Matelas puant. Toilettes sales et bouchées. La présence de rats et d’insectes dans les cellules de détention n’est pas un mythe. Les conditions insalubres dans lesquelles une personne se retrouve lorsqu’elle est placée en détention policière n’ont pas changé depuis plus d’une dizaine d’années, selon les témoignages recueillis. Toutefois, si tous les détenus sont logés à la même enseigne, en revanche, leur statut social leur confère des privilèges qui facilitent leur séjour dans une autre dimension. Quant aux cellules de dégrisement, plus récentes, elles ne sont pas plus propres.
Dans la soirée de mercredi dernier à Ébène, Adrien Duval, homme politique, donc public figure, est impliqué dans un accident de voiture qui aurait pu avoir des conséquences plus graves. Sa voiture a percuté celle d’une conductrice, laquelle blessée est transportée dans une clinique. Adrien Duval, qui, lui, a le privilège de refuser un alcootest, ne mettra pas les pieds dans une cellule de dégrisement ce soir-là. Mais il n’a pas échappé à la cellule policière. S’il avait été testé positif à l’alcootest et conduit en cellule de dégrisement, il aurait alors vécu la même expérience que Christophe. Ce dernier, la quarantaine, raconte son récent passage dans ce petit espace où l’on peut à peine faire quelques pas et où des coussins sales posés par terre sont les seules assises pour se poser où prendre sommeil. Mais avant de débarquer dans la fameuse cellule dans l’ouest du pays, Christophe, qui assistait à la rénovation de son campement, avait bu quelques bières en compagnie des ouvriers.
Coussins sales et
toilettes bouchées
Christophe raconte. « Honnêtement, je n’avais bu que très peu. Nous avions partagé quatre bouteilles. Je suis sorti pour aller acheter de la nourriture pour les ouvriers. Le supermarché se trouve non loin de mon campement. J’avais à peine roulé quelques mètres que la police m’a interpellé pour un contrôle de routine. Comme je n’avais pas beaucoup bu, l’éthylomètre a suffi. Même la police a reconnu que mon taux d’alcoolémie était très faible.
Les procédures ont duré environ une heure. Puis, j’ai été conduit en cellule de dégrisement qui est très petite et séparée des cellules de détention. Là-bas, la police a pris la nourriture que j’avais achetée, fait une fouille corporelle, pris mes bijoux, mes lacets, et un jeune policier dont l’excès de zèle a été freiné par ses collègues a brutalement coupé le cordon de mon pantalon. À l’intérieur de la cellule, il n’y a rien d’autre à faire que d’écouter ce qui se passe au poste, s’asseoir sur un coussin sale et attendre un autre test qui confirmera le dégrisement. Ah ! J’ai eu l’occasion d’aller aux toilettes, par nécessité. Et si vous voulez connaître l’état, elles étaient bouchées. Mais ceux en détention n’ont pas la liberté d’aller aux toilettes à n’importe quel moment. »
Christophe reconnaît qu’il a été bien traité par les policiers en poste ce jour-là, même « qu’ils étaient agacés parce qu’un de leur collègue avait oublié de faire le deuxième test avant de me laisser partir. J’ai dû quitter la cellule bien plus tard que prévu. » Mais en récupérant ses affaires, Christophe remarque que la nourriture qu’il avait achetée avait disparu.
Entre passer une nuit en cellule de dégrisement et plusieurs jours, voire deux semaines en cellule de détention, le vécu n’est pas le même selon ceux qui ont connu la deuxième expérience. « Ki ou dan cell ou jail, si ou moral pa for ou pa pou tini. Bizin enn moral solid sa ! » répète Nizam, qui a été détenu dans une cellule des Plaines-Wilhems après son arrestation pour trafic de stupéfiants. De son côté, Ingrid Charoux, activiste politique, qui en 2006 avait été conduite dans une cellule à Pailles, où elle y a passé sept jours, dit d’emblée : « Je m’adapte à tout genre de situation. Quand je suis arrivée dans ma cellule, je n’ai pas été bouleversée. » Mais cette cellule rectangulaire pour femmes n’offrait rien d’apaisant après une arrestation, justifiée ou pas.
