L’année 2022 a été marquée par une flambée de prix, allant du carburant aux denrées alimentaires. Un assaut sur le pouvoir d’achat des ménages, qui ont été littéralement asphyxiés, d’autant qu’il faudra aussi payer plus cher pour les emprunts contractés à la banque et la facture d’électricité bientôt. Dans des familles, on ne mange plus qu’un repas par jour, quand il ne faut pas choisir entre manger et payer les factures. Jayen Chellum de l’ACIM, Jane Ragoo de la CTSP, Christiane Pasnin et Sabrina Utile, de Caritas reviennent sur ces difficultés qui ont ébranlé le budget des familles mauriciennes en 2022.
La cherté de la vie est un facteur ayant touché toutes les couches sociales en 2022, fait ressortir d’emblée, Jayen Chellum, secrétaire de l’Association des consommateurs de l’île Maurice (ACIM). « Évidemment, ce sont ceux au bas de l’échelle qui en souffrent le plus. La classe moyenne est fortement touchée également. À mon avis, 2022 a été l’une des pires années de ces derniers 10-20 ans, à part 2008 peut-être, où il y avait une crise économique», fait-il comprendre.
L’inflation à plus de 12% a bouleversé le quotidien des consommateurs. « La perte du pouvoir d’achat est de Rs 3 000, selon Statistics Mauritius. La compensation de Rs 1 000 sera donc largement insuffisante. De plus, c’est vraiment regrettable qu’en toute situation, c’est le consommateur qui porte le fardeau », renchérit-il.
Il fait ainsi référence à l’arrêt de la subvention sur une série de denrées alimentaires, par le gouvernement et l’introduction d’un système de Maximum Mark Up. « Quelle transparence il y a-t-il dans ce système? Est-ce que le ministère du Commerce a la possibilité de contre-vérifier le prix d’achat fourni par les importateurs ou est-ce qu’il accepte ce qu’on lui donne? Comme je l’ai dit, il semble que c’est le consommateur qui porte le fardeau car il y a eu des augmentations en série depuis l’arrêt des subventions », se demande-t-il. De plus, souligne-t-il, il s’agit de denrées de base, comme l’huile, le lait et les grains secs.
Tout a commencé, rappelle-t-il, avec la première hausse du prix du carburant, le 28 décembre de l’année dernière. «À partir de là, tout s’est emballé avec des hausses historiques, jusqu’au mois de mai. Ce qui est cependant regrettable, c’est que les ajustements n’ont toujours pas été faits, après la baisse d’au moins 40% qui a suivi sur le marché mondial », poursuit-il. Il ajoute que le prix du carburant demeure l’une des grandes batailles pour 2023.
L’année 2022, poursuit Jayen Chellum, se termine avec un nouveau coup dur pour les consommateurs. La hausse du taux du Repo Rate affecte de nombreuses familles. « Ceux qui ont fait des sacrifices pour construire de maisons devront trouver plus d’argent pour assurer le remboursement de leurs emprunts. Et il n’y aura pas de retombées positives de cette décision sur l’épargne car les gens sont dans l’incapacité d’épargner», dit-il.
La majoration prochaine des tarifs d’électricité, compliquera davantage la situation. « Une fois encore, ce sont les consommateurs qui portent le fardeau, alors qu’il y avait un surplus de Rs 15 milliards dans les caisses du CEB.»
La sécurité alimentaire ébranlée
Dans les milieux syndicaux, on s’est aussi battu pour essayer de rétablir le pouvoir d’achat, mais la compensation de Rs 1 000 sera engloutie par les augmentations. Jane Ragoo de la Confédération des Travailleurs du Secteur Privé (CTSP) rappelle qu’il y a beaucoup de personnes qui touchent le salaire minimum de Rs 11 075. « Un salaire minimum est une sécurité alimentaire. Or, quand les prix montent, la sécurité alimentaire n’est plus assurée. Même si le gouvernement a accordé une compensation de Rs 1 000, ainsi que la CSG Allowance de Rs 1 000, il manquera toujours Rs 1 000 pour compenser la perte du pouvoir d’achat de l’ordre de Rs 3 000, selon les chiffres de Statistics Mauritius », affirme-t-elle.
Dans de telles conditions, poursuit-elle, beaucoup de familles ont dû revoir leurs consommations. « Il ne faut pas se voiler la face non plus, que dans certaines régions, il y a des gens qui vivent dans la précarité. Ils ne travaillent pas ou travaillent le matin pour manger le soir », souligne-t-elle. Faisant référence à une activité à laquelle elle a participé dans le cadre de la Journée mondiale des droits humains, elle cite le témoignage de personnes de terrain qui estiment que des dizaines de milliers de personnes vivent encore dans l’extrême pauvreté à Maurice.
