Catherine Lyautey, grande Maîtresse de la GLFF  : « Faire partie de la franc-maçonnerie donne des armes »

Notre invitée de ce dimanche est Catherine Lyautey, la Grande Maîtresse de la Grande Loge Féminine de France, qui vient d’effectuer une visite à Maurice. Ce déplacement s’insérait dans le cadre des célébrations du 40e anniversaire de La Rose de l’Aurore, première loge de la GLFF dans l’océan Indien à laquelle se sont ajoutées, par la suite, deux autres loges féminines, le Flamboyant et le Shooting Star. Nous sommes allés à la rencontre de Mme Lyautey pour discuter à bâtons rompus de la franc-maçonnerie, plus particulièrement de la féminine.

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C’est votre toute première visite chez nous. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour venir rendre visite à vos sœurs mauriciennes ?

— C’est toujours la problématique quand on devient Grande Maîtresse : la première année, c’est la mise en place de son organisation et la deuxième est réservée, en général, à des déplacements vers les loges.

Une Grande Maîtresse a droit à combien de mandats ?
— Un mandat d’une année renouvelable pour deux ans, ce qui fait trois ans en tout.

Pas de risque que la Grande Maîtresse multiplie les mandats comme le font certains présidents de pays ou d’organisations ?
— Chez nous ça n’existe absolument pas. Ça existe peut-être dans d’autres obédiences, mais celles avec qui nous travaillons, avec qui nous avons des affinités ont, comme nous, un système très démocratique.

En 2023, la franc-maçonnerie a-t-elle encore l’importance qu’on lui attribuait autrefois : celle d’une puissante société secrète capable de faire et de défaire les gouvernements, de peser sur l’organisation de la vie de la cité ?
  Ce n’est plus du tout le cas, comme cela a pu l’être en France, sous la troisième République. Parce que tout bêtement, il y a eu 1940 et les lois du Maréchal Pétain et du gouvernement de Vichy, qui ont fait dissoudre les sociétés secrètes, dont la nôtre, ont quand même laissé beaucoup de marques chez les francs-maçons. Nous sommes aujourd’hui plus dans la discrétion : chaque maçon essaye d’influencer la société, mais dans son niveau personnel à lui. On peut l’être dans des mouvements politiques, syndicaux, écologiques, culturels, etc. C’est comme ça que le maçon tente d’influencer la marche de la société, mais on ne peut pas dire que la franc-maçonnerie, dans son ensemble, a une influence sur la marche de la société à travers un gouvernement, ce n’est plus le cas. Qu’il y ait eu des liens, des influences, des discussions entre des politiques et des frères, sans doute. Il y a eu des francs-maçons qui travaillaient avec des hommes politiques, certes, mais de là à dire que c’est la franc-maçonnerie qui fait avancer les choses au niveau politique, c’est nous donner un très grand pouvoir que nous n’avons absolument pas.

Encore que certains frères prétendent détenir ce pouvoir politique…

— Vous avez bien dit des frères, non ?

Parce que les sœurs n’aiment pas le pouvoir ?

— Ce n’est pas ça. Je pense que nous n’avons pas la même façon de regarder comment on peut influencer et agir sur le pouvoir.

Citons une définition : « La franc-maçonnerie est un ordre initiatique humaniste ayant pour but l’amélioration de l’humanité à travers l’introspection et le perfectionnement de soi-même avant toute chose afin de pouvoir ensuite rayonner dans la cité pour le perfectionnement de l’humanité. » Commente expliquer que cette franc-maçonnerie ait fermé sa porte aux femmes pendant des siècles en se comportant, passez-nous l’expression, comme un vulgaire club de machos ?

  Alors ça, moi aussi j’aimerais bien comprendre. Dès 1717, quand les Constitutions d’Anderson, bases de la franc-maçonnerie, ont été émises, il y avait des critères d’entrée. La franc-maçonnerie n’était pas ouverte aux athées, aux fous et aux femmes ! C’était la manière de penser du pasteur Anderson, une manière de penser très anglo-saxonne à l’époque. L’accès aux femmes était donc refusé. Comme toujours, les femmes ont dû se montrer volontaires et tenaces pour pouvoir gagner leur place.

Le combat a-t-il été rude ?
— Il l’a été. Nous avons été aidés par certains frères qui ont, comme on dit chez nous, des pas de côté. Ils ont dit à leurs obédiences qu’il fallait que les femmes soient reconnues, et c’est comme ça qu’il y a eu la création ou d’obédiences mixtes ou, pour notre cas, de loges d’adoption, c’est-à-dire que nos frères nous autorisaient à avoir des loges.

