Dengue : Augmentation des cas, faut-il s’inquiéter ?

Face à l’augmentation des cas de dengue dans le pays, avec le nombre de cas actifs enregistrés à la semaine dernière, sans compter que les conditions météorologiques sont propices à la prolifération des moustiques, beaucoup se demandent si les autorités ne perdent pas le contrôle de la situation en dépit de tous leurs efforts. Faut-il s’en inquiéter ? L’épidémie risque-t-elle de se transformer en endémie ?

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Consultant en endocrinologie, diabétologie et médecine interne, le Dr Iswaraj Ramracheya y voit une menace réelle pour le pays vu que le nombre de cas est en augmentation dans un court laps de temps et dans des régions plus étendues. La situation est à ses yeux « assez préoccupante car le nombre de cas est, sur une période de 2 mois déjà, près de 4 fois le nombre de cas signalés par an ». Ce qui l’induit à dire que cette croissance inattendue du nombre de cas laisse entrevoir « un véritable potentiel de progression vers une flambée épidémique ». Il nuance en disant que la situation peut être gérée si la transmission de la maladie est stoppée en contrôlant les populations de moustiques. Il parle de l’existence de deux types de vaccins contre la dengue et d’une méthode innovante comprenant des moustiques infectés pour empêcher la propagation du virus.

Pour le Dr Vasant Bunwaree, cardiologue et ancien ministre, s’il n’y a pas lieu de s’inquiéter, la vigilance est de mise. La lutte, dit-il, doit être dirigée à la fois contre les larves à travers les larvicides et les moustiques adultes à travers les insecticides. « Il faut aussi maintenir un seuil de vigilance et chaque fois qu’un foyer fait son apparition, il faudra prendre la mesure qui s’impose sur le plan individuel, familial et collectif », recommande-t-il.

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Le médecin conseille d’envisager la vaccination surtout dans les cas où il y a eu une infection précédente et si l’on vit dans des régions à haut risque de contamination. Il suggère de faciliter les détections précoces et de permettre un accès facile aux centres de soins.

Gérard Paya, consultant en tourisme, considère pour sa part que l’épidémie n’a pour l’heure aucun vrai impact sur le tourisme. « Ce n’est pas alarmant », estime-t-il, soutenant que les autorités ont, en général, pris les taureaux par les cornes. « Du côté des hôtels, ils sont très organisés et font tout le nécessaire pour éliminer les poches de prolifération de moustiques à travers la fumigation. Les hôteliers sont toujours one step ahead en sus du travail des autorités. Il faut être optimiste. Je crois que la dengue peut être contrôlée à Maurice ». Encore faut-il, ajoute-t-il, que les Mauriciens aussi sachent assumer leurs responsabilités. La seule chose qui manque, « c’est qu’il aurait fallu une campagne de sensibilisation dans les établissements scolaires pour expliquer aux jeunes ce qu’il en est ».

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DR ISWARAJ RAMRACHEYA (Endocrinologue) :« Une menace réelle pour Maurice »

Si le ministre de la Santé soutient que la situation de la dengue est sous contrôle, la crainte d’une épidémie se fait sentir avec quelque 643 cas à Maurice et environ 1109 cas depuis décembre. Y a-t-il lieu de s’inquiéter ?

En effet, le risque d’épidémie de dengue constitue une menace réelle à Maurice car le nombre de cas est en augmentation à court terme et dans des régions plus étendues. Bien que l’épidémie initiale semble se situer dans la région de Port-Louis, plusieurs cas actifs ont maintenant été détectés dans le Nord, dans la région des Plaines-Wilhems et vers la région Sud, dont Mahébourg.

Le nombre de cas augmente également de manière inquiétante. Il y a eu plus de 800 cas détectés au cours des 2 derniers mois et ce nombre va augmenter. Deux cas de décès ont déjà été signalés. En 2023 il y avait environ 265 cas, et 220 cas en 2020, sans aucun en 2021 et 2022. C’est donc assez préoccupant car le nombre est déjà près de quatre fois celui de cas signalés par an sur une période de 2 mois. Cette augmentation inattendue du nombre de cas laisse donc entrevoir un véritable potentiel de progression vers une flambée épidémique.

Quelles seraient les implications si l’épidémie devenait une endémie ?

Eh bien, cela implique la présence constante de la maladie sur l’île et une réelle menace d’épidémie localisée récurrente de temps en temps. Toutefois, cela peut être géré si la transmission de la maladie est stoppée ou évitée en contrôlant les populations de moustiques. En l’absence de traitement disponible contre cette maladie, les mesures de contrôle de la dengue seront primordiales pour protéger les centaines de personnes à risque.

