Alors que son lagon se meurt à petit feu, que ses terres craquent sous la sécheresse, et que son littoral s’effrite chaque jour, Rodrigues se retrouve seule, face à une indifférence budgétaire glaçante. Ce n’est pas un cri d’alarme de plus. C’est un SOS.
Et Louis Ange Perrine, commissaire de l’Environnement de Rodrigues, le lance de manière cruelle: « Nous n’avons plus les moyens de protéger Rodrigues. Ce n’est plus une question de politique, c’est une question de survie », s’indigne-t-il
Face aux élus de l’Assemblée régionale Rodrigues, le commissaire Perrine a laissé tomber les discours formatés. Le ton est devenu brut, cinglant, presque désespéré : « Nous parlons de développement durable, mais comment l’envisager si les financements s’effondrent ? C’est comme nous demander de naviguer sans voiles au cœur d’une tempête. »
Le verdict est sans appel : le budget 2025-26 alloué par le gouvernement central a fondu comme neige au soleil. Une décision administrative ? Non. Car derrière ces chiffres froids se cachent des réalités terrifiantes : des projets de gestion des déchets abandonnés, des reboisements cruciaux suspendus, des réseaux d’eau potable inachevés (alors même que la sécheresse frappe plus fort) et un littoral livré aux vagues, sans moyens de défense.
Le compte à rebours
Les faits sont là, brutaux : Rodrigues est à genoux face au dérèglement climatique. « Nous assistons à la disparition de nos coraux, à une érosion côtière sans précédent, à la pollution de notre lagon, et à des sécheresses qui ravagent nos terres. Chaque jour qui passe nous rapproche d’un point de non-retour », martèle Louis Ange Perrine.
Mais le coup le plus dur vient d’ailleurs : la dépendance totale aux décisions de Port-Louis. « Nous n’avons pas la main sur notre survie. Chaque projet doit traverser des labyrinthes administratifs à Maurice. C’est un gaspillage de temps, d’énergie et d’espoir », a enchaîné le commissaire de l’Environnement.
Les chiffres révélés résonnent comme un uppercut en plein cœur. Le budget de développement pour l’agriculture, l’élevage et la pêche à Rodrigues passe de Rs 124 millions à seulement Rs 18 millions pour l’année financière 2025-26. C’est une coupe budgétaire qui étouffe les secteurs vitaux de l’île. Derrière ces chiffres, ce sont des visages. Des familles. Des terres sèches qui attendent désespérément l’irrigation. Des barques qui restent à quai faute de moyens. C’est tout le tissu productif Rodriguais qui vacille sur un fil.
Louis Ange Perrine n’a pas mâché ses mots. « Depuis trois ans, je crie dans le désert. Rodrigues mérite d’être un partenaire économique respecté de Maurice, et non pas cette roue de secours que l’on regarde quand ça arrange. Cette coupe budgétaire n’est pas un simple ajustement administratif : c’est une déclaration de guerre contre notre dignité, contre notre avenir. »
Car pour le commissaire de l’Environnement, Rodrigues n’est pas à vendre. « Nous ne quémandons pas des miettes. Nous exigeons d’être considérés à la hauteur de ce que nous apportons à la République. Notre terre, notre lagon, nos savoir-faire, ce ne sont pas des décors de carte postale. Ce sont des piliers économiques, écologiques et culturels. » La coupe budgétaire de Rs 106 millions constitue pour lui « une fracture politique, un affront social ».
Pourtant, Rodrigues a la solution. Les projets existent. Par exemple, un centre de tri des déchets, qui transformerait les ordures en emplois et en ressources ; un reboisement communautaire qui redonnerait vie aux terres arides de Citronelle, Anse Quitor et Crève-Cœur ; des microstations d’épuration pour stopper le massacre écologique du lagon ; une ceinture verte autour de Port-Mathurin pour freiner l’urbanisation sauvage ; des drones de surveillance pour protéger les zones côtières contre les abus illégaux. « Ces projets ne sont pas des rêves sur papier glacé. Ils sont prêts. Nous avons les équipes, les partenaires, les citoyens engagés. Mais sans budget, ils resteront à l’état de plans mort-nés », a ajouté Louis Ange Perrine.
Un cri vers Port-Louis
Le message de Louis Ange Perrine est sans filtre : « Rodrigues ne demande pas la charité. Nous réclamons simplement le droit de protéger notre île. »
Il exhorte Port-Louis à sortir de son mutisme, à comprendre que l’effondrement de Rodrigues serait une faillite nationale. Mais il élargit aussi son appel : ONG, agences internationales, bailleurs de fonds, protecteurs de l’océan Indien : l’heure n’est plus aux conférences, mais aux actions concrètes. Et au cœur de ce combat, il place les Rodriguais. « Ce n’est pas avec des millions qu’on sauvera Rodrigues. C’est avec une prise de conscience collective. »
Le commissariat de l’Environnement prépare un plan d’éducation écologique pour que chaque enfant, chaque famille, devienne un acteur direct de la protection de l’île. Car la survie de Rodrigues se joue dans des gestes simples, des réflexes responsables, la réappropriation du lien avec la nature. « Chaque jour d’inaction, c’est une plaie de plus dans le cœur de Rodrigues. Nous n’avons plus le luxe d’attendre. Il faut agir, et il faut agir maintenant », a conclu Louis Ange Perrine.
Les producteurs entre colère et détresse
Pour Jean-Claude, éleveur de Mont-Lubin, cette annonce a été le coup de grâce : « On nous demande d’être résilients, mais comment l’être quand on nous prive de tout ? C’est comme demander à un pêcheur de ramer sans rame, de naviguer sans boussole. On nous étouffe à petit feu. »
Dans les villages, la peur est palpable. Ce ne sont plus des revendications de confort, mais de survie. Car à Rodrigues, l’agriculture, l’élevage et la pêche ne sont pas de simples activités économiques : elles sont la colonne vertébrale de la société.
Alors que l’on vante à Maurice le potentiel de l’économie bleue et de la transition vers des modèles durables, les Rodriguais assistent à un spectacle surréaliste : l’asphyxie volontaire de leurs filières productives. « On parle de souveraineté alimentaire, mais on nous prive des moyens d’y parvenir. C’est une hypocrisie insupportable », dénonce un collectif de jeunes agriculteurs.
Face à ce qu’ils perçoivent comme un abandon, les producteurs, les coopératives, les jeunes entrepreneurs et même les citoyens lambda commencent à s’organiser. Des forums de mobilisation, des pétitions, et même des actions symboliques sont en gestation. Un mot d’ordre commence à émerger :
« Si Port-Louis ne veut pas entendre, alors nous parlerons au monde entier », lâchent-ils.