L’Assemblée nationale a consacré, mardi, un échange dense et chargé d’émotion sur l’escalade des violences en ligne, du cyberharcèlement et des risques auxquels sont confrontés les jeunes et les personnes vulnérables. Interpellé par le député Bhavish Babajee, le ministre des Technologies de l’Information, de la Communication et de l’Innovation, Dr Deepak Ramtohul, a confirmé que le gouvernement envisage des réformes majeures, au moment même où plusieurs cas récents — incluant tentatives et suicides consommés — ont profondément choqué le pays.
Le ministre a souligné que, ces trois dernières années, les cas de cyberharcèlement, de revenge porn, d’usurpation d’identité, d’humiliations publiques et d’autres formes de violence digitale ont connu une progression notable, affectant particulièrement les femmes et les jeunes. Les statistiques officielles, qu’il a annoncées comme devant être déposées à l’Assemblée, montrent une tendance continue à la hausse.
Malgré l’existence de la Cybersecurity and Cybercrime Act de 2021, dont les dispositions répressives sont jugées déjà robustes, le gouvernement estime que l’évolution rapide des technologies, des plateformes et des comportements exige une adaptation permanente de la réponse publique. Le ministère travaille ainsi à des amendements destinés à consolider davantage le cadre légal.
Vers un régulateur indépendant de la sécurité en ligne ?
Répondant à la proposition du député Babajee visant à créer un Online Safety Regulator indépendant, le ministre a indiqué que cette option est effectivement à l’étude au niveau du bureau de l’Attorney General. Le modèle envisagé s’inspire directement de l’eSafety Commissioner australien, du Online Safety Commissioner irlandais ou encore du régime britannique encadré par Ofcom dans le cadre de la UK Online Safety Act.
Maurice dispose déjà d’un écosystème de régulation réparti entre plusieurs institutions — ICTA, Data Protection Commissioner, Police Cybercrime Unit, CDU et CERT-MU —, mais la multiplication des cas récents et les limites opérationnelles de ce dispositif justifient une réflexion sur une instance dotée d’une mission claire, d’une expertise dédiée et d’une indépendance garantie.
Deux options sont ainsi sur la table : la création d’un bureau statutaire totalement indépendant, dirigé par un commissaire hautement qualifié, ou l’intégration d’une unité autonome de sécurité en ligne au sein d’un régulateur existant, avec indépendance fonctionnelle.
Interrogé sur l’éventualité d’un bannissement de l’accès aux réseaux sociaux pour les mineurs de moins de 16 ans, le ministre Ramtohul a expliqué que le gouvernement suit de près l’expérience australienne, qui fait figure de pionnière dans ce domaine. Un système d’age assurance technology y est actuellement testé, mais les résultats montrent des défis importants : manque de précision, risques pour la vie privée, difficultés d’application et risques de contournement.
S’appuyant également sur la Constitution mauricienne — notamment sa protection de la liberté d’expression et du droit des mineurs à l’inclusion numérique —, le ministre a estimé qu’une interdiction totale serait contre-productive, risquant de pousser les jeunes vers des plateformes non régulées, donc plus dangereuses encore.
Une future agence nationale de cybersécurité et assistance 24/24h
Le ministère a toutefois annoncé des mesures concrètes : l’ICTA finalise des directives qui seront publiées « dans les jours à venir ». Elles introduiront un système de contrôle parental facultatif, d’abord via les téléphones mobiles, puis via les routeurs Wi-Fi domestiques. Les opérateurs télécoms auront l’obligation de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour permettre la limitation des contenus dangereux ou illégaux.
Parallèlement, le gouvernement entend renforcer sa coopération internationale, notamment via la SADC, le COMESA et l’Union africaine, afin de créer des canaux de dialogue avec les grandes plateformes technologiques, quasiment toutes dépourvues de présence physique à Maurice.
Enfin, Dr Ramtohul a confirmé que les amendements à la Cybersecurity and Cybercrime Act 2021 prévoient la création d’une National Cyber Resilience and Cybersecurity Agency. Cette nouvelle structure aurait comme l’une de ses missions principales la sécurité en ligne et pourrait, selon les conclusions des évaluations en cours, intégrer les fonctions du futur régulateur de la sécurité numérique.
Le ministre a également rappelé que la stabilité économique du pays dépend désormais étroitement de sa stabilité sociale et digitale, et que le gouvernement refuse toute forme de complaisance face aux violences en ligne. « Nous venons avec des mesures audacieuses : législatives, institutionnelles, opérationnelles et éducatives », a-t-il conclu.
En fin d’échange, le député Babajee a proposé la mise en place d’un service d’assistance et de counselling disponible 24/7, rappelant qu’un suicide diffusé en direct la veille avait illustré l’absence d’un mécanisme de réponse immédiate. Le ministre a répondu que cette composante fait partie d’une approche globale en gestation, notamment dans le cadre d’une coopération engagée avec le gouvernement du Maharashtra, visant à renforcer les services de soutien psychologique et familiales.

