Christiane Pasnin, coordinatrice de Caritas :“La priorité des familles vulnérables n’est pas la santé économique du pays, mais de payer leur loyer et de nourrir leurs enfants”

Deux semaines après l’annonce de la baisse, voire de la suppression des allocations sociales financées par la CSG, l’onde de choc continue de se faire sentir, en silence, dans les foyers en situation de vulnérabilité économique. “Ces allocations sont bien plus qu’un simple complément de revenu ; elles représentent une aide vitale”, alerte Christiane Pasnin, intervenante de terrain et coordinatrice à Caritas. Les femmes, premières touchées, auront du mal à acheter du lait ou des couches pour leurs enfants. Certaines, qui cumulent déjà deux emplois, devront en trouver un troisième pour joindre les deux bouts. “Sa bann fami-la pou bizin trase”, dit-elle avec gravité. Quant à la décision de repousser l’âge de la retraite à 65 ans, elle est perçue comme un véritable choc psychologique dans les familles qu’elle accompagne. Avant de venir avec une telle mesure, le gouvernement aurait dû écouter la population. Cette écoute, il l’a totalement “négligée”, déplore Christiane Pasnin.

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Deux semaines après l’annonce de la révision à la baisse et à l’arrêt des allocations sociales de la CSG, quel est l’état d’esprit des familles bénéficiaires que vous accompagnez ? Ont-elles déjà encaissé le coup ?

Le sentiment d’inquiétude est toujours là. Ces allocations sont bien plus qu’un simple complément de revenu ; elles représentent une aide vitale. De plus, leur versement a habituellement lieu à la mi-mois, ce qui constitue un véritable soulagement pour ces familles. À partir de l’année prochaine, elles n’auront plus rien. Dans un contexte où la drogue continue de faire des ravages et de piéger ceux qui cherchent de l’argent facile et rapide, cette amputation financière est plus qu’alarmante. Sa bann fami-la pou bizin trase. Les premières à ressentir les conséquences de cette coupure sont les femmes, les mamans, qui ont besoin de cet argent pour acheter des couches et nourrir leur bébé. Quand les familles concernées écoutent la radio et entendent que le pays est endetté à hauteur de plus de 600 milliards de roupies, et que la situation économique est présentée comme une priorité pour le gouvernement, elles ne voient pas les choses du même œil. Leur priorité à elles, ce n’est pas la santé économique du pays, mais la possibilité de payer leur loyer, d’envoyer leurs enfants à l’école et de les nourrir. Elles font face à d’autres contraintes, et leur retirer cette allocation c’est compliquer davantage leur vie déjà difficile.

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Comment comptez-vous adapter votre intervention à cette nouvelle configuration ?

Nous avons une formation prévue le mois prochain sur la gestion du budget et l’alimentation. Nous devrons accompagner les bénéficiaires concernés, afin qu’ils puissent ajuster leurs dépenses en fonction de cette nouvelle mesure. Toutefois, nous sommes déjà préoccupés par la recherche de dons pour alimenter nos projets Panier solidaire et boutique solidaire, car il est presque certain que nous allons faire face à une augmentation des demandes de soutien. Même si le CSR augmentera. En 2023, lorsque les allocations de la CSG ont été introduites, nous avions constaté une diminution du nombre de bénéficiaires. Il nous faudra repenser la question de l’autonomie alimentaire. Entre temps, il y a des femmes qui sont à la recherche non d’un deuxième emploi à temps partiel, mais d’un troisième travail ! Certaines ont la responsabilité de garder leurs petits enfants et ne pourront plus le faire. Ki kote pou kit zanfan lerla ? Si lanvironman deza pa bon, li pou enn boulversman dan bann fami !

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La suppression de ces allocations pourrait-elle être l’occasion de repenser la notion d’assistanat : qu’en pensez-vous ?

J’ai personnellement réfléchi à cette question. Le précédent gouvernement avait laissé entendre que ces allocations n’étaient pas destinées à durer. Soit ! On souhaite que ces quelque 5,000 familles mauriciennes deviennent autonomes, mais aucune alternative concrète ne leur est proposée. Pour sortir de l’assistanat financier et échapper à la précarité, il faut mettre en place un véritable système de soutien et d’accompagnement. Quant à l’Independence Scheme, je trouvais qu’il était bien adapté aux jeunes porteurs de projets économiques. Lorsqu’il a été mis en place, nous redoutions qu’il soit détourné de son objectif initial ; par exemple, au lieu d’être investi dans une formation ou dans un projet d’études, comme cela aurait été utile et rationnel. Malheureusement, cela s’est effectivement produit dans certains cas.

À quelles alternatives pensez-vous ?

À Solitude où j’interviens, nous avons aidé dix femmes à se lancer dans deux projets : d’aquaponie bio et d’élevage de poisson. Ce sont deux projets qui marchent bien. Elles arrivent à vendre leurs produits dans la communauté. Mais tout le monde n’a pas la capacité de se tourner vers l’agroalimentaire ou l’agriculture, même à petite échelle. Et on ne peut tout miser sur l’agriculture. Il faut diversifier les activités en fonction des compétences et de la demande dans la communauté. Il faut aussi former pour professionnaliser les personnes en demande d’accompagnement.

Les allocations destinées aux enfants sont parfois détournées par certaines familles. Quel est votre avis à ce sujet ?

C’est une réalité et nous en avons été témoins. Certains maris accompagnent leurs épouses à la banque dès le versement de l’allocation, pour en prélever une partie à leur propre bénéfice. J’ai même dû rappeler une mère à l’ordre, car elle négligeait son enfant et le privait de ce qui lui était dû, alors que l’enfant était bénéficiaire d’allocations sociales. Nous veillons à ce que tous les parents inscrits sur notre registre utilisent ces allocations pour acheter du lait, de la nourriture, des couches… bref, pour répondre aux besoins fondamentaux de leurs enfants. Au final, nous assurons un suivi de terrain, un monitoring que le gouvernement devrait normalement faire. J’en profite pour lancer un appel : que le gouvernement investisse dans le recrutement de travailleurs sociaux et nous donne les moyens nécessaires pour assurer le suivi et l’évaluation des bénéficiaires d’allocations pour enfants. Nous sommes ceux qui, sur le terrain, travaillons chaque jour avec les foyers en situation de précarité économique.

Et qu’en est-il de la pension de la retraite à 65 ans, comment cette décision est-elle perçue par les bénéficiaires que vous accompagnez ?

Nous avons des bénéficiaires qui ont commencé à travailler dès l’âge de 15 ans. C’est d’ailleurs mon cas. Pour ces personnes qui ont dédié pratiquement toute leur vie au travail, cette mesure représente un véritable choc psychologique. Elles pensaient pouvoir enfin souffler un peu. Sincèrement, nous ne nous sommes pas encore penchés en profondeur sur cette question. Mais nous sommes actuellement dans une phase d’écoute. Jeudi dernier, nous avons eu l’occasion de nous réunir autour d’une table pour entendre les témoignages de certaines des personnes que nous accompagnons. Nous les écoutons, afin de répondre au mieux à leurs besoins. L’écoute est justement ce que le gouvernement a complètement négligé, avant de proposer une telle mesure.

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