Classé 15e en Arts Side au HSC : Afraz Nandoo, malvoyant, une leçon de vie

Le 28 décembre 2015, Le Mauricien titrait : « Success story-malvoyant : Afraz Nandoo rêve d’intégrer le RCC après de bons résultats au CPE. » Neuf ans après, il est fidèle au rendez-vous des examens de fin de cycle secondaire. Si Afraz Nandoo, âgé de 20 ans aujourd’hui, n’a pas intégré le RCC mais a poursuivi sa scolarité au Sir Abdool Raman Osman State College à Phoenix, ce jeune homme a non seulement relevé le défi de réussir ses examens de Higher School Certificate, mais il a également brillamment décroché la 15e place dans la filière Arts Side. Cela, malgré sa cécité survenue alors qu’il était en Lower VI. Ou encore, les vicissitudes de la vie, comme le décès de son père, Twaher, il y a trois ans. Une véritable leçon de vie de ce jeune homme qui aujourd’hui est aveugle.

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C’est d’une voix très posée qu’Afraz, que Le Mauricien rencontré à son domicile vendredi dernier à Eau-Coulée, raconte comment il a vécu le jour de l’annonce des résultats. Il a suivi attentivement, dit-il, l’annonce à la radio, nourrissant l’espoir de voir son nom figurer parmi les lauréats.

Si ses attentes n’ont pas été comblées, il ne s’est pas pour autant laissé découragé, car il savait qu’il avait travaillé dur tout au long de l’année. C’est ainsi que, accompagné de sa mère Salimah et de sa soeur Shabneez, il se rend au collège. En chemin, il reçoit l’appel de l’un de ses camarades, très enthousiaste, qui le félicite.

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Surpris, Afraz se préparait à annoncer à son ami qu’il ne faisait pas partie des lauréats, mais ce dernier l’a interrompu avec une nouvelle inattendue lui annonçant qu’il figurait parmi les classés. “J’étais très content et très fier. Je n’y avais pas pensé”, confie Afraz Nandoo, qui espère pouvoir obtenir une bourse d’études, voire un éventuel Sponsorship d’une entreprise ou d’une ONG, pour poursuivre ses études.

Son rêve, dit ce fan de foot affectionnant particulièrement le Chelsea FC, est de se rendre en Angleterre pour étudier la filière Business, car il souhaite devenir un homme d’affaires accompli.

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Camarades bienveillants
Du haut de ses 20 ans, Afraz Nandoo croit en son potentiel et en sa capacité à réussir, et ses résultats encourageants alimentent sa volonté et sa détermination à aller plus loin dans son parcours éducatif. Et il n’est pas le seul, dit-il. Outre son défunt père Twaher, sa mère, ses proches, ses enseignants et ses amis aussi ont toujours cru en lui.

 

Or, la vie n’a pas toujours été facile pour le jeune homme. Au contraire. Né avec une déficience visuelle, Afraz Nandoo — dont le défunt père Twaher, également malvoyant depuis sa naissance, puis devenu aveugle à 13 ans, et avec sa soeur Shabneez, 26 ans, également porteuse d’une déficience visuelle à la naissance et qui a perdu la vue durant son enfance — a effectué son parcours scolaire primaire dans une école spécialisée, Lizié dan Lamain.

À l’époque, dit-il, “on utilisait de larges feuilles et des gros caractères.” Avec acharnement, il a ainsi eu de brillants résultats, décrochant un Aggregate de 23 unités aux examens du Certificate of Primary Education (CPE). Il nourrissait alors le rêve d’intégrer le collège Royal. Mais c’est sans regret qu’il a effectué son parcours du secondaire au Sir Abdool Raman Osman State College.

La transition de l’école spécialisée Lizie dan Lamain, où il a fait sa scolarité primaire, vers le collège a été difficile. Non pas qu’il ait été victime de harcèlement, bien au contraire. Ses camarades de classe ont toujours été bienveillants. Ils l’aidaient à copier les notes et à se déplacer dans l’enceinte de l’école.

Bien qu’il ait parfois été frustré de ne pas être comme les autres élèves et de ne pas pouvoir faire certaines activités, comme jouer au football, il est reconnaissant envers ses amis et le personnel de l’école qui l’ont soutenu. “Durant les récréations, au départ, cela m’arrivait de me sentir frustré, mais j’ai eu des amis qui sont restés avec moi. J’avais un ami qui venait me voir à chaque récréation pour discuter. Nous rigolions, nous écoutions de la musique, nous avions passé de très bons moments ensemble. Cela m’a fait du bien d’être entouré”, reconnaît le jeune homme. Ainsi, à ses débuts au collège, il avait recours à une loupe pour pouvoir lire les caractères.

Mme Corinne, sa 2e maman

suivre les cours, c’était une autre histoire, surtout qu’au début, dit-il, les enseignants qui ont rencontré des difficultés à s’adapter à ses besoins spéciaux. “Ils faisaient de leur mieux, mais c’était dur car nos enseignants ne sont pas formés pour travailler avec des élèves ayant des besoins spéciaux. J’ai dû m’adapter », ajoute-t-il, reconnaissant envers le personnel du collège qui a été « très helpful » tout au long.