Vos frères vous autorisaient ! Est-ce qu’aujourd’hui les franc-maçonnes sont totalement acceptées par leurs frères ou tout juste tolérées pour être dans l’air du temps ? Comme le sont les ailes féminines des partis politiques ou de certaines organisations…

— En règle générale, nous avons notre place dans le monde maçonnique et en particulier la GLFF. Mais effectivement, il existe des obédiences qui, de par leurs règlements, ne peuvent pas recevoir les femmes et ne les considèrent pas comme des maçonnes à part entière.

À quoi cela tient-il ? Comment peut-on respecter des règlements qui sont à l’encontre de la démarche franc-maçonne ?
— Ça tient à cette notion, toujours présente malheureusement, de la règle de domination du machisme et du patriarcat. Écoutez, on ne va pas faire une polémique sur nos frères. Disons qu’actuellement dans le paysage maçonnique, on a toutes les possibilités, du monogenre, du mixte, des relations avec les uns et les autres ou pas.

Est-ce que c’est un phénomène mondial ou est-ce que c’est particulier à la France ?

Disons pour plaisanter qu’il y a aussi des intégristes au sein des francs-maçons ! C’est en tout cas une caractéristique de la franc-maçonnerie anglo-saxonne qui ne reconnaît pas les femmes. Ce qui n’a pas empêché l’Angleterre et d’autres pays anglo-saxons d’avoir eu des femmes chefs de gouvernement !

Est-ce qu’aujourd’hui vos frères vous traitent-il sur un vrai pied d’égalité ou toujours avec un peu de condescendance ?

— Ça a été le cas au départ quand nous étions des loges d’adoption. Ils avaient toujours ce regard un peu bienveillant, vous voyez ce que je veux dire ? Maintenant, c’est terminé. On a désormais pris notre place.

Vu de l’extérieur, on peut avoir le sentiment que la franc-maçonnerie est aujourd’hui un réseau qui permet à ses membres d’utiliser sa réputation et son passé pour faire du business, des affaires. Est-ce le cas ou est-ce une caricature ?

— C’est totalement une caricature ! Nous sommes le premier réseau qui ait existé, puisqu’au départ, les hommes qui voyageaient se retrouvaient et échangeaient en tant qu’hommes libres. On se passait des adresses de personnes et d’endroits où l’on pouvait être accueilli pour travailler et rencontrer des gens intéressants pour dialoguer, échanger. C’était de l’entraide normale, pas plus. Vous devez aller dans un endroit où vous ne connaissez personne et moi je peux vous mettre en relation avec quelqu’un. Pour moi, ça ne va pas au-delà, mais c’est comme partout, comme dans toutes les sociétés, il y a toujours des moutons noirs sur lesquels, malheureusement, on fait le focus en oubliant que l’ensemble des maçons et des maçonnes sont des gens qui sont, comme on dit chez nous, de bonnes mœurs.

Mais il y a quand même des maçons et des maçonnes qui ne sont pas, mais alors pas du tout, de bonnes mœurs, mais sont des affairistes, comme on l’a découvert avec certaines loges mafieuses, particulièrement en Italie…
— C’est vrai. Mais on fait le focus sur une ou deux loges, alors que, par exemple, dans mon obédience, j’ai 450 loges qui n’ont aucune problématique d’affaires. L’affairisme de certains frères rejaillit automatiquement sur l’ensemble de la maçonnerie, dont la féminine. Ça fonctionne comme une caisse de résonance. Pour un ou quelque moutons noirs, tout le monde est entaché.

Cette tendance affairiste est-elle en train de diminuer ou, au contraire, de se développer ?
— Je pense qu’il y a toujours des êtres humains qui veulent faire des affaires, gagner de l’argent et essayent tous les moyens possibles. Est-ce qu’il y en a plus qu’avant ? Je ne sais pas. Par contre, il y a aujourd’hui plus de caisses de résonance avec les réseaux sociaux.

Comment expliquez-vous que l’image que l’Église catholique a donnée de la franc-maçonnerie à une certaine époque, celle d’une société secrète, dangereuse, redoutée avec des pouvoirs occultes, perdure encore ?

— C’est normal. Nous sommes adogmatiques, c’est-à-dire que nous refusons les dogmes. Nous sommes une école de questionnement, de remise en cause. Bien évidemment, les religions – j’utilise à dessein le pluriel pour ne pas faire le focus sur une seule – prônent des dogmes sans croire à une vérité révélée. Alors que pratiquer la maçonnerie, c’est essayer de trouver par soi-même sa vérité. Donc, voilà pourquoi à mon avis, il y a ce… souci entre les religions et nous.

l Peut-on dire que la franc-maçonne respecte mieux les traditions que ses frères ?

