Australie – Réseaux sociaux interdits aux moins de 16 ans : Et si à Maurice on faisait pareil ?

La région indopacifique est en ébullition et l’étau se resserre de plus en plus autour des grandes plateformes de réseaux sociaux. Ainsi, durant la semaine, l’Australie a approuvé une législation interdisant l’accès aux réseaux sociaux, soit Facebook, TikTok, Instagram et X (anciennement Twitter) pour les moins de 16 ans. Une mesure audacieuse qui prendra effet dans un an et qui a pour objectif de réduire a minima les dangers auxquels les enfants s’exposent, dont le cyberharcèlement, les arnaques, les contenus violents, à caractère sexuel et autres. Des phénomènes alarmants qui vont crescendo à travers le monde, dont à Maurice, et qui ont un impact plus dévastateur sur un jeune cerveau en développement. Et si justement Maurice appliquait une telle loi ? Ruchi Swambar, Psychological Counselor à Les Mariannes Wellness Sanctuary, nous explique ce qui se passe dans la tête d’un internaute mauricien de moins de 16 ans.

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Le Mauricien est un « traser », oui. Nous l’avons d’ailleurs récemment vu pendant les élections, avec l’utilisation de VPN pour contrecarrer le Social Media Ban imposé par l’ancien gouvernement pour des raisons, semble-t-il, de sécurité nationale. C’est aussi ce que prévoient certains jeunes de moins de 16 ans en cas de Facebook Ban à Maurice, si toutefois cela devait se produire. « Si cela devait arriver à Maurice, je vais faire comme pendant les élections et utiliser un VPN pour pouvoir m’exprimer et discuter avec mes amis », nous confie S. S, un jeune de 14 ans, habitant des hautes Plaines Wilhems. Si le premier réflexe est, en effet, de s’opposer, de contrecarrer, voire de rejeter une loi qui nous est imposée, une réflexion plus poussée s’impose, surtout quand il s’agit de santé mentale.

En effet, ces dernières années, les cas de cyberharcèlement à Maurice ont augmenté, causant parfois des conséquences désastreuses sur la santé mentale des victimes. « En ce qui concerne le pays, il y a eu une augmentation notable des incidents signalés sur le Mauritian Cybercrime Online Reporting System (MAUCORS) en 2023 par rapport à 2022. Les escroqueries et fraudes en ligne étaient le type d’incident le plus signalé, suivi du harcèlement en ligne », relève le rapport Cybersecurity Trends & Prédictions 2024 publié par CERT-MU. En effet, les autorités rapportent qu’en 2023, les cinq cybermenaces les plus signalées sur MAUCORS sont celles liées aux médias sociaux, avec 21% de harcèlement en ligne, suivies des escroqueries et des fraudes (22%), et du piratage informatique (21%).

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Ruchi Swambar travaille très souvent, voire trop souvent sur ce genre de cas. Pour elle, « à Maurice, la cyberintimidation est un problème de plus en plus préoccupant, en particulier chez les adolescents. De nombreux jeunes déclarent avoir été victimes ou témoins de harcèlement en ligne, et ce phénomène s’étend souvent à leur vie hors ligne, impactant leurs résultats scolaires, leur estime de soi et leur bien-être mental. Alors que les plateformes comme Facebook et Instagram sont populaires auprès des adolescents, l’absence de conseils parentaux solides et les campagnes de sensibilisation limitées contribuent à la persistance de ce problème. »

Par ailleurs, elle rappelle que les dangers des médias sociaux sont vastes et multiples. « La cyberintimidation, par exemple, passe souvent inaperçue aux yeux des adultes, mais elle peut profondément nuire à la santé mentale d’un jeune, laissant des cicatrices qui perdurent jusqu’à l’âge adulte.

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Le porno vengeur et la sextorsion sont des problèmes particulièrement alarmants à l’ère numérique, qui ont des effets psychologiques dévastateurs, notamment la honte, la peur et le retrait social. » En outre, Ruchi Swambar explique que les algorithmes utilisés par ces plateformes exposent souvent les jeunes utilisateurs à des contenus préjudiciables, « notamment la violence, l’automutilation ou les idéologies extrémistes, qui peuvent influencer leur comportement et leur perception du monde.

Bien que ces plateformes disposent de certains garde-fous, elles ne parviennent pas toujours à contrôler et à prévenir efficacement les abus, surtout lorsqu’il s’agit de cas localisés ou culturellement spécifiques comme ceux de l’île Maurice. »

Nous lui avons demandé son avis, du point de vue médical, sur cette mesure adoptée en Australie. « D’un point de vue médical et psychologique, la restriction de l’accès aux médias sociaux pour les mineurs de moins de 16 ans pourrait avoir des conséquences à la fois positives et négatives. D’un point de vue positif, cette mesure pourrait contribuer à réduire les risques d’exposition précoce à la cyberintimidation, au harcèlement en ligne et aux normes de beauté irréalistes, qui sont souvent liées à des problèmes de santé mentale tels que l’anxiété, la dépression et le manque d’estime de soi », explique-t-elle. Et de poursuivre que, « toutefois, certains s’inquiètent de la façon dont une telle mesure pourrait limiter les possibilités pour les jeunes de développer leur culture numérique, leurs relations sociales et leurs réseaux de soutien en ligne. L’efficacité de cette loi dépendra en grande partie de la manière dont elle sera mise en œuvre et complétée par des programmes d’éducation et de sensibilisation. »