Les autorités procèdent déjà à une campagne de fumigation en vue d’éliminer les moustiques vecteurs du virus de la dengue. Que faudrait-il de plus pour lutter contre cette épidémie ?

En plus de la fumigation, à court terme, l’utilisation de crèmes et de sprays anti-insectes, le port de vêtements amples, de chemises à manches longues et de pantalons longs, l’utilisation de moustiquaires pour dormir, les moustiquaires pour fenêtres, les diffuseurs anti-moustique ainsi que les serpentins peuvent être utiles.

Une autre option consiste à rechercher un vaccin efficace contre la dengue. Actuellement, deux types de vaccins ont été approuvés pour la prévention de la dengue. En outre, une idée innovante récente consistant à utiliser des moustiques infectés par une bactérie particulière les empêchant de propager le virus, a permis de réduire considérablement le nombre de cas en stoppant essentiellement la propagation de la dengue. Cela réduira donc non seulement le nombre de cas, mais également les soins hospitaliers nécessaires. Enfin, les développements thérapeutiques doivent progresser pour réussir à contrôler la maladie.

Les vaccins et les méthodes infectés, sont-ils des méthodes accessibles facilement ?

Concernant des vaccins, le Dengvaxia est pour les 6-45 ans ayant été précédemment affectés par la dengue et est disponible dans les pays où il y a une endémie. Le QDENDA a été approuvé seulement à la fin de 2023 et la plupart de (4-60 ans) y sont éligibles sauf pour les immuno-déprimés, les femmes enceintes ou allaitantes.

Ils peuvent être injectés aussi en guise de protection pour les personnes qui voyagent dans les pays à risques. Je ne pense pas qu’ils soient disponibles à Maurice. Quant aux moustiques génétiquement modifiés, la méthode est disponible dans certains pays.

Les conditions météorologiques qui prévalent n’amélioreront pas la situation avec les eaux stagnantes engendrées par les pluies et les herbes qui pousseront suscitant la prolifération de moustiques…

L’impact du changement climatique, affectant les températures et provoquant de fortes précipitations, ne fera malheureusement que favoriser la propagation de cette maladie à transmission vectorielle. Il n’y a pas si longtemps, Maurice était témoin de la colère de Mère Nature.

Des mesures simples pour éviter que les moustiques ne se reproduisent autour de sa maison consistent à garantir qu’il n’y a pas de flaque d’eau stagnante ou de l’eau collectée et faire de sorte à éliminer ces points d’eau stagnante. Les zones urbaines densément peuplées, en particulier les zones sans planification, les endroits où la mobilité de la population est accrue et les systèmes de stockage d’eau insalubre peuvent contribuer à la prolifération et à la propagation de l’infection.

Quels conseils donneriez-vous aux Mauriciens ?

Des mesures préventives simples permettront de freiner la propagation des maladies. Il est important d’accroître la sensibilisation, d’augmenter les connaissances sur la maladie et d’améliorer la prise de conscience sur la manière de prévenir la propagation.
Si une personne a été atteinte de dengue, le traitement consiste simplement en une augmentation de l’apport hydrique, du repos, de l’analgésie et des antipyrétiques. L’aspirine et les autres anticoagulants doivent être évités dans cette condition.

En conclusion ?

En résumé, la dengue est une maladie transmise par la piqûre d’un moustique, mais environ 8 patients infectés sur 10 ne présenteront aucun symptôme ou ignoreront qu’ils sont atteints de la maladie.

La plupart des patients atteints présenteront des symptômes légers et moins de 1 : 20 auront une forme grave de la maladie avec un risque de saignement. Des mesures préventives simples réduiront le risque de propagation de la maladie et le maintien d’un environnement propre arrêtera la prolifération de la maladie.

 

DR VASANT BUNWAREE (ancien ministre):« La vigilance toujours de mise »

Si le ministre de la Santé soutient que la situation de la dengue est sous contrôle, la crainte d’une épidémie se fait sentir avec quelque 643 cas à Maurice la semaine dernière et environ 1109 cas depuis décembre. Y a-t-il lieu de s’inquiéter ?

L’épidémie est bel et bien là. Les chiffres le prouvent. À quelques jours, il y avait 1405 cas reconnus et cela augmente chaque jour. J’ai comme l’impression que les premiers cas répertoriés en décembre nous ont pris par surprise. Après une petite phase d’hésitation, les autorités se sont mises à l’œuvre.

Il n’y a pas lieu de s’inquiéter mais la vigilance est de mise. Il convient de rappeler que la dengue est une maladie virale transmise par les piqûres d’un moustique infecté. Ces moustiques peuvent transmettre le virus aux humains en les piquant et en injectant leur salive infectée, cela dans la journée, et surtout durant les 2-3h au lever et avant le coucher du soleil.

