C’est une nouvelle qui avait fait le buzz à la fois ici à Maurice que dans le monde entier. Un groupe d’entrepreneurs et de scientifiques américains, soit Colossal Biosciences, ont pris le pari fou de faire revivre le dodo, une grande première dans le monde de la conservation. Un pari fou en passe de devenir réalité. Durant la semaine, la Mauritius Wildlife Foundation et Colossal Biosciences ont fait d’une pierre deux coups en signant un accord pour démarrer concrètement le projet, mais aussi pour aider à la protection du Pink Pigeon mauricien, oiseau endémique en danger de disparition.
Il y a moins d’un an, Colossal Biosciences, spécialisée dans le génie génétique, annonçait une nouvelle qui a fait trembler le monde de la science : faire revivre le dodo. Si d’aucuns trouvaient en cette folle entreprise un gag, beaucoup y ont cru. La Mauritian Wildlife Foundation sera ainsi le principal partenaire de Colossal, et ils collaboreront à la restauration d’écosystèmes critiques par l’élimination d’espèces envahissantes, la revégétalisation et des efforts de sensibilisation de la communauté. Ces habitats soutiendront les populations de dodos ainsi que d’autres espèces mauriciennes indigènes.
« Le dodo, un oiseau intimement lié à l’ADN de l’île Maurice, est aussi tristement emblématique du rôle joué par l’homme dans son extinction. Il symbolise également les efforts déployés pour prévenir l’extinction des espèces », soutient Vikash Tatayah, directeur de la conservation à la Mauritian Wildlife Foundation. « Nous sommes très reconnaissants à Colossal pour ses technologies et sa promesse de ramener cette espèce emblématique, éteinte depuis les années 1680, dans son environnement d’origine. »
La première étape, donc, est de créer un environnement propice à la survie du Dodo. L’Avian Genomics Group de Colossal utilisera son expertise de pointe en génomique et d’autres technologies avancées pour tenter de ranimer le Dodo, tandis que, parallèlement, la Mauritian Wildlife Foundation, grâce à son expertise en matière de sauvetage aviaire et de suivi sur le terrain, servira de partenaire pour le réensauvagement en promouvant la restauration des habitats d’origine du dodo et en élaborant des modèles de gestion à long terme afin de garantir que l’espèce prospère après sa réintroduction et qu’elle puisse se développer jusqu’à atteindre des populations autonomes une fois qu’elle sera dans la nature.
L’analyse du génome du dodo
En effet, la Dre Beth Shapiro, membre du Scientific Advisory Board de Colossal et paléogénéticienne en chef, est la première scientifique à avoir entièrement séquencé le génome du dodo, et elle supervisera le projet d’extinction du dodo. L’équipe a depuis créé des génomes de référence du Solitaire, un oiseau volant éteint qui vivait sur l’île Rodrigues, proche du dodo, et du pigeon de Nicobar, qui est le plus proche parent vivant du dodo. La cartographie des génomes de ces deux espèces a fait progresser l’analyse du génome du dodo.
De plus, les recherches de l’équipe sur le Nicobar Pigeon’s Primordial Germ Cells (PGC) et les conditions de croissance optimisées ont permis aux chercheurs de déterminer la meilleure voie à suivre pour les modifications génétiques chez le dodo. À ce stade, les scientifiques de Colossal auraient déjà amélioré les conditions de culture nécessaires pour la prolifération des PGC et ont démontré que les cellules sont capables de coloniser la gonade (ndlr : organe reproducteur) du poulet. Une découverte de taille ! Ces travaux ont atteint leur apogée au cours des six derniers mois et l’Avian Genomics Group teste actuellement si les PGC colonisées sont capables de se différencier en spermatozoïdes et en ovules viables, qui produiront à leur tour une progéniture de pigeons. Parallèlement, il travaille à la mise au point de poulets génétiquement modifiés qui serviront de substituts aux dodos nouvellement créés.
