur Zinfos Moris ?

Jamais. La force du site Zinfos Moris, c’est de prendre des positions fortes et à contre-courant. C’était l’ADN du site. Nous avons éclaboussé les uns et les autres en les mettant face à leurs responsabilités.

En étant basé à La Réunion, Zinfos Moris était dans une situation confortable pour traiter l’actualité mauricienne non sans sarcasme. Votre opinion ?

L’objectif de départ était assumé : informer sans censure et tabous les sujets d’actualité. Et Pierrot Dupuy n’est pas venu me chercher pour faire dans la complaisance. On me connaît déjà comme un des auteurs de la page Power Pouffes. De 2014 à 2017, les Pouffes ont traité l’actualité mauricienne avec humour et sarcasme. Cette marque de fabrique fait partie de ma personnalité. On se sent dans une situation confortable quand on ne courbe pas l’échine pour faire plaisir aux maîtres du jour. Je remercie d’ailleurs les personnes qui nous ont confié des informations et documents confidentiels. Pour des raisons que j’ignore, ils ont préféré se tourner vers nous plutôt que d’autres médias. Je pense que le fait que l’on soit basé à La Réunion avait quelque chose de rassurant pour ces personnes.

Quelle a été la contribution de Zinfo Moris dans le paysage médiatique mauricien ?

Nous avons offert un espace de liberté sans contrepartie.

Vous avez été la rédactrice en chef de ce journal. Pour les Mauriciens qui ne vous connaissent pas, qui est Amina Akhoun ?

Une jeune femme avec des convictions et qui adore relever les défis. On me connaît pour mes coups de griffe ou de plume. Mes coups de cœur ou coup de gueule. Comme je déteste l’idée de faire mon propre marketing, je partage cependant cette citation de Martin Luther King Jr qui permettra à vos lecteurs de mieux me cerner : « If you can’t fly, then run. If you can’t run, then walk. If you can’t walk, then crawl, but whatever you do, you have to keep moving forward. If I cannot do great things, I can do small things in a great way. »

Propos recueillis par S.Q.

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