— Je dirai qu’elle est plus attachée aux traditions. Elle est plus attachée à bien appliquer les méthodes qui sont enseignées. Elle est plus attachée à la transmission. C’est peut-être à ce niveau que se situe la différence.

l Comme dans la vraie vie, la franc-maçonne doit-elle se battre, faire deux fois plus d’efforts pour exister, avancer, progresser ?

— En franc-maçonnerie féminine, non, puisque nous travaillons entre femmes…

Permettez-moi de vous contredire… il peut arriver que des femmes soient beaucoup plus dures que les hommes envers les femmes, dans la rivalité pour avancer dans le parcours professionnel…

— On ne peut pas avoir de rivalité puisque nous sommes égales, travaillons toutes ensemble et surtout nous partageons un chantier : la construction sur soi-même afin de construire un monde meilleur. Donc, la rivalité…bien sûr il y a des égo, mais nous sommes un groupe d’adultes et nous travaillons à nous améliorer, à devenir meilleures pour pouvoir avoir un vivre-ensemble beaucoup plus agréable. La femme se bat au sein de la société, mais elle n’a pas besoin de le faire au sein de la franc-maçonnerie. Dans cette instance, elle apprend pour pouvoir, après, aller dans le monde extérieur pour prendre sa place, toute sa place. Celle qu’on lui refuse.

l On continue à la lui refuser, cette place qui lui revient de droit ?

— Oui, dans certains, pour ne pas dire beaucoup de domaines. Le plafond de verre existe dans notre société. Donc, je pense que nous avons encore du travail à faire.

Être franc-maçonne est-il un avantage dans ce combat ?

— Je pense que faire partie de la franc-maçonnerie donne des armes. Peut-être que le principal ennemi de la femme c’est la femme, qui n’a pas assez confiance en elle. Parce que, justement, pendant des années et des siècles, elle a subi cette pression de la part des hommes qui lui ont répété : tu n’es pas capable.

 Et que pendant des siècles et des années, des femmes ont répété cette même phrase à d’autres femmes et à leurs filles !

— On a fini par intégrer cette phrase. En maçonnerie, nous disons le contraire, nous disons : mais bien sûr que la femme est capable. Chacune d’entre elles est capable. La preuve : nous travaillons ensemble, donc, on apprend à avoir confiance en soi pour pouvoir après, chacune dans sa vie personnelle, être plus armée pour pouvoir travailler au bien-être de l’humanité, en commençant par soi-même.

Quelle est la situation de la franc-maçonnerie au féminin à l’île Maurice et dans l’océan Indien, dont vous êtes également la responsable ?

— Nous avons dans cette région du monde un bassin qui est extrêmement dynamique, avec beaucoup de jeunes femmes. Il y a à peu près 250 maçonnes dans la région, c’est à la fois beaucoup et pas assez, car nous voudrions que toutes les femmes puissent avoir accès et profiter de notre méthode. En tout cas, c’est une maçonnerie dynamique qui travaille beaucoup et c’est vraiment très vivifiant pour notre obédience.

Quelle est sa caractéristique, de votre point de vue ?

— La même que celle de Maurice. C’est un mélange de femmes venant de cultures tellement différentes, ce qui fait qu’on se nourrit de ces différences qui enrichissent.

Est-ce que la franc-maçonnerie au féminin existe en Afrique, dans les pays musulmans et en Asie ?

— La politique internationale de la GLFF est d’accompagner les femmes qui veulent ouvrir de nouvelles loges. Et puis, dans certains pays, elles décident, à un moment donné, de prendre leur autonomie, leur indépendance. C’est ce qui est arrivé au Cameroun et au Bénin, où des loges sont maintenant devenues des obédiences nationales. Nous avons encore des loges dans différents pays d’Afrique, une au Liban qui, avec la problématique politico-économique actuelle, a des difficultés à fonctionner, ainsi que d’autres au Maroc et en Israël, sans compter celles des pays de l’est.

Et quelle est la situation en Asie ?

— Nous n’avons pas encore de loges en Asie Dans cette partie du monde, c’est un peu plus compliqué, peut-être à cause de l’influence anglo-saxonne, mais je crois que c’est dû aussi au fait que la philosophie et la spiritualité des femmes d’Asie sont différentes. Nous ne voulons pas créer des loges d’expatriées et pour l’instant, nous n’avons pas encore réussi à ouvrir de loges locales en Asie. Cela étant, la GLFF n’est pas une obédience très ancienne, nous n’avons qu’un peu plus de 70 ans, donc, il nous faut encore du temps. Mais en attendant, je pense qu’on peut dire que nous avons fait une belle progression.

Ce début du XXIe est religieux, dans la fermeture et le renfermement sur soi, dans le rejet de l’autre, et le nationalisme exacerbé. Comment évolue la franc-maçonnerie dans cet univers ?

