Cela fait deux ans qu’ils sont partis. Deux ans que pas un jour ne passe sans que leurs proches ne se remémorent ces jours tragiques de mars-avril 2021, où 11 patients dialysés sont décédés à l’hôpital de Souillac. À la tristesse des familles, subsiste une colère profonde. Si les autorités refusent de considérer ces décès comme résultant de négligence médicale, deux cas ont été référés pour enquête au Medical Negligence Standing Committee (MNSC) après les conclusions du Fact Finding Committee (FFC) que le ministère de la Santé refuse de rendre public. Or, pour les proches de ces 11 patients dialysés, toujours en quête d’explications, tous ont été victimes de négligence médicale.
Il y a eu trop de manquements, clament-ils, se sentant “trahis” par le panel du FFC et du MNSC. “Beaucoup letan noun passé pou déposer. Mais pa finn ena enn sou considération lor seki finn passé”, déplorent ces proches qui comptent avoir recours aux poursuites pour rendre justice à ces patients. Deux ans après, c’est dans la douleur qu’ils ressassent ces tristes moments de mars-avril 2021. D’où la marche qui sera organisée cette après-midi pour que ces patients ne tombent pas dans l’oubli.
Négatif au Covid, mais…
À Tyack où vit la famille Surwon, les jours passent, mais la douleur ne s’estompe pas. Suren Surwon, le père de famille, n’est plus. Il était âgé de 64 ans et avait des projets pour ses enfants. Malgré ses séances de dialyse, trois fois par semaine à l’hôpital, Suren Surwon vivait une vie presque « normale ». Pour son fils Rajiv, jusqu’aujourd’hui c’est l’incompréhension. Le décès subit de son père est difficile à accepter. “Li ti pe viv normalement. Li ti contan marser, fer so bann ti activités, okip so zardin, etc.”, dit-il. Or, c’est en se rendant pour ses soins à l’hôpital qu’il n’est finalement pas revenu. Cet habitant de Tyack, qui n’avait pourtant pas été testé positif au Covid, est décédé alors qu’il était en quarantaine à l’hôtel Tamassa où nombre de patients atteints du Covid étaient dirigés. Suren Surwon figurait lui parmi parmi les patients dialysés qui ont été pris en charge par les autorités du fait qu’ils avaient été en contact avec une équipe du personnel soignant, dont certains avaient été trouvés positifs au Covid.
“Sanitaire inn téléphoner, inn dir papa bizin ale dans quarantaine”
Le dernier jour qu’il a vu son père remonte au vendredi 26 mars. Ce jour-là, Rajiv s’affairait au jardinage dans la cour lorsqu’il a entendu les sirènes de l’ambulance. C’était vers 17h. En voyant arriver le véhicule du gouvernement dans sa rue, il dit à son ami qui jardinait avec lui : “Pa conner ki sannla pe pran dans nou semin”, se souvient-il encore. Il ne savait pas que c’était son père que l’ambulance venait chercher. Et c’est de loin qu’il a vu Suren Surwon entrer dans le véhicule. Immédiatement, il s’enquiert de la situation auprès de sa mère qui l’informe que “sanitaire inn téléphoner, inn dir papa bizin ale dans quarantaine.”
La dernière fois qu’il a vu son père était un peu plus tard dans la soirée lorsqu’il a été déposer des médicaments que Suren Surwon avait oubliés à la maison. “Monn zis kapav donne mo papa so médicaments par laporte d’entrée même”, se souvient Rajiv, du fait, explique-t-il que le contrôle à la porte d’entrée de l’hôpital Souillac était très strict. Le lendemain, lorsqu’il prend les nouvelles de son père qui avait été dirigé vers l’hôtel Tamassa, ce dernier lui confie que son test PCR est négatif. La famille est soulagée. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter, pense-t-elle, car Suren Surwon est suivi pour son traitement de dialyse et disposera de soins. Hélas!
