L’enceinte du Plaza de Rose-Hill s’est transformée, samedi après-midi, en un vaste espace de contestation citoyenne. La marche organisée par le Mouvement pour la sécurité et la justice routière a rassemblé une foule dense, déterminée à dénoncer ce que beaucoup décrivent désormais comme une dérive nationale : la multiplication de victimes causées par des conducteurs sous l’effet de drogues ou d’alcool.
Dès les premières minutes, l’atmosphère était lourde. Pas de cris scandés en boucle, pas de slogans orchestrés. C’était une colère plus profonde, une fatigue presque palpable, qui s’exprimait à travers les pancartes bricolées avec des messages bien percutants, les regards fermés et les pas lents d’une population qui refuse de se taire.
Les noms des victimes revenaient dans les discussions, comme un fil rouge silencieux : Kelyan, trois ans ; Laeticia, vingt-cinq ans ; Amrita, soixante-neuf ans ; Muzammil, trente ans; et Feroz, soixante-trois ans. Des vies interrompues brutalement, souvent dans des circonstances similaires : un conducteur positif à la drogue, un autre ivre, parfois même sans permis.
Au milieu du cortège, plusieurs proches acceptaient de témoigner, avec retenue. Une femme serrant contre elle la photo de sa fille explique: « Mo la parski mo pa anvi enn lot mama pas par mem zafer. Pa ena sime pou regle sa. Bizin lalwa ki ferm. »
Un autre participant, en soutien à un ami grièvement blessé : « toulezour mo trouv dimounn dan enn leta pa normal lor la rout. Pa normal ki zot kapav pran volan koumsa. »
La famille de Muzammil Hossenbocus, immobile par moments, marchant par petits groupes à d’autres, s’est imposée comme l’un des noyaux de la mobilisation. Son père, Mehmet, a parlé brièvement : « nou anvi ki so ka avanse. Nou pe rode la verite. Nou pe rod la zistis. » Sa voix contrôlée, presque trop calme, en disait plus long que des gestes ou des cris.
Derrière lui, d’autres proches tenaient des pancartes soigneusement écrites, évoquant un combat, dépassant leur propre deuil.
Une indignation tournée vers l’État
Pour beaucoup, le problème ne se limite plus aux comportements individuels. La marche ressemblait aussi à un procès adressé aux institutions: contrôles insuffisants la nuit, sanctions jugées trop faibles, lenteurs judiciaires, absence de suivi psychologique pour les familles, et ce sentiment persistant que certains chauffards échappent trop facilement aux conséquences de leurs actes.
Un père résume ce sentiment d’impuissance : « sak fwa mo sorti aswar, mo gagn enn traka dan lestoma. Lalwa pa pe fer dimounn konpran. Li tro fasil pou riske lavi lezot. »
Mesures “immédiates et courageuses”
Au micro, Istea Caunhye, porte-parole du mouvement, a recentré les revendications:« Pa zis enn-la ou de-la; nou pe koz enn pays ki pe soufer. Nou pe dimann bann desizion kler: plis kontrol aswar, bann lalwa ki fer dimounn per, e enn soutien reel pou bann fami ki finn perdi bann dimounn. »
Il a adressé trois demandes directes :
— au Premier ministre, de rencontrer les familles endeuillées;
— au ministère de la Sécurité sociale, de mettre en place un mécanisme spécial d’aide;
— au ministère de la Femme et de l’Enfant, de garantir un accompagnement psychologique adéquat.
À l’arrivée, alors que le rassemblement prenait fin, le silence restait chargé de tensions. Beaucoup restaient encore sur place, comme s’ils refusaient que la mobilisation se dissolve aussi vite. L’impression dominante était claire : ce qui s’est passé à Rose-Hill n’était pas une fin, mais un début. La colère ne s’est pas évaporée. Elle s’est organisée.
Et elle se tourne désormais vers ceux qui peuvent agir.
Car, pour la population présente, une chose est certaine: Maurice ne peut plus tolérer que ses routes continuent de coûter des vies dans l’indifférence.