Pas que des mots sur les murs
Entre un lit en béton sur lequel est posé un matelas en mousse délabré et puant, sans drap, et un mur où des femmes avant elle ont écrit leur état d’âme, il y avait aussi des traces d’excrément qui ont résisté au temps et par manque d’entretien. » Des policiers m’ont expliqué que lorsque des travailleuses du sexe dépendantes de drogue étaient en manque, et qu’elles n’obtenaient pas ce qu’elles demandaient, elles exprimaient leur colère en déféquant sur place et salissant les murs avec leurs excréments », raconte Ingrid Charoux. Les années ont depuis passé, mais pas l’insalubrité des cellules. « Il y a une odeur nauséabonde, un mélange d’urine et de je ne sais quoi qui caractérise les cellules policières. Vous fermez les yeux et vous sentez cette odeur, vous savez que vous êtes dans une cellule de la police », déclare Me Kishore Pertab. Et d’ajouter que même les toilettes des postes de police sont insalubres. Cette insalubrité, note-t-il, est la première punition du présumé accusé.
Il y a quelques jours, l’avocat Akil Bissessur a retrouvé le luxe (ndlr : il nous a lui-même parlé de sa luxueuse maison) de sa demeure. Mais au lendemain de son arrivée dans sa cellule à Alcatraz où il a passé 19 jours, il a eu tout le temps voulu pour faire un constat des conditions qui l’attendaient. Après son arrestation le 19 août, l’avocat concède qu’il a vécu dans un autre univers qu’il ne connaissait jusqu’à ce moment qu’à travers ses clients. « J’étais tellement fatigué que, pour la première fois de ma vie, j’ai dormi pendant 11 heures », raconte-t-il. Il avait été arrêté pour délit de drogue le 19 août. En ouvrant les yeux, il prend connaissance d’un lieu où l’heure n’est affichée nulle part. Les lumières artificielles et éblouissantes gardent la cellule éclairée matin, jour et nuit. Le matelas sur lequel il avait dormi puait. Si l’avocat aussi bien qu’Ingrid Charoux ont obtenu des policiers que leurs proches leurs ramènent des draps et oreillers, voire une serviette et des accessoires de toilette, Nizam, lui, a dû se contenter de « dra pi » de sa cellule.
Rat sur la savonnette d’Akil Bissessur
Quand la détention est marquée par des sorties en Cour ou aux Casernes centrales pour les besoins de l’enquête, le sentiment d’enfermement s’allège quelque peu. Et même, nos interlocuteurs disent qu’ils ont dû trouver de quoi s’occuper pour ne pas laisser le temps prendre le dessus sur eux. « Les seules fois où je sortais, c’était le matin. Je quittais la cellule pour une marche de 30 minutes dans le poste de police, après je rentrais. Si je voulais aller aux toilettes, j’appelais un policier. Mais si celui qui m’a entendu m’ignorait, je n’avais pas d’autre choix que de me soulager dans une bouteille », confie Nizam. Les toilettes et la salle de bain (quand les postes de police en sont pourvus) sont équipées de caméra de surveillance. « Quand on s’y trouve, on finit par en faire abstraction », explique Nizam.
C’est même grâce à la caméra qu’un policier a vu un rat s’amuser avec la savonnette qu’allait utiliser Akil Bissessur. « Il me l’a remplacée », raconte ce dernier. Il confie aussi être tombé sur les policiers très respectueux qui l’ont traité avec égard et ont facilité sa longue détention. À titre d’exemple, il a pu recevoir ses livres de lois, entre autres, pour renouer avec la lecture après plusieurs années, et de la nourriture par ses proches. « Je mangeais ce que je voulais. » Il a même pu faire acheter « de bons biscuits et des boissons gazeuses » qu’il a partagés avec les autres détenus. À savoir qu’en cellule, les repas du petit déjeuner composé de thé (dans certaines cellules servi dans une bouteille en plastique) et de pain, au déjeuner et dîner — pain, nouilles ou riz servis au plus tard à 17 heures —, sont offerts par l’État. Et parce qu’il est Akil Bissessur, il a eu droit à un autre traitement de faveur que beaucoup pourraient envier : « J’utilisais la salle de bain et les toilettes en premier. »
Toutefois, comme n’importe quel détenu, avocat ou pas, il a dû se débrouiller pour rendre les lieux d’hygiène un peu plus propres avant de les utiliser. Son confort, sa table de billard, son train de vie, lui ont manqué. Il a aussi évité de penser à deux femmes de sa vie : « Ma fille et Mademoiselle Moheeputh », concède-t-il pour ne pas craquer. Cette dernière, selon lui, est encore traumatisée par sa détention en cellule policière.
