Covid-19 et marée noire dans le sud-est : des familles plus exposées à la pauvreté

Après le premier confinement, on enregistre une baisse de moins 40% sur les salaires, et après le Wakashio une baisse allant jusqu’à moins 70%

  • Les foyers en manque d’argent développent des solutions pour gérer leurs pertes : ils contractent des dettes, cessent de payer des factures, réduisent leur qualité de vie…
  • Sur le plan psychologique, on enregistre après le premier lockdown beaucoup d’anxiété et un sentiment d’isolement chez les personnes interrogées. Après la catastrophe du Wakashio, ces sentiments se muent en colère et sentiments d’abandon

Les effets combinés du premier confinement mauricien et du naufrage du Wakashio sur la région de Mahébourg et du Sud-Est ont fait l’objet d’une étude scientifique approfondie par le cabinet de consultants en régénération Dynamia Associates and Developers, en partenariat avec Josheena Naggea, en doctorant à l’Université de Stanford. Un rapport fort intéressant en a découlé — avec pour titre Social Impact Assessment of the compounding impacts of Covid-19 and the Wakashio oil spill.

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Ce rapport a été financé par The Tiffany & Co. Foundation via l’antenne kenyane de la Wildlife Conservation Society. Il fournit une première évaluation socio-économique de l’impact direct et indirect de ces deux événements indésirables sur les communautés vulnérables de la région du Sud-Est et cherche à mettre en évidence leurs besoins économiques, sanitaires et socioculturels au lendemain de ce qui a été une épreuve. L’étude de Dynamia montre que les sites touchés par les déversements de pétrole sont les plus affectés par les deux chocs exogènes combinés.

Déjà affecté par un développement économique relativement plus lent que le reste du pays, le chevauchement des deux événements a créé une pression sans précédent sur la région. Ces deux chocs ont touché de manière disproportionnée les communautés côtières les plus vulnérables qui dépendaient des secteurs de la pêche et du tourisme.

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Dynamia indique d’emblée dans son executive summary qu’après le lockdown (mars-juin 2020), les sites de référence — celles pas touchées par la marée noire— et les sites de déversement de pétrole ont subi une réduction des revenus des ménages, en moyenne de -40,5% pour les sites de référence et de -47,5% pour les sites de déversement.
Ainsi, en novembre 2020, alors que les revenus des sites de référence remontaient à -32% en moyenne, les bénéfices des sites touchés par la marée noire ont continué de baisser à -56,6%.

Les plus touchés, tels que ceux impliqués dans le travail saisonnier, la pêche et le glanage, ont vu une baisse des revenus des ménages allant jusqu’à 71% dans les sites de déversement, tandis que les sites de référence des côtes nord et ouest de l’île ont commencé à se remettre des effets de la Covid-19 de juin à décembre 2020. En revanche, les sites associés à la marée noire montrent un déclin continu à travers les indicateurs socio-économiques évalués. Ainsi, le montant global gagné par ménage a considérablement diminué.

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Alors que la reprise pour certains peut être rapide une fois l’économie ouverte, la voie de la reprise sera probablement plus complexe pour d’autres qui ont accumulé des dettes, épuisé leurs économies personnelles et vendu des actifs productifs tels que des bateaux.Ces difficultés économiques ont affecté la capacité des familles à acheter des produits alimentaires de base, à payer les dépenses du ménage et à couvrir les dépenses professionnelles.

La conclusion tirée par Dynamia est que la marée noire a érodé davantage la résilience de ces populations vulnérables et qu’ainsi des familles sont exposées à un cercle vicieux de la pauvreté.

Enfants pas
envoyés à l’école

Plusieurs autres impacts sociaux ont également été notés : physiques et des problèmes de santé mentale sont apparus, causés par une anxiété et une dépression accrue dues à la pandémie, une exposition physique au mazout et des sentiments accrus de colère en raison de la marée noire. Par ailleurs, certaines familles n’ont pas pu envoyer leurs enfants à l’école, car elles ne pouvaient plus se permettre de fournir le déjeuner, ce qui est un facteur aggravant important étant donné que les écoles ont été fermées pendant la fermeture de Covid-19 de 2020 entre mars et juin 2020, et à nouveau en août 2020 après le déversement de pétrole.

Ceux du commerce de la pêche ont signalé un impact psychologique plus important ; ils considèrent leur profession comme un mode de vie, pas simplement un travail. Cette perturbation de leur vision du monde a entraîné des sentiments de « perte de l’avenir » et des craintes en raison des difficultés anticipées à trouver d’autres moyens de revenus.