Une fois cette étape franchie, Colossal compte utiliser ces recherches et résultats pour constituer sa De-extinction toolkit, qui est le seul programme privé de génomique à aider les gouvernements et les organisations à but non lucratif à atteindre leurs objectifs en matière de protection et de conservation des espèces. « Colossal est ravi de collaborer avec les habitants de l’île Maurice à l’extinction et au réensauvagement du dodo », a déclaré Ben Lamm, CEO et cofondateur de Colossal (voir encadré). « Les découvertes scientifiques que nous apportons à l’île Maurice auront un impact sur le dodo et seront applicables à plusieurs espèces menacées. »
Matt James, le Chief Animal Officer chez Colossal, a lui ajouté que « les projets d’extinction de Colossal ne sont couronnés de succès que si les animaux sont ramenés dans leur habitat naturel. Nous sommes impatients de travailler avec l’île Maurice pour faire en sorte que cela se produise avec le dodo. » Par ailleurs, les deux équipes expertes travailleront au sauvetage génétique du Pink Pigeon, une espèce emblématique de l’île Maurice. Il reste environ 500 pigeons roses à l’île Maurice et ces oiseaux sont menacés par un manque de diversité génétique.
QUESTIONS À Ben Lamm (CEO de Colossal) : « Nous apprenons davantage des personnes qui nous remettent en question »
Ben Lamm est le cofondateur et CEO de Colossal Biosciences, première compagnie au monde spécialisée dans la… déextinction. Décrit comme un Serial Technology Entrepeneur, Ben Lamm est un passionné d’exploration, de la recherche et des nouvelles technologies. D’où ses nombreux paris de faire revivre le Woolly Mammoth sibérien… et très récemment notre Dodo national. Il répond à nos questions.
l Colossal Biosciences vient de signer un accord avec la Mauritius Wildlife Foundation. Le projet Reviving The Dodo commence à prendre forme…
– Oui. Nous avançons à grands pas.
Au départ, le projet suscitait des appréhensions quant à l’utilisation de l’intelligence artificielle/des nouvelles technologies. Maintenant que la première étape est franchie, que diriez-vous à ceux qui doutent encore du projet ?
– Je suis fier de notre équipe et des progrès que nous avons réalisés. Nous apprécions vraiment nos critiques. Nous apprenons davantage des personnes qui nous remettent en question — cela nous aide à trouver de meilleures façons de faire les choses. Je dirais donc « merci ». Par ailleurs, ces projets sont vastes, difficiles et complexes. Il est de notre responsabilité d’informer le public sur les technologies les plus récentes et de lui montrer les preuves scientifiques au fil du temps.
Avez-vous effectué des visites sur le terrain à l’île Maurice ? Quelles ont été vos premières observations ?
– Quelques membres de l’équipe, dont Beth Shapiro, ont déjà visité l’île Maurice, notamment pour effectuer des travaux de terrain sur le dodo, mais nous n’avons pas fait le voyage depuis le lancement de notre projet sur les dodos. Nous prévoyons de nous y rendre en 2024.
Un site sur l’île a-t-il déjà été identifié pour commencer la restauration des habitats d’origine du dodo ?
– Il s’agira d’un processus très réfléchi et mesuré. Nous avons l’intention de nous associer au gouvernement mauricien et à la Mauritius Wildlife Foundation afin d’établir un site pour la disparition du dodo et sa réintroduction dans la nature. Nous devrons recréer un habitat durable où il sera protégé des espèces non indigènes qui ont déjà causé sa disparition.
Y a-t-il eu des obstacles rencontrés, que ce soit en laboratoire ou sur le terrain au cours des derniers mois ?
– Pas pour l’instant, mais nous sommes dans le domaine de la découverte scientifique et nous nous attendons donc à des difficultés en cours de route, mais nous avons l’équipe et les technologies pour les surmonter.
Vous avez également décidé de soutenir l’île Maurice dans la conservation et la protection du Pink Pigeon. Comment allez-vous procéder ?
– L’extinction du dodo fournira une plate-forme où le développement des technologies nécessaires permettra de renforcer la conservation pour les espèces aviaires existantes. Nous commencerons par apprendre à cultiver les cellules des pigeons et d’autres espèces aviaires existantes. Ces cellules se prêteront ensuite à l’expérimentation de technologies de reproduction qui permettront de soutenir les populations d’espèces d’oiseaux menacées. Le cas échéant, nos outils d’ingénierie génomique peuvent être utilisés pour sauver des écosystèmes fragiles, vulnérables à la cascade trophique, de la disparition d’une espèce.
Enfin, y a-t-il des Mauriciens impliqués dans le projet ?
– Nous travaillons en étroite collaboration avec le Dr Vikash Tatayah, de la Mauritius Wildlife Foundation, qui visitera notre laboratoire à Dallas au début du mois prochain. Nous sommes également en pourparlers avec le gouvernement mauricien et la Mauritius Investment Corporation. Nous sommes impatients de poursuivre ces conversations avec les Mauriciens locaux, car cette collaboration est essentielle sur la voie du succès.