Quid de Maurice ? La population serait-elle prête à prendre de telles décisions pour protéger les jeunes ? « L’île Maurice n’est peut-être pas encore prête pour une loi aussi restrictive, car elle nécessiterait des infrastructures importantes, des mécanismes d’application et l’adhésion du public », dit-elle. Et d’ajouter que « le respect de la loi nécessiterait des systèmes de vérification avancés et une campagne de sensibilisation pour éduquer les parents et les jeunes sur la raison d’être de la loi. Toutefois, le pays peut prendre des mesures progressives, telles que la promotion de programmes d’alphabétisation numérique, l’introduction d’outils de contrôle parental et la promotion de dialogues ouverts sur la sécurité en ligne. »

Ruchi Swambar explique aussi que si les adultes arrivent tant bien que mal à gérer les cas de bullying en ligne, les jeunes, eux, bien moins. « Les adolescents vivent le harcèlement très différemment des adultes, car leur cerveau est encore en développement, en particulier dans les domaines liés au contrôle des impulsions et à la régulation des émotions. Lorsqu’un jeune est confronté au harcèlement en ligne, il est probable qu’il se sente pris au piège, car ses cercles sociaux sont souvent étroitement liés au monde numérique. » Elle souligne que « les médias sociaux amplifient ce problème en offrant une plateforme de harcèlement 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, ce qui empêche la victime d’y échapper. Pour un mineur, cette exposition constante peut conduire à des sentiments accrus d’anxiété, d’humiliation et même de paranoïa. Leur estime de soi est souvent liée à leurs interactions en ligne, et les expériences négatives peuvent créer une perception biaisée de leur valeur et de leurs relations. »

En outre, dit-elle, de nombreux jeunes ne disposent pas des mécanismes d’adaptation nécessaires pour faire face à de telles situations. « En l’absence d’un soutien adéquat, cette situation peut entraîner une baisse des résultats scolaires, un isolement social ou des comportements autodestructeurs.
Cela souligne l’importance de doter les jeunes de compétences leur permettant de gérer leurs émotions, de naviguer dans les interactions en ligne et de demander de l’aide si nécessaire », prévient-elle.

Par ailleurs, si cette nouvelle loi peut sembler trop extrême pour certains dans un monde où la liberté d’expression tient une place on ne peut plus importante, les autorités australiennes parlent de redonner le contrôle des parents sur leurs enfants et de les protéger des dangers des réseaux sociaux. « Trouver le juste équilibre entre le contrôle parental et la liberté du jeune nécessite une approche nuancée. Imposer simplement des restrictions peut conduire à la rébellion ou pousser les jeunes à trouver d’autres moyens d’accéder aux médias sociaux, souvent avec encore moins de surveillance. L’accent doit plutôt être mis sur la collaboration et l’éducation », soutient Ruchi Swambar. Elle préconise que les parents soient davantage informés des plateformes de médias sociaux, des risques qu’elles présentent et de la manière d’utiliser efficacement le contrôle parental. Ils doivent aussi discuter activement avec leurs enfants de leur vie en ligne, en créant un dialogue ouvert sur ce qu’ils voient, ce qu’ils vivent et ce qu’ils ressentent, et doivent pouvoir donner l’exemple d’un comportement sain en équilibrant leur propre temps d’écran et en faisant preuve d’interactions respectueuses en ligne.

Pour les jeunes, elle est d’avis que des programmes d’alphabétisation numérique soient mis en place pour les aider à comprendre les risques, à reconnaître les comportements préjudiciables et à apprendre à réagir ou à signaler les abus. Ruchi Swambar penche aussi pour l’autonomisation des jeunes. « Au lieu de se concentrer uniquement sur les restrictions, il faut donner aux adolescents les moyens de se fixer des limites et de faire des choix éclairés en ligne », dit-elle. Et d’ajouter que les systèmes de soutien dans les écoles, les conseillers et les organisations communautaires peuvent jouer un rôle en offrant aux jeunes des espaces sûrs où ils peuvent partager leurs expériences et demander conseil.

La professionnelle de santé mentale conclut ainsi qu’« une solution intermédiaire pourrait consister à introduire des modèles d’utilisation adaptés à l’âge. Par exemple, les mineurs pourraient avoir accès aux plateformes, mais avec des restrictions de contenu, un temps d’écran réduit et une plus grande surveillance. Ils pourraient ainsi continuer à profiter des avantages de la connectivité numérique tout en minimisant les risques. La collaboration entre les gouvernements, les entreprises technologiques et les communautés locales est également cruciale pour élaborer des politiques qui soient à la fois protectrices et responsabilisantes. »

En attendant que les contours de la nouvelle loi se dessinent en Australie, le monde a les yeux braqués sur elle, dans l’espoir qu’une telle mesure finira par porter ses fruits et réduire le nombre d’incidents sur les réseaux sociaux…

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