Des sources de
revenus ont tari

En termes d’impact sur les activités économiques, la plupart des personnes employées dans le secteur du tourisme sur la côte sud-est ne pourraient pas bénéficier du tourisme domestique, dans les bungalows essentiellement, comme sur le reste de l’île. La marée noire a aussi entravé toute forme de récupération après la Covid-19, et de nombreux petits et moyens gîtes et restaurants ont noté qu’ils risquaient de fermer leurs entreprises dans les mois qui suivent. Sur tous les sites, les entreprises commerciales ont souffert, car le pouvoir d’achat des habitants a considérablement diminué.

Le drame des
pêcheurs

Le secteur de la pêche artisanale a également été particulièrement touché, car les pêcheurs commerciaux et de subsistance n’ont pas pu mener leurs activités de pêche pendant le lockdown de 2020, exacerbé par les restrictions de pêche d’août à décembre 2020 en raison de la marée noire. Les résultats montrent aussi que sur les sites touchés par la marée noire, une réduction de 51% des revenus de la pêche en raison du lockdown Covid-19 de 2020, atteignant une réduction de 72% des revenus de la pêche en raison de la marée noire. Les pêcheurs ont été affectés par une combinaison de facteurs : une période de chômage forcé, une réduction des revenus et une augmentation de l’endettement des ménages, un changement drastique de la composition de leur alimentation, des problèmes de santé et des dommages au matériel de pêche.

Bien que les pêcheurs enregistrés et les demandeurs de cartes d’enregistrement de pêcheur aient reçu une compensation mensuelle de Rs
10 200 (environ 250 USD), ainsi qu’une indemnité de mauvais temps, de nombreux ménages de pêcheurs ont exprimé des difficultés économiques. Les revenus des pêcheurs divergent considérablement selon le type de matériel ou d’équipements utilisés et les efforts de pêche.

Les femmes les plus touchées

Parmi les groupes qui sont touchés de manière disproportionnée par la Covid-19 et la marée noire, les femmes sont les plus durement touchées, avec des impacts qui pourraient potentiellement exacerber les inégalités entre les hommes et les femmes. Comme souligné dans les questions Gendered Voices 1-4 du PNUD Maurice, la Covid-19 a le potentiel d’accentuer la féminisation de la pauvreté à Maurice : actuellement, 11% du segment le plus pauvre de la population sont des femmes vivant sous le seuil de pauvreté, par rapport à 9,6% d’hommes dans la même catégorie. De même, les défis auxquels sont confrontées les femmes dans le secteur de la pêche sont devenus évidents.

À Maurice, sur les 1 902 pêcheurs enregistrés à Maurice, seulement 35 sont des femmes. Et sur ces 35, plus de 50% sont situés dans la région touchée par la marée noire. Il y a donc un système qui ne tient donc pas compte des pêcheurs non enregistrés et qui accentue par mégarde les inégalités de genre.

Une adaptation qui enfonce davantage 

Pour s’en sortir, les résidents côtiers des régions affectées ont dû développer des stratégies d’adaptation, dont les principales sont de nature à enfoncer les plus vulnérables , d’après l’étude, sont les suivantes :

l S’engager dans de nouvelles activités économiques, généralement dans le secteur du travail quotidien, avec des capitaines et des pêcheurs embauchés par les équipes de nettoyage des déversements de pétrole

l Économies sur les dépenses

l S’endetter davantage

l Vendre des actifs productifs (bateaux, moteurs, voitures, etc.)

l Compter sur des aliments moins chers, diminuer l’apport en protéines, en particulier le poisson

l Dépendance accrue envers la générosité de la famille et des amis

Insatisfaction
de la réponse
gouvernementale

Il y a une démarcation claire entre le niveau de satisfaction des répondants en ce qui concerne l’aide reçue du gouvernement pour la pandémie par rapport à la réponse du gouvernement à la marée noire. Les personnes interrogées étaient principalement satisfaites de la réponse à la pandémie, mais surtout insatisfaites de la réponse à la marée noire. Plusieurs problèmes ont été mis en évidence, notamment

(1) une réponse lente au début du déversement,

(2) une méfiance accrue en raison du manque de communication ouverte et d’informations scientifiques sur les mesures de réponse et les impacts environnementaux de la catastrophe.

En conclusion, Dynamia affirme que la combinaison de l’impact psychologique lié à la pandémie de Covid-19 et à la marée noire du Wakashio, le lourd fardeau financier, l’accumulation de dettes, l’insécurité alimentaire, la diminution de la fréquentation scolaire, les impacts sur la santé et la distribution inégale de l’aide pourraient éventuellement faire tomber de nombreuses personnes dans les pièges de la pauvreté et conduire à la fragmentation du tissu social de la région. Tout en faisant quelques recommandations en ligne avec les problèmes soulevés, Dynamia soutient qu’une enquête plus approfondie devrait être entreprise par les responsables de la santé publique.

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