Ces moustiques prolifèrent dans des endroits marécageux et des eaux stagnantes. L’infestation reste possible tout au long de l’année mais est beaucoup plus importante aux mois de février/mars. Ces éléments doivent rester bien ancrés à l’esprit car ils permettent de comprendre comment doit être organisée la lutte contre cette épidémie.

Quelles seraient les implications si l’épidémie devenait une endémie ?

L’épidémie évolue à un moment donné pendant quelques semaines dans une population donnée et une région donnée. Elle éclot, prend de l’ampleur, passe par un pic, puis diminue grâce aux nombreuses mesures prises et disparaît. L’endémie, elle, sous-entend que la maladie devient constamment présente dans la même région et il nous faudra vivre avec.

Aujourd’hui, la dengue est endémique dans plus de 100 pays dont l’Afrique, l’Asie du Sud-Est et Ouest pacifique et dans les régions des Amériques. L’impact dépendra alors du type et de la virulence du virus de la dengue. Nous distinguons la dengue banale de la dengue sévère où il y a risque de mort ou de souffrance majeure, cela pire encore en cas de nombreuses comorbidités préexistantes.

Il existe un vaccin contre la dengue qui n’a pas été généralisé encore. Il faudra alors considérer sérieusement cette option.

Les autorités procèdent déjà à une campagne de fumigation en vue d’éliminer les moustiques vecteurs du virus de la dengue. Que faudrait-il de plus pour lutter contre cette épidémie ?

Sur le plan collectif, il faut détruire les foyers de moustiques. La lutte doit être dirigée à la fois contre les larves (utilisation de larvicides) et les moustiques adultes (insecticides). Elle doit être initiée par les autorités sur le plan national mais celles-ci devront aussi faire appel à toutes les autres institutions régionales et collectivités locales pour y apporter leur concours tant dans la campagne active que dans la transmission des connaissances et informations avec les moyens dont elles disposent.

L’appel doit enfin aussi être lancée aux familles, voisinage afin que tous soient impliqués dans cette lutte pour avoir des résultats probants et définitifs. Il faut aussi maintenir un seuil de vigilance et chaque fois qu’un foyer fait son apparition, il faudra déclencher la machinerie tant sur le plan collectif qu’individuel.

Les conditions météorologiques qui prévalent n’amélioreront pas la situation avec les eaux stagnantes engendrées par les pluies et les herbes qui pousseront suscitant la prolifération de moustiques…

Effectivement, cela constitue un élément primordial dans la lutte anti-dengue. Il faut ouvrir grand les yeux pour chercher et éliminer toute accumulation d’eau et surtout celles qui ne coulent pas mais stagnent. Je pense aux petites et moyennes collections d’eau à l’intérieur et à l’extérieur des maisons, dans les jardins, les vases et autres pots de fleurs, les drains non-fonctionnels, les fosses septiques entre-ouvertes ou non scellées.

Quels conseils donneriez-vous aux Mauriciens ?

Il importe de comprendre ce qu’est la maladie, comment elle est transmise, évolue et se propage. Il faut rester vigilant et prendre la mesure qui s’impose sur le plan individuel, familial et collectif. Utiliser des lotions/gels anti-moustiques. Se servir de moustiquaires et bien se couvrir le corps. Il convient de boire beaucoup d’eau et stabiliser les comorbidités : diabète, hypertension, cholestérol etc. Vérifier et corriger au besoin son taux de vitamine D et C.
Ensuite, savoir reconnaître les signes de la maladie : fièvre, maux de tête, douleur derrière les yeux, douleurs musculaires, nausée, vomissements, éruptions cutanées. Pour la dengue sévère, il y a la respiration rapide et saignements au niveau des gencives, du nez ou dans les selles.

En conclusion ?

Plus que le virus, c’est surtout les moustiques vecteurs de la maladie qu’il faut pourchasser et éliminer. Encore faut-il savoir où ils sont résistants et comment ils évoluent et se propagent. C’est l’affaire de tous et tous doivent rester vigilants et jouer son rôle à la mesure de ses moyens.

Dans les cas sévères, faire attention à ne pas utiliser l’aspirine et autres anti-inflammatoires plus enclins aux saignements. Envisager la vaccination surtout s’il y a eu une infection précédente et si nous vivons dans des régions à hauts risques de contamination. Maintenir une hygiène de vie. Il faut savoir qu’il n’y a pas de traitement spécifique. Donc, faciliter les détections précoces et permettre un accès facile aux centres de soins.

GERARD PAYA (consultant en tourisme) :« Pas alarmant pour le tourisme »

L’évolution de l’épidémie de la dengue dans le pays qui s’étend inspire-t-elle de l’inquiétude dans le secteur du tourisme ?

