Nathacha Appanah a reçu jeudi à l’Élysée le prix Goncourt des lycéens, après avoir remporté début novembre le prix Femina, pour « La nuit au cœur » (Gallimard), qui raconte le destin de trois femmes prises dans la spirale des violences masculines, a annoncé le jury réuni à Rennes.
Seule femme en lice dans la dernière sélection, Nathacha Appanah a remercié le jury pour « le grand cadeau que vous m’avez fait, à moi, à Chahinez, à Emma, à la littérature ».
Son prix lui a été remis en fin de journée à l’Elysée par Emmanuel Macron, qui a salué un roman « magnifique et bouleversant ».
S’exprimant devant quelque 200 lycéens venus de différentes régions, le président les a invités à « lire », car « l’acte de lecture est un acte de résistance face à la passivité » que peut représenter le visionnage de vidéos sur téléphone portable. « La lecture recule parce que le temps d’attention recule », a-t-il regretté.
Le roman de Nathacha Appanah, « La nuit au cœur » lie le destin de trois femmes sous l’emprise d’hommes jaloux, brutaux et manipulateurs: l’autrice elle-même, sa cousine Emma et Chahinez Daoud, mère de trois jeunes enfants, brûlée vive par son mari qu’elle avait quitté en 2021.
« Nous avons été bouleversés par ces trois histoires de femmes et profondément touchés par sa plume alliant complexité, justesse et poésie », a déclaré la porte-parole du jury Elsa Lelaumier, élève de terminale à Vence (Alpes-Maritimes), depuis l’Hôtel de ville de Rennes.
Emmanuel Macron a souligné que son roman « contribuera beaucoup à la cause » du combat contre les violences faites aux femmes.
L’autrice avait déjà remporté début novembre le prix Femina pour « La nuit au cœur ».
Cinq finalistes
Le féminicide de Chahinez Daoud à Mérignac, en banlieue bordelaise, avait fait grand bruit et relancé le débat sur la prise en charge par la police et la justice des femmes victimes de violence conjugale.
« C’est un livre que j’ai commencé à envisager le lendemain de la mort de Chahinez Daoud », a expliqué à l’AFP Nathacha Appanah.
« La barbarie, l’horreur de sa mort, le ressassement de ces violences-là, la répétition de ces violences-là dans notre société m’a comme convoquée pour aller voir, pour aller comprendre (…) ce qui fait que dans une conjugalité, dans une intimité, dans un foyer d’amour ce sentiment-là d’amour tourne au poison », a détaillé l’autrice.
La deuxième est Emma, une cousine de l’autrice, également mère de trois enfants, écrasée par son mari en 2000 à l’Ile Maurice.
La troisième est l’autrice elle-même, qui a fui, pieds nus, le compagnon violent et paranoïaque avec lequel elle vivait, jusqu’à 25 ans, à l’île Maurice.
En France, une femme meurt tous les trois jours de la violence d’un conjoint ou ex-conjoint.
Les autres concurrents en lice pour ce prix très prescripteur en termes de ventes étaient Laurent Mauvignier (« La maison vide », Minuit, prix Goncourt), David Deneufgermain (« L’adieu au visage », Marchialy), David Thomas (« Un frère », L’Olivier) et Paul Gasnier (« La collision », Gallimard).
Les cinq finalistes de cette 38e édition ont été sélectionnés lundi par près de 2.000 lycéens de 57 établissements en France et à l’étranger.
« Le plus beau des prix »
Le Goncourt des lycéens « est pour moi le plus beau des prix », a souligné Natacha Appanah, « c’est un prix de lecteurs, c’est un prix de la jeunesse ».
Petit frère du Goncourt des adultes, le Goncourt des lycéens, créé dans la capitale bretonne en 1988 et organisé par la Fnac et le ministère de l’Education nationale, se déroule chaque année de septembre à novembre.
Il permet à des jeunes lecteurs de découvrir la littérature contemporaine et de promouvoir le goût de la lecture dans leurs établissements.
Le Goncourt des lycéens peut représenter certaines années plusieurs centaines de milliers d’exemplaires vendus.
La lauréate rejoint notamment Neige Sinno, Alice Zeniter, Gaël Faye ou encore Joël Dicker dans la lignée des prix Goncourt des lycéens.