« Zot ti cadré li dans enn boîte »
Lundi, la nouvelle fatidique tomba. Un ami appela Rajiv Surwon pour lui dire qu’il son père n’était plus. Un véritable choc pour ce jeune homme dans l’incompréhension totale. Quelques minutes plus tard, c’est finalement l’hôpital qui l’appela pour confirmer cette nouvelle douloureuse que Rajiv partage avec ses deux sœurs et sa mère. “Monn gagn enn call, enn missié dir moi kan zot inn ale guetter, mo papa ti fini décédé dans so lasam”, se souvient-il. Commence alors le calvaire de la famille. Kevin passera toute la journée de lundi devant l’hôtel Tamassa, dans l’attente d’une réponse, d’un signe, de la dépouille de son père. À 16h, on lui apprend alors qu’il faudra faire une autopsie. L’incompréhension totale pour la famille, contrainte d’accepter cette décision du fait des conditions sanitaires prévalant dans le pays. Ce n’est qu’à 21h que la famille procédera au cimetière Bigara, où sera incinéré Suren Surwon. Protocole sanitaire oblige, les funérailles se sont déroulées à huis clos avec dix personnes. “Nou pann reci trouv figir mo papa. Pann reci donne li enn l’enterrement digne de so nom”, pleure Rajiv, soulignant que “zot ti fini cadré li dans enn boîte.”
Que s’était-il passé ? Comment son père a-t-il trouvé la mort, alors qu’il était en “bonne santé” ? Une question qui taraude la famille qui attend toujours des éclaircissements. “Pour quelles raisons mon père n’a-t-il pas effectué sa session de dialyse comme prévue le samedi ? La session de dimanche a-t-elle duré aussi longtemps que prévu ? Mon père a-t-il reçu les traitements nécessaires quant à sa condition de dialysé ?”, demande Rajiv Surwon qui, comme les proches des autres patients dialysés, couve une sourde colère, les autorités ne considérant pas ces cas, qui ont conduit au décès de 11 patients, comme relevant de la
négligence médicale.
Un sentiment partagé par la famille Jeebun qui a perdu, le 11 avril 2021, Neman Jeebun, alors âgé de 57 ans. Cet habitant de Surinam avait été, lui aussi, placé en quarantaine à l’hôtel. Après deux semaines, il fut transféré à l’hôpital de Souillac car testé positif au Covid, mais son état de santé se détériora. Et il n’a pas survécu, laissant ses proches dans l’incompréhension totale, dans la mesure où, selon les autorités, il aurait eu des problèmes respiratoires conduisant à son décès. Or, pour sa famille, Neman n’avait aucun problème respiratoire. Au contraire, bien que dialysé, il respirait la joie de vivre. Il faisait même ses exercices de plongée sans aucune difficulté. Que s’est-il passé pour qu’il succombe ? Comment a-t-il pu contracté le Covid, alors que personne dans sa famille n’était positif, se demandent ses proches qui se remémorent douloureusement de cet épisode traumatisant pour la famille. À leur tristesse se mêle la révolte, car Neman est parti de chez lui en bonne santé. Ils déplorent qu’il ait été conduit à l’hôtel pour la quarantaine, placé dans un véhicule avec d’autres personnes ayant le Covid.
Un plongeur en bonne santé
Ce jour-là, les autorités ont récupéré Neman Jeebun chez lui aux alentours de 18h. Cependant, le véhicule n’est arrivé à l’hôtel qu’à 23h. S’il a pu effectuer ses sessions de dialyse, lors d’un contrôle, il devait être trouvé positif au Covid. “Kot li finn trap le virus ? Est-ce en allant faire sa dialyse, est-ce à l’hôtel, est-ce dans l’autobus qui l’a emmené à l’hôtel?”, se demandent encore ses proches. Ce qui est certains, disent-ils, c’est qu’il y a de nombreuses zones d’ombre et plusieurs manquements à la prise en charge des patients dialysés. D’autant que lors de sa visite matinale le 7 avril, le médecin en charge avait recommandé d’administrer de l’oxygène à Neman, et que cela aurait dû se faire dans la soirée pendant sa session de dialyse, mais tel ne fut pas le cas pour l’habitant de Surinam. Ses proches racontent que ce soir-là, à 23h, lorsque Neman s’est rendu à sa session de dialyse et qu’il a demandé qu’on lui donne de l’oxygène, comme recommandé par le médecin, on lui aurait dit que c’était trop tard et que cela se ferait le lendemain. Et le lendemain, c’était déjà trop tard. Neman Jeebun a dû être placé sous respirateur à l’hôpital ENT et il n’a pas survécu.
Refus d’oxygène
Sa famille, comme celle des autres patients dialysés décédés à l’hôpital à cause du Covid, crie à la négligence médicale et réclame justice. Le but n’est pas d’obtenir une compensation financière, car l’argent ne rendra pas la vie du disparu, dit-elle. Ce que souhaitent les proches, ce sont des réponses. Des réponses que les autorités s’obstinent à ne pas leur fournir, en refusant de publier le rapport du Fact Finding Committee. Mais ces familles affligées ne comptent pas rester les bras croisés, souhaitant se tourner vers différentes instances pour que justice soit rendue à leurs proches décédés.