La priorité, dans un tel contexte est d’offrir un emploi décent et permanent aux personnes se trouvant dans ces situations. « Maurice aspire à devenir un High Income Country et ne peut donc pas se permettre qu’il y ait des familles incapables d’avoir un repas par jour. On ne peut faire venir des étrangers pour travailler comme Carer ou jardinier, alors qu’il y a des Mauriciens qui auraient pu faire ce travail. Il suffit de les encadrer », dit-elle en réitèrant ainsi sa demande au ministère du Travail, pour rendre la base de données des demandeurs d’emplois accessible. « Des gens me contactent car ils veulent recruter, mais nous n’avons pas les données des demandeurs d’emploi.»
Choisir entre l’école et le repas
Sur le terrain, dans l’accompagnement des familles en difficultés, le constat est d’autant plus alarmant. Christiane Pasnin et Sabrina Utile, sont au service Caritas. Le nombre de familles sollicitant des aides alimentaires a beaucoup augmenté au cours de cette année. « Chez nous, à Solitude, il y avait 30 bénéficiaires pour l’aide alimentaire. Nous sommes passés à 75. C’est dire à quel point il y a des gens qui sont dans l’incapacité d’acheter à manger aujourd’hui », relève Christiane Pasnin.
Pourtant, précise-t-elle, ce sont des familles qui font leurs efforts et se plient à de nombreux sacrifices. Elle cite l’exemple d’une mère de famille, qui se retrouve avec une facture de Rs 4 000 pour l’achat des livres de sa fille qui passera en grade 10 en janvier. « Les gens réalisent aujourd’hui l’importance de l’éducation. Ils investissent donc dans l’éducation de leurs enfants et il ne reste pas suffisamment d’argent pour manger», reconnaît-elle.
Élaborant sur le cas de cette même famille, elle précise que les Rs 4 000 ne concernent que les manuels scolaires. Il faudra maintenant prévoir pour l’uniforme, notamment. Sans compter que s’il y a d’autres enfants dans la famille, il faudra encore un autre budget. « Certains parents préfèrent ne pas manger pour envoyer les enfants à l’école. Des enfants n’ont pas eu de cadeaux à Noël car les parents ont gardé l’argent pour l’école…»
Il ne faut pas croire, poursuit Christiane Pasnin, que les familles au bas de l’échelle sont les seules qui souffrent. «Il y a de plus en plus de familles de la classe moyenne qui recherchent de l’aide aujourd’hui parce qu’elles n’arrivent plus à s’en sortir. Certaines ont pris des emprunts pour construire leurs maisons ou ont envoyé leurs enfants dans une école payante, parce qu’ils en avaient les moyens et c’est tout à fait leurs droits. Mais avec toutes ces augmentations, ils se retrouvent piégés », rappelle-t-elle.
Sans vouloir donner dans l’extrême, l’accompagnatrice de Caritas avance : « Zordi manze inn vinn lor.» Avoir du poulet ou de la viande sur la table est un privilège. « Chaque semaine nous avons deux ou trois familles en recherche de secours d’urgence. On se demande comment cela va être pour 2023, surtout avec la hausse annoncée du prix de l’électricité.» Elle ajoute que ce sont surtout les femmes qui sont impactées. Il y a beaucoup de personnes âgées également, qui n’arrivent pas à s’en sortir avec leurs pensions, car il faut acheter des médicaments et des couches.
À Roche-Bois, la situation est similaire, selon Sabrina Utile. Pour pouvoir manger, certains ne payent pas leurs factures et se retrouvent dans une spirale de dettes. « Beaucoup ne peuvent plus se permettre deux repas par jour. Des denrées de base comme le lait sont devenues un luxe. »
Pourtant, ajoute-t-elle, on ne peut pas dire que ces personnes ne font pas d’efforts. « Il y a un parent qui a deux enfants en Grade 9 et Grade 11. Il faut trouver de l’argent pour acheter les livres, les uniformes etc. Ensuite on ne sait pas comment on va faire pour manger. À notre niveau on essaie d’aider pour la nourriture, mais ce n’est pas évident.»
2023 sera une année de grands défis, dit-elle, avec les prévisions d’une année encore plus difficile. Beaucoup de familles appréhendent de nouvelles augmentations.