En 2024, il avait été attribué à Sandrine Collette pour son livre « Madelaine avant l’Aube », publié chez JC Lattès.
Ces romanciers débutants qui ont marqué la rentrée littéraire
Le Goncourt des lycéens, décerné, hier, marque la fin de la saison des prix d’une copieuse rentrée littéraire à laquelle ont participé 73 primo-romanciers, dont un petit nombre a connu le succès dans les librairies.
– Paul Gasnier
Il n’a pas eu le Goncourt des lycéens, pour lequel il était parmi les cinq finalistes, mais il est, avec « La collision » (Gallimard), l’écrivain débutant qui a le plus vendu cet automne.
Le journaliste de l’émission Quotidien (TMC) raconte, sans pathos, l’accident mortel de sa mère en 2012 à Lyon dans un accident de vélo provoqué par un jeune garçon qui faisait une roue arrière à moto.
« J’aurais dû devenir d’extrême droite parce que j’ai vécu un drame qui vient valider tout son discours: ma mère a été tuée par un jeune maghrébin dealer défoncé au cannabis et récidiviste. Il cochait toutes les cases. Et ma mère aussi cochait toutes les cases de la victime idéale », a expliqué Paul Gasnier. « C’est la correspondance parfaite entre cet événement -cette collision- et le discours d’extrême droite qui m’a donné envie d’écrire. »
– Mathilda di Matteo
La jeune autrice a fait une entrée fracassante dans le monde littéraire avec « La bonne mère » (L’Iconoclaste), un roman à la fois drôle et tragique, qui a remporté le prix Talent Cultura et s’est déjà vendu à plus de 50.000 exemplaires selon son éditeur.
Coloré, à l’image de la couverture pop, le roman raconte les hauts et bas de la relation entre une mère, vraie « cagole » marseillaise, et sa fille unique, une intellectuelle montée à Paris et tombée amoureuse d’un BCBG, un « girafon » exaspérant.
« Ce qui me tenait à cœur, c’était de parler des choses qu’on reproduit malgré soi, du poids de l’héritage familial », a expliqué à l’AFP Mathilda di Matteo qui est née dans la cité phocéenne. « J’étais stressée avant la première présentation du livre à Marseille, mais ça s’est extrêmement bien passé. Je suis très contente d’avoir la validation du peuple marseillais », ajoute la romancière, qui fait partie des 12 primo-romanciers célébrés par le Centre national du livre (CNL) dans son dîner annuel.
– Rebeka Warrior
Connue comme chanteuse et DJ, Rebeka Warrior a publié un premier roman choc, « Toutes les vies » (Stock), sur la mort de sa compagne emportée par un cancer à 36 ans.
Ce texte, qui a remporté le prix de Flore, est présenté comme « une autofiction », au style parfois brut et truffé de citations d’écrivains et de philosophes.
Rebeka Warrior, de son vrai nom Julia Lanoë, 47 ans, est connue comme musicienne au sein de plusieurs groupes, comme Sexy Sushi, Mansfield.TYA et Kompromat, de la scène électronique.
– Séverine Cressan
Sélectionné pour plusieurs prix et conseillé par des libraires, « Nourrices » (Dalva) de Séverine Cressan fait découvrir le monde méconnu de ces femmes sur lesquelles a reposé pendant des siècles une industrie de l’ombre, celle du lait maternel.
« Nous avons de l’activité de la nourrice une image maternelle, touchante, mais elle était en réalité très mercantile », explique l’autrice. Cette profession a disparu dans la première moitié du XXe siècle.
– Gabrielle de Tournemire
Son premier roman, « Des enfants uniques » (Flammarion), salué par le prix « Envoyé par la Poste », traite d’un sujet qu’aborde peu la fiction: l’amour entre personnes handicapées. L’autrice le connait bien pour avoir travaillé dans un foyer d’hébergement pour adultes en situation de handicap à Bruxelles.
– Et aussi…
Parmi les premiers romans ont également été remarqués « Quatre jours sans ma mère » (Philippe Rey) de Ramsès Kefi, lauréat du prix Première plume, « In violenta veritas » (Grasset) de Catherine Girard, ou « Combustions » (Albin Michel) de François Gagey. « Quand on a des échos positifs de son premier texte, cela donne envie d’en écrire un deuxième », annonce ce dernier.