— Je ne dirai pas que ce siècle est religieux, mais qu’il est spirituel. Je pense que nous sommes à un moment où les êtres humains sont à la recherche de comment donner un sens à leur vie. Nous faisons face à un regain d’obscurantisme, alors que la franc-maçonnerie veut continuer à transmettre la lumière du siècle du même nom : celle de la fraternité, de l’égalité et de la liberté. Il faut remettre l’homme et l’humanisme au centre du débat ainsi que l’universalité des valeurs, pas le communautarisme. Il faut développer l’esprit critique, le perfectionnement, ne pas prendre pour argent comptant les acquis, mais toujours aller chercher derrière et être des êtres humains libres.

Est-ce que dans ce monde où la vitesse et la satisfaction immédiate priment, on a le temps d’aller prendre le temps de se connaître, de se découvrir ?

— Je crois qu’il existe une vraie appétence pour trouver un sens à sa vie et avoir une déconnexion totale, de prendre du temps pour soi, pour travailler sur soi-même. Sans doute que le désir d’avoir tout, tout de suite pose problème, mais il faut continuer à défendre les valeurs dont nous sommes en train de parler. Nous possédons des méthodes qui peuvent beaucoup apporter aux gens dans la découverte de leur vérité et nous voulons les partager et les transmettre. Il existe une vraie recherche de sens qui est très forte et on le voit avec la multiplication de livres et de méthodes sur le développement personnel. Il y a un besoin de se poser un moment et de réfléchir au lieu de suivre le mouvement. Ce n’est pas uniquement pour son petit bonheur personnel, parce qu’on a compris qu’on ne peut rien faire seul, sans les autres. Ce qui manque actuellement, ce sont les réponses aux questions essentielles : que faisons-nous ici ? ; où devons-nous aller ? ; que nous voulons faire ? ; que voulons-nous transmettre ?

 Dans une de ses publications, la GLFF écrit qu’elle est la première obédience féminine au monde et qu’elle doit se faire entendre quand la laïcité et le droit des femmes sont bafoués. Est-ce que vous avez des difficultés à vous faire entendre dans le monde d’aujourd’hui sur ces sujets ?

— Regardez ce qui se passe en Iran et en Afghanistan. Comment des femmes se battent uniquement pour avoir le droit à l’éducation, ce à quoi s’opposent les religieux qui ne veulent pas de l’éducation qui mène vers la liberté de penser, de choisir et de pouvoir dire non. Oui, il y a des difficultés à se faire entendre sur ces valeurs essentielles, mais ce n’est pas une raison pour ne pas continuer. Ce n’est pas parce que nous sommes un ordre initiatique que nous sommes fermées à ce qui se passe dans le monde. Nous sommes interpellées par les problématiques du climat, de la fin de vie, des droits des femmes, de la précarité, car dans les crises, surtout celles qui sont économiques, ce sont les femmes qui en sont les premières victimes. Mais notre première démarche est d’abord de travailler sur soi pour pouvoir avoir une réflexion et après la porter à l’extérieur.
Vous avez travaillé dans des cabinets ministériels en France et vous avez, selon votre CV, “une compréhension des institutions républicaines”. Forte de cette expérience, quel regard portez-vous sur la crise sociale qui secoue la France à propos de la loi sur la retraite ?
— J’ai un regard sur ce problème en tant que citoyenne, mais pas en tant que Grande Maîtresse de la GLFF, parce qu’il s’agit d’un débat politique au sens politicien du terme. Nous ne nous occupons pas de problèmes politiques. Notre démarche vise l’universalité et permet d’essayer de trouver sa place dans notre monde un peu perturbé actuellement, de pouvoir réfléchir ensemble, pour construire un monde meilleur.

 L’avenir, dans le sens global du terme, vous inquiète-t-il ?

— Je suis d’une nature très optimiste et j’ai foi dans l’humanité, malgré le fait que ses dérives et les siècles qui ont précédé n’ont pas toujours été de longs fleuves tranquilles. Ce qui me navre, c’est qu’on ne recherche pas les enseignements de l’histoire pour aborder les problèmes d’aujourd’hui. Mais je crois en l’être humain et en sa formidable capacité de rebondir.
La dernière question va sans doute vous étonner : est-ce que ça ne vous gêne pas d’être appelée Grande Maîtresse ?

— Pourquoi ça me gênerait ? Ce n’est qu’un titre. Grande Maîtresse, il faut le prendre dans le sens de traduction féminine de Grand Maître, qui voulait surtout dire chef de chantier. C’est le titre qui m’est donné et qui va avec la fonction. Je suis avant tout une sœur de la loge GLFF.

 

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