Qu’importe le statut social du détenu
Qu’importe le statut social du détenu, tout ce qui lui est ramené par ses proches est strictement contrôlé par la police. Les livres et documents sont ouverts. Ingrid Charoux n’a pas été incommodée par ce détail. « J’ai pu recevoir mes documents pour travailler, car il était impératif que je respecte les délais de livraison de mes produits dans les hôtels », explique Ingrid Charoux, spécialisée dans les accessoires de fêtes. La nourriture est aussi passée au crible.
Josian, la trentaine, arrêté dans une affaire de meurtre, avait été détenu dans une cellule dans le nord-ouest du pays, il y a une dizaine d’années. Il se souvient que les jours où sa mère lui ramenait de la nourriture, cette dernière devait d’abord consommer une part. « La police a attendu un certain temps, l’a observé, avant de me remettre la nourriture », confie Josian. Conduit par la suite en remand, Josian explique qu’il a trouvé les conditions meilleures qu’en cellule. « Il n’y avait pas de salle de bain en cellule. Ti bizin begn ar enn tiyo dan twalet. Je ne marchais que pendant une trentaine de minutes par jour. Des policiers me laissaient faire ma marche dans le couloir et quand leur chef arrivait, ils disaient : Sef pe vini, bizin rant dan cell », raconte Josian.
En détention, le présumé accusé n’a pas accès aux médias. Seuls les bruits provenant des doléances du public au comptoir de la réception du poste de police et les conversations des policiers animent leurs longues journées. C’est un policier qui annonçait régulièrement les scores à Akil Bissessur le jour du match entre Manchester United (son équipe) et Liverpool. « J’avais demandé la permission pour chanter pour les autres détenues », raconte pour sa part Ingrid Charoux. En cellule, elle a trouvé le temps pour écouter d’autres détenues qui avaient besoin, dit-elle, d’une oreille attentive.
Contrôle sanitaire dans les cellules
Les rats, cancrelats, lézards et autres bestioles qui rôdent dans les coins des cellules policières ne sont pas un mythe. « Les détenus se plaignent souvent que les cellules sont infestées de punaises et que les autorités pénitentiaires ne font rien pour leur éradication », relève l’avocat Erickson Mooneeapillay. Tandis que son confrère Me Kishore Pertab plaide pour l’intervention régulière d’un officier de police dans les cellules de l’île pour s’assurer que les détenus n’y séjournent pas dans des conditions où on est en présence de la déchéance humanitaire à l’égard de ces derniers. Et où en l’absence d’aération ou de climatisation en été, le détenu n’a pas à faire les cent pas dans le couloir de sa cellule torse nu et en slip !
À Alcatraz, Akil Bissessur a vu des rats se promener dans sa cellule. Il a pu passer outre, contrairement à un politique en retrait qui a la phobie des rongeurs. Lorsqu’il avait été placé en détention policière il y a quelques années, les policiers connaissaient cette faiblesse et n’auraient rien fait pour repousser les rats. L’homme aurait vécu un calvaire. À Pailles, Ingrid Charoux avait réclamé des craies pour repousser les cancrelats. Et les avait obtenues. « J’avais 45 hôtels à fournir en décoration, je n’allais pas me suicider ! Les policiers m’ont fait confiance », précise-t-elle. Elle voulait même aller plus loin. « Si j’étais restée plus longtemps là-bas, j’aurais demandé de la peinture pour peindre les murs de la cellule, tant ils étaient sales », dit-elle.
Aujourd’hui, après avoir, dit-elle, payé sa dette auprès de la société, Ingrid Charoux prend ce passage en cellule du bon côté. Idem pour Akil Bissessur, lequel confie avoir non seulement pris conscience de la chance de vivre une vie confortable, mais a aussi un autre regard sur elle. Pour Nizam tout comme Josian, la cellule les a marqués, mais pour d’autres raisons : ils ne sont pas des privilégiés de la société. « Les femmes prisonnières et les membres de la communauté LGBT se trouvent dans une impasse puisque les prisons ont été historiquement construites pour les hommes. On a recensé beaucoup de suicides dans nos prisons et cela démontre l’état psychologique dans lequel peut se retrouver quelqu’un derrière les barreaux. Je pense qu’il faut revoir la pénologie afin de rendre l’univers carcéral plus juste », avance Me Erickson Mooneeapillay.