Pour être franc, cela n’a pas beaucoup d’impact. Heureusement que le nécessaire a été fait par les autorités concernées, avec un tout petit peu de retard, certes, mais elles l’ont fait. La dengue se répand surtout dans les quartiers retirés où il y a un manque de sensibilisation. Les habitants ne sont pas conscients qu’il faut se débarrasser des eaux stagnantes à l’extérieur pour réduire les risques de prolifération des moustiques.

À ce niveau, les autorités ont un peu failli. Pendant la pandémie, je me suis moi-même investi énormément, avec mon ami Ben Ramaldawo, des Forces vives de Flic-en-Flac, en dispensant des formations à des hôteliers, aux gens travaillant dans le monde du tourisme, aux chauffeurs de taxi. Les autorités auraient dû similairement sensibiliser la population. Sachant qu’à La-Réunion, il y avait la dengue l’an dernier et qu’à n’importe quel moment, on aurait pu avoir cela à Maurice.

Mais, en général, nous avons à Maurice, je crois, pris les taureaux par les cornes.

La situation ne demeure pas moins inquiétante au vu de la vitesse de croissance du nombre des cas de dengue dans le pays

C’est là où le bât blesse. Il y a trop de personnes alarmistes dans ce pays. Le gouvernement est en train de faire le maximum. Du côté des hôtels, ils sont très organisés avec leurs Quality Assurance Manager et Health Care Manager. Ce que je peux voir tous les jours dans tous les secteurs de l’hôtellerie, c’est qu’ils font tout le nécessaire pour éliminer les poches de prolifération de moustiques à travers la fumigation.
Les hôteliers sont toujours One Step Ahead en sus du travail des autorités. La seule chose qui manque, c’est qu’il aurait fallu une campagne de sensibilisation dans les établissements scolaires pour expliquer aux jeunes ce qu’il en est. En retour, ces derniers auraient éduqué leurs parents à la maison au sujet des précautions à prendre.
En tout cas, ce que je peux dire, c’est que ce n’est pas alarmant pour le secteur du tourisme.

Le site France Diplomatie parle d’une « recrudescence des cas de dengue (…) observée à Maurice depuis début février 2024 » appelant les voyageurs français à prendre les précautions d’usage pour éviter les piqûres.

Même quand les voyageurs débarquent à Maurice, les hôteliers, en les accueillant, leur demandent de prendre les précautions nécessaires. Même au niveau de toutes les agences de voyage, des messages sont envoyés aux touristes. Il ne faut pas que nous soyons alarmistes. Il faut être optimiste. Je crois que la dengue peut être contrôlée à Maurice.
Heureusement que le cyclone Eleanor nous a épargnés. Le vent, cela peut aider à balayer les nids larvaires des moustiques. J’entends dire qu’on est en train de lâcher des moustiques mâles stériles pour rendre stériles des œufs des moustiques porteurs de dengue. Donc, il y a un système de protocole génial.

Vous ne craignez donc pas que l’épidémie devienne une endémie ?

Pas du tout, parce que l’ensemble des Mauriciens, que ce soit le ministère de la Santé, les hôteliers, ils ont déjà pris les précautions nécessaires, pour que le monde du tourisme ne s’effondre pas. Comme je l’ai dit, si nous faisons connaître à tous ces jeunes dans les écoles et dans les collèges le danger de la dengue et quels sont les moyens d’éviter de se faire piquer, ils transmettront ce qu’ils ont appris à leur entourage.
Je peux dire que la situation est sous contrôle. Il faut maintenant que les Mauriciens aussi sachent assumer leurs responsabilités en se débarrassant des points d’eau dans leur entourage qui attirent les moustiques et ainsi préserver notre poule aux œufs d’or qu’est le tourisme.

Pensez-vous que depuis la pandémie, les voyageurs réfléchissent à deux fois avant de prendre la décision de voyager dans un pays où il y a une épidémie ?

Non, je vous étonnerai peut-être, mais les touristes ont énormément confiance en Maurice. Ils savent que nous avons une équipe sûre en termes de Health Care et ils savent aussi que le pays est en pleine expansion, que nous prenons beaucoup de précautions et que nous sommes toujours One Step Ahead.

C’est à nous les Mauriciens, maintenant, de faire ce qu’il faut. Les touristes sont déjà au courant de la situation. Tous les hôtels ont déjà envoyé des messages pour dire : ‘attention, il y a la dengue à Maurice et prenez les précautions nécessaires’. Mais, ils arrivent, les touristes ! Rien que ce matin, j’ai vu quatre ou cinq avions arriver ! Pour les touristes, Maurice est un endroit Safe, agréable. Ils savent que nous sommes là à prendre toutes les mesures nécessaires.

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