C’était censé être une séance ordinaire, mais celle-ci est devenue un champ de bataille politique. Mardi dernier, la dixième séance de l’Assemblée régionale de Rodrigues a viré au tumulte, marquée par des échanges d’une rare virulence entre le gouvernement régional et l’opposition. Cris, accusations, suspension de séance, et finalement un walk-out spectaculaire : jamais depuis le début de l’année, l’hémicycle rodriguais n’avait connu une telle effervescence.
La séance avait déjà mal démarré. Retardée d’une vingtaine de minutes pour cause de pannes techniques – un générateur récalcitrant, des micros capricieux – l’atmosphère était lourde avant même que les débats ne s’ouvrent. Dès les premières interpellations, la tension est montée d’un cran. Le dossier brûlant de la Rodrigues Public Utilities Corporation a mis le feu aux poudres.
Nicolson Lisette (Organisation du Peuple de Rodrigues (OPR) a multiplié les interventions incisives, évoquant des « pratiques douteuses » au sein de la corporation. Le chef commissaire adjont, Johnson Roussety, visiblement irrité, a confirmé l’existence d’un rapport confidentiel soumis à la Financial Crimes Commission (FCC).
« Oui, un rapport a été envoyé à la FCC. Il faut une enquête approfondie. Il y a des manquements dans la relation de confiance entre le président du Board et moi », a-t-il lâché, d’un ton grave. Une déclaration qui a immédiatement mis le feu aux poudres. Son adjoint a dénoncé des comportements inacceptables : des membres du Board logeant à Cotton Bay sans autorisation, des documents de soumission non distribués…
L’opposition, flairant une faille, a attaqué sans relâche. « To mank rol, vini mo donn twa rol ! » L’étincelle de trop.
Mais, c’est sur un tout autre front que la tension a atteint son paroxysme. La commissaire à la Femme, interrogée sur la récente visite de la ministre Arianne Navarre-Marie, aurait perdu son calme sous le feu des questions répétées. Son cri, resté célèbre dans les couloirs de l’Assemblée, a claqué comme un coup de tonnerre : « To mank rol ? Vini, mo donn twa rol ! » En quelques secondes, l’ordre a volé en éclats. Cris, rires nerveux, insultes à peine voilées. Le président de l’Assemblée Régionale de Rodrigues, impuissant face au vacarme, n’a eu d’autre choix que de suspendre la séance après à peine dix minutes d’échanges.
Mais la tempête n’était pas terminée. En son absence, les esprits se sont encore plus échauffés. Face à lui seul, Johnson Roussety a tenu tête à une opposition déchaînée. « Zot krwar Rodrig-la pou zot? »
-« To pe koloniz Rodrig ! » – « To finn ekrir to let demision ! » Des mots durs, violents, tranchants. Le ton était donné : les échanges étaient plus politiques, plus personnels, plus explosifs que jamais.
Une accalmie fragile
L’après-midi, la séance a repris sous un ciel d’apparente sérénité. Les interpellations ont porté sur l’agriculture, le tourisme, la pêche à l’ourite, ou encore le transfert de pompiers. Mais cette accalmie n’était qu’un répit.
Le chef commissaire a défendu le choix d’un prêtre de lire son message officiel à l’occasion de la Journée de Rodrigues. Une décision que l’opposition a jugée inappropriée, évoquant la neutralité des institutions. C’était la goutte de trop.
Dans un geste collectif et symbolique, les membres de l’opposition ont quitté la salle sous les regards médusés de la majorité. Le chef commissaire, imperturbable, a lancé, non sans provocation : « Kouma zot pe ale la… nek demisione ! » Un mot de trop, un sourire de défi, et la fracture s’est creusée un peu plus entre les deux camps.
Au total, sur les 34 questions inscrites à l’ordre du jour, seules 15 ont pu être traitées, soit huit le matin et sept après le déjeuner. La séance a pris fin dans un mélange d’amertume et de fatigue, ajournée au 19 décembre à 15h.
Mais au-delà des chiffres, c’est le ton de la politique rodriguaise qui interpelle. Une scène où la passion l’emporte souvent sur la raison, où les voix s’élèvent plus vite que les idées, et où chaque séance devient un théâtre d’émotions brutes – parfois au détriment du respect institutionnel.
Rodrigues, île de débats, île de défis, vit intensément sa démocratie. Mais à quel prix ? Mardi dernier, l’Assemblée Régionale de Rodrigues n’a pas seulement révélé des désaccords : elle a exposé les fractures profondes d’une classe politique en quête d’équilibre entre pouvoir, fierté et responsabilité.