Jusqu’à sa Form 3 notamment, Afraz a eu à compter sur les autres spécifiquement pour pouvoir suivre les cours. Et finalement, les autorités ont pu dépêcher quelqu’un pour aider cet étudiant pour sa scolarité et Corinne Viadé s’est présentée à lui.
Lorsqu’il évoque sa bienfaitrice, Afraz Nandoo est plein de reconnaissance et de gratitude. “Je lui dois énormément”, lâche-t-il dans un murmure. Visiblement très ému, il continue. “C’est grâce à elle que je suis là où je suis aujourd’hui. Elle m’a été d’un grand soutien, d’une grande aide, et surtout c’était comme une deuxième maman”, dit Afraz.

Avec l’aide de Mme Corinne, l’habitant d’Eau-Coulée est parvenu à décrocher 14 unités aux examens de School Certificate. Cela, alors qu’il venait de perdre son père quelques mois auparavant. Une dure épreuve qui l’a beaucoup marqué, surtout qu’il était très proche de celui-ci. “Je me confiais beaucoup à mon père et il m’encourageait toujours. Il m’a montré à ne jamais baisser les bras. Lui-même a toujours persévéré. Et c’était mon exemple, car malgré son handicap, mon père travaillait dans une banque. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. Il m’a montré que nous avons tous un potentiel et qu’il faut avoir la volonté de se surpasser”, affirme Afraz.

Il perd la vue en Lower VI
Ainsi, d’un naturel optimiste, Afraz, qui est un as d’Internet, a fourni les efforts pour réussir ses examens de SC. Avec de brillants résultats dont son père n’a malheureusement pas pu témoigner. “Mais je sais qu’il est fier de moi”, dit-il, encore plus déterminé à faire de son mieux pour réussir dans la vie.

Ce dont il est plus fier, c’est qu’il ait réussi à l’époque à décrocher un A+ en mathématiques, une matière qu’il aime beaucoup et qu’il avait voulu pouvoir continuer à étudier pour les examens de Higher School Certificate. Malheureusement, il a dû changer de filière d’études, du fait de certaines difficultés techniques qui l’auraient sans doute freiné dans son apprentissage des mathématiques. C’est ainsi que le jeune homme a opté finalement pour la sociologie, la littérature est les Islamic Studies comme matières principales pour ses examens de Higher School Certificate.

Si son parcours académique est tracé, Afraz se retrouve avec d’autres obstacles à surmonter alors qu’il venait de faire son entrée en Lower V. S’il pouvait voir, grâce à sa loupe, les caractères en gros, et ainsi poursuivre ses études, vers la mi-2021, subitement, le jeune homme comprend qu’il ne voit plus.
“Je ne voyais que des traits de lumière”, explique-t-il. Une situation qui a été un stress additionnel pour lui. “J’étais un peu frustré et déprimé, même si quelque part j’étais un peu préparé à cela, car mon père, également malvoyant, a perdu la vue alors qu’il avait 13 ans. Ma soeur également a perdu la vue durant son enfance. Même si je savais que cela pouvait m’arriver à moi aussi, je ne voulais pas y croire. Au bout de quelque temps toutefois, je me suis fait à l’idée”, concède le jeune homme.

« Ne pas baisser les bras »
Face à cet obstacle qui le handicape davantage, Afraz Nandoo s’est efforcé de trouver rapidement des moyens pour surmonter et continuer sa scolarité. “Depuis que je suis enfant, j’ai réussi tout au long de mon parcours académique. Je ne pouvais pas me permettre de baisser les bras”, dit-il. Avec son initiation au braille alors qu’il était petit, il ne l’avait jamais mis en pratique.

Du coup, il fallait trouver une autre solution. “Jusqu’à la Form V, je parvenais à lire grâce à une loupe, alors, pour m’adapter lorsque j’ai perdu la vue, j’ai dû me fier davantage à mon sens de l’écoute et avoir recours à Internet pour les versions sonores de certains bouquins”, explique-t-il.

Les examens de Higher School Certificate n’ont pas étaient simples cependant pour le jeune homme. S’il n’a jamais pris de leçons particulières, et qu’il avait sa Support Teacher, Corinne Viadé, pour le soutenir, Afraz avait dû affronter d’autres épreuves.
Heureusement, grâce aux démarches effectuées par la rectrice de son collège auprès des autorités, il a pu obtenir le soutien des officiers du ministère de l’Éducation qui l’ont assisté pendant les épreuves pour la lecture des textes. Et il a également bénéficié d’un temps additionnel pour pouvoir passer les épreuves.

Davantage de Support Teachers
Des épreuves qu’il a réussies haut la main, se classant ainsi 15e. Et pour ce parcours, le jeune homme ne cesse de remercier sa bienfaitrice, Mme Viadé. « Mme Corinne a été très amicale et a surtout toujours cru en mon potentiel. Elle est restée tout le temps à mes côtés et m’a beaucoup appris académiquement, mais aussi sur le plan humain”, reconnaît Afraz.

Son souhait aujourd’hui, après sa brillante réussite, est que les autorités puissent mettre en place des programmes pour former plus de Support Teachers afin que d’autres enfants puissent bénéficier de soutien aussi encadré que ceux dont lui il a bénéficié grâce à Mme Corinne.

Et son message pour les jeunes, c’est de ne pas se décourager. “Peu importent les difficultés, il faut persévérer. Ce n’est pas parce que nous avons un handicap que nous avons moins de potentiel. Il faut se donner les moyens pour réussir, et la réussite passe par l’éducation”, recommande-t-il.

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