Commémoration de la déportation de juifs à Maurice : 83 ans d’histoire ensevelis au cimetière St Martin

Nous sommes encore très peu, voire trop peu, à connaître l’histoire de notre île et de son rôle dans l’histoire du monde. Il y a 83 ans, pendant la Seconde Guerre mondiale, 1 580 réfugiés juifs sont déportés à Maurice par les autorités britanniques. À leur arrivée, ils sont transférés à la prison centrale de Beau-Bassin. De ces réfugiés, quatre enfants sont nés sur le sol mauricien entre les quatre murs de la prison. Mercredi, ils étaient de retour sur l’île pour la cérémonie commémorative de la déportation juive au Beau Bassin Jewish Detainees Mémorial and Information Centre, sis au cimetière de St Martin. Reportage.

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« Closure. » Ce mot est revenu plusieurs fois lors des nombreux témoignages des enfants des ex-détenus de la prison de Beau-Bassin, mercredi. Face à cette partie sombre de l’histoire, c’est dans un soleil d’après-midi que les ex-détenus se sont rassemblés. Une cérémonie emplie d’émotions, de témoignages poignants et de messages de pardon, surtout. Owen Griffiths, président de Beau-Bassin Jewish Detainees Mémorial & Information Centre, nous explique que même si le terme « closure » n’a pas une signification particulière dans le judaïsme, il revêt tout un symbolisme. « Ce n’est pas un terme spécifique au judaïsme, mais a plutôt été utilisé comme un moyen plus universel de décrire le sentiment immense et le besoin de nombreuses familles d’avoir visité le lieu où elles ont souffert et vécu de grandes pertes. Pour certaines, c’était la première fois, tandis que pour d’autres, ce sera peut-être la dernière. Cela signifie que le cercle de la vie se referme », nous dit-il.

« 1940 Blessed Be The True Judge 1945 » se lit à l’entrée du cimetière juif de St Martin. Le petit portail en fer forgé porte l’étoile de David peinte en bleu. C’est dans ce genre de moment que l’on se rend bien compte de la beauté plurielle de notre île, où chaque communauté peut se recueillir à l’ombre de grands arbres centenaires. Sur un petit lopin de terre, une centaine de pierres tombales identiques alignées. À l’entrée, un « balti » de galets blancs. Si l’on n’y porte pas attention, a priori. A fortiori, en nous baladant dans le cimetière, l’on se rend vite compte que des galets, des pierres, parfois décorées, ont été déposés sur les tombes.

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Importante délégation de familles d’anciens détenus

« Dans la religion juive, il est de coutume de laisser des pierres sur les tombes. Le visiteur place la pierre sur la tombe en utilisant sa main gauche. Le fait de placer une pierre sur la tombe est un signe pour les autres que quelqu’un s’est rendu sur la tombe. Il permet également aux visiteurs de participer à la tradition de la mitzvah, qui consiste à commémorer l’enterrement et le défunt. Les raisons de laisser des pierres sur les tombes comprennent la protection des âmes des morts, l’éloignement des mauvais esprits, l’hommage aux membres de la famille et la finition de la tombe. Certains pensent également que les pierres servent à alourdir l’âme du défunt jusqu’à la venue du messie. Dans la religion juive, on ne dépose pas de fleurs sur les tombes », explique Owen Griffiths.

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Ainsi, parmi les invités, les familles qui ont fait le déplacement des quatre coins de l’Europe, les quatre enfants nés à la prison de Beau-Bassin, Naftali Regev, consul honoraire de Maurice en Israël, Bina Guerrieri, Gideon Ickowitz et Maayan Rosen, ont tenu à être présents pour marquer les 83 ans qui ont passé entre l’arrivée de leurs parents en tant détenus à Maurice et aujourd’hui en tant qu’hommes libres. « Il était prévu d’organiser une cérémonie spéciale pour le 80e anniversaire de l’arrivée des détenus juifs à l’île Maurice : 1940-2020. Mais le Covid s’en est mêlé. L’événement a donc eu lieu cette année, avec une importante délégation de familles d’anciens détenus. Quatre des enfants nés dans la prison étaient également présents, ainsi que l’ambassadeur d’Israël, l’ambassadeur adjoint d’Allemagne, l’ambassadeur adjoint d’Autriche, le haut-commissaire du Royaume-Uni et le vice-président de l’île Maurice. Des représentants des sponsors étaient également présents, notamment la fondation Rosa Luxembourg (Allemagne) et le groupe chrétien britannique Love never fails », soutient Owen Griffiths.

Sensibilisation

Aussi invraisemblable que cela puisse sembler, surtout pour les plus jeunes générations, il existe un cimetière juif à St Martin, où sont enterrées 126 personnes. « Pendant la Seconde Guerre mondiale, les autorités britanniques de la British Mandate Palestine ont restreint l’immigration juive en Palestine. Le British White Paper de mai 1939, une déclaration de politique générale approuvée par le Parlement britannique, contenait des mesures qui limitaient considérablement l’entrée des juifs dans la British Mandate Palestine. Leur arrivée (même en tant que réfugiés) était strictement interdite », raconte Owen Griffiths. « Lorsqu’à la fin de l’année 1940 ce groupe de réfugiés de l’Europe occupée par les nazis est arrivé en Palestine, ils ont étés emprisonnés en tant qu’immigrants illégaux. Afin de donner une leçon aux autres, il a été décidé que 1 581 d’entre eux seraient déportés et emprisonnés à l’île Maurice », poursuit-il.

L’on apprend ainsi qu’à l’arrivée des réfugiés juifs, il y avait 849 hommes, 635 femmes et 96 enfants. Parmi eux, 600 Autrichiens, 300 Tchécoslovaques, 300 Polonais, 100 Allemands, 140 de la ville libre de Danzig et 141 autres nationalités. Sur le site jewishdetaineesmauritius.com, il est aussi indiqué que « malgré les conditions strictes, les détenus ont développé une vie sociale, culturelle et politique dynamique au cours des quatre années et sept mois de leur emprisonnement et ont eu des rencontres différentes avec la population locale. Beaucoup de détenus ont tenu des journaux intimes et certains ont documenté leurs expériences à travers l’art. Il y avait deux communautés religieuses et deux synagogues dans le camp orthodoxe et libérale. » C’est en février 1945 que le gouverneur britannique de Maurice informe les détenus qu’ils seront autorisés à quitter l’île et à entrer en Palestine mandataire. Cependant, ce n’est que le 11 août 1945 qu’ils ont finalement été autorisés à quitter l’île. Un pan fascinant de notre histoire que seule une poignée connaît. « Il s’agit en effet d’une histoire peu connue qui trouve, toutefois, un écho aujourd’hui dans la manière dont le monde traite les réfugiés et les personnes fuyant la pauvreté et l’oppression. Oui, je pense qu’elle devrait être plus largement enseignée. L’une des raisons de la création du Detainee Information Center était précisément d’accroître la sensibilisation à cette partie tragique de l’histoire mauricienne et juive », conclut Owen Griffiths.

Au terme de notre reportage au cimetière St Martin, nous nous arrêtons sur une tombe en particulier. « George Schlinter, 6 April 1941, 9 Nissan 5701, aged 66 days… » lit-on. Une pierre décorée du dessin d’un nourrisson endormi, le sourire aux lèvres, sur une pelouse verte trône à côté de ses lettres engravées dans la pierre…

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