La réforme des pensions de vieillesse, adoptée dans la Finance Act 2025, franchit désormais le cap judiciaire. Deux citoyens, Lindsay M. D. Lamy, né en 1970, et Mohamed R. Subratty, né en 1977, ont saisi cette instance pour contester la légalité et la constitutionnalité de cette décision gouvernementale qui reporte de cinq ans l’âge d’accès à la pension universelle, soit de 60 à 65 ans.
Tous deux issus du secteur privé, les plaignants affirment avoir construit leurs projets de vie autour de la garantie, vieille de plusieurs décennies, que la Basic Retirement Pension (BRP) est due à 60 ans. Avec la nouvelle législation, ils devront attendre 65 ans pour en bénéficier. Ils estiment le préjudice financier direct à environ un Rs 1 million chacun, soit la perte de cinq années de pension au taux actuel.
Dans leur plainte, ils expliquent que ce changement brutal ne constitue pas une simple adaptation technique mais une atteinte grave à leurs droits fondamentaux. Selon eux, l’État a agi de manière arbitraire, sans étude d’impact, sans livre blanc ni véritable consultation publique.
Arguments constitutionnels
Les requérants fondent leur démarche sur plusieurs dispositions de la Constitution. Ils invoquent l’article 1, consacré à l’État de droit et aux principes démocratiques, estimant que la réforme a été menée de façon précipitée, au détour de la loi de finances, et sans le minimum de transparence requis.
Ils se réfèrent également à l’article 3, garantissant la protection de la loi et l’égalité devant celle-ci. Pour eux, la date butoir de septembre 1969, fixée par le gouvernement, crée une fracture injustifiable entre des personnes pourtant placées dans une situation identique : un citoyen né le 31 août 1969 touchera sa pension à 60 ans, alors que celui né un mois plus tard ne bénéficiera pas de ce privilège.
Ils estiment par ailleurs que l’article 8, relatif à la protection du droit de propriété, est bafoué : la pension, même non contributive, constitue selon eux un droit patrimonial, dont le report équivaut à une privation injustifiée. Enfin, ils dénoncent une violation de l’article 16, interdisant toute discrimination, en l’occurrence sur le seul critère de l’âge.
Les plaignants s’appuient aussi sur des textes de droit interne et de droit international. La Protection for Elderly Persons Act de 2005 définit comme Elderly toute personne ayant atteint 60 ans et prévoit même des sanctions pour tout préjudice financier causé à cette catégorie. Or, disent-ils, c’est précisément l’État qui inflige une perte substantielle à ces futurs bénéficiaires.
À l’international, ils citent le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui reconnaît le droit à la sécurité sociale, ou encore la Charte africaine des droits de l’Homme, qui impose aux États de protéger les personnes âgées. La réforme serait donc en contradiction avec les engagements internationaux de Maurice.
Réparations réclamées
La plainte demande à la Cour de déclarer la section 39 de la Finance Act et le Tenth Schedule qui fixe le nouvel âge de pension comme nuls et inconstitutionnels. À défaut, ils sollicitent une compensation financière équivalente à la perte subie. Les deux requérants réclament également toute autre mesure corrective que la Cour jugera appropriée, ainsi que les frais de justice.
Cette initiative judiciaire ne se limite pas à une affaire personnelle. Elle ouvre la voie à un contentieux plus large, car des milliers de Mauriciens nés après septembre 1969 sont concernés par cette réforme. Au-delà des débats techniques, la Cour suprême sera appelée à trancher une question essentielle : jusqu’où l’État peut-il modifier les règles du contrat social sans porter atteinte aux droits fondamentaux des citoyens ?