La pandémie de Covid-19 a changé le cours de la vie de beaucoup de personnes. Pour Iswaree Pushparathan, cela a été l’impossibilité de se rendre en France pour des études de lettres modernes. Ce qui l’a conduite à l’université de Maurice où elle s’est engagée pour un BA French and Creole Studies. Aujourd’hui, elle enseigne le kreol morisien à des étrangers, dont des cadres expatriés. Une belle aventure que la jeune fille n’aurait jamais imaginé vivre, grâce à sa langue maternelle.
Lorsqu’elle termine ses études dans un collège d’État, Iswaree Pushparathan a déjà décidé de ce qu’elle veut faire dans la vie : devenir enseignante de français. Pour cela, elle entreprend des démarches en vue d’aller entreprendre des études de lettres modernes en France. Mais quelques mois plus tard, la pandémie de Covid-19 éclate, mettant le monde en suspens. Avec les restrictions sanitaires et les incertitudes, Iswaree Pushparathan sait que ses plans sont compromis. « Mon père m’a alors suggéré d’aller à l’université de Maurice pour ne pas perdre de temps. D’autant qu’il y avait beaucoup d’incertitudes par rapport à la pandémie », confie-t-elle.
C’est tout naturellement que la jeune fille soumet sa demande pour un BA French Studies. Mais comme la procédure à l’université de Maurice veut qu’elle ait trois possibilités, elle opte également pour un BA French and Creole Studies. Et c’est justement le cours que l’université lui propose, même si ce n’était pas sa première option. « Honnêtement, j’ai accepté le cours pour ne pas perdre de temps. Mais dès le premier jour en classe, je ne regrettais pas mon choix », dit-elle avec une satisfaction des plus légitimes.
Iswaree Pushparathan affirme avoir ainsi vécu le choc culturel, où elle découvrait sa langue maternelle sous une nouvelle facette. « Le Lecturer a expliqué la lutte pour la reconnaissance du kreol morisien, de son importance dans l’éducation et la société. J’étais d’autant plus contente de ce choix quand j’ai appris qu’il y avait beaucoup de jeunes qui quittaient l’université avec leur BA French et qui n’arrivaient pas à trouver du travail comme enseignant. Certains étaient contraints de travailler dans d’autres secteurs ou de s’engager comme Supply Teacher, qui est un poste temporaire », ajoute-t-elle.
En contrepartie, la demande pour les enseignants de kreol morisien était grande. D’autant que le projet prenait de l’ampleur, avec le kreol morisien inscrit au programme drétudes et des examens du School Certificate en 2023. « J’étais contente d’avoir pris l’option French and Creole Studies, car j’apprenais beaucoup de choses sur ma langue maternelle et j’avais plus d’opportunités pour ma carrière », s’appesantit-elle.
Depuis qu’elle a décroché son diplôme l’année dernière, Iswaree Pushparathan s’est lancée dans une nouvelle aventure. Elle donne des cours particuliers, à travers l’agence Travelling Teachers. « Je donne des cours d’anglais, de français et de kreol morisien. J’ai deux cadres expatriés à qui je donne des cours de kreol morisien. Il y a une troisième étudiante britannique qui, elle, veut apprendre le français et le kreol morisien. Je lui ai suggéré d’apprendre le français en premier car cela sera plus facile par la suite de maîtriser le kreol morisien », fait-elle ressortir.
La jeune enseignante confie, en effet, qu’il n’est pas difficile d’apprendre le kreol aux étrangers francophones. « Ils comprennent vite et le fait qu’ils sont à Maurice, ils peuvent également pratiquer la langue et faire des lectures supplémentaires. » Quant à savoir ce que cela représente pour elle d’enseigner sa langue maternelle aux étrangers, la jeune fille se dit très heureuse. « Souvent, j’entends des gens dire, mais nus allons étudier le kreol pour faire quoi ? Ou encore, où cela va nous mener ? Mais voilà, c’est la preuve qu’il y a bien de l’avenir avec le kreol morisien », affirme-t-elle.
Elle dresse également un parallèle entre la mentalité des étrangers et certains compatriotes par rapport à la langue. « J’ai fait ma dissertation sur l’opinion des parents par rapport à l’enseignement du kreol morisien à l’école. Je peux dire que j’ai eu des réponses majoritairement négatives. Ils disent que c’est vulgaire et qu’il n’y aura pas d’avenir avec le kreol morisien. Paradoxalement, les étrangers qui viennent chez nous, eux, veulent apprendre la langue. Ils trouvent cela fascinant», indique-t-elle.
Comme approche, la jeune enseignante se base sur ce qu’elle a appris à l’université. « J’explique en français au début et graduellement, je passe au kreol morisien. Je leur donne les règles de l’orthographe et dès qu’ils les ont maîtrisées, on peut commencer à faire des phrases. Comme je l’ai dit, pour les francophones, il n’y a pas de grandes difficultés. »
Quant à savoir s’il y a suffisamment de matériel de support pour cet apprentissage, Iswaree Pushparathan dit noter avec satisfaction, qu’il y a beaucoup de communications en kreol morisien actuellement. « Le kreol a sa place à la radio et la télévision aujourd’hui. Les autorités et les entreprises émettent des communiqués en kreol, la langue est bien visible sur les panneaux publicitaires et les journaux ont aussi des titres en kreol. Toutefois, j’ai noté que tous les journaux ne maîtrisent pas encore l’orthographe standard. Il y a des efforts à faire.», confirme-t-elle.
Parlant du fait qu’elle devra patienter encore au moins deux ans, le temps d’obtenir son PGCE, pour pouvoir embrasser le métier d’enseignant, elle concède que c’est un peu décourageant. « Je comprends parfaitement qu’il faut avoir une formation pédagogique afin d’être mieux préparé pour se lancer dans l’enseignement. Mais personnellement, je considère que c’est épuisant d’enchaîner encore deux années d’études, après trois ans à l’université et toutes ces années de collège », concède-t-elle.
Si certains de ses amis sont entrés au Mauritius Institute of Education (MIE) pour entamer leur PGCE, Iswaree Pushparathan a préféré faire une pause et s’engagera pour le PGCE plus tard dans l’année. En attendant, elle gagne en expérience, à travers Travelling Teachers.
Parlant des difficultés existantes dans l’enseignement de nos jours, avec des enfants de plus en plus difficiles à gérer, elle est d’avis que tout est une question d’attitude. « D’abord, je pense qu’il faut choisir ce métier par passion et non pas pour les vacances, par exemple. Ensuite, il faut savoir comment aborder les jeunes. J’ai des appréhensions, oui, mais j’y travaille car rien n’est facile dans la vie. »
Quant à savoir si elle aurait été partante pour des études en Creole Studies uniquement, un des projets de l’UoM pour cette année, la jeune fille déclare : « s’il y avait cette option au moment où je me suis inscrite à l’université, j’aurais réfléchi à deux fois avant de la prendre. Mais si c’était aujourd’hui, je n’aurai pas hésité. »
Elle est d’avis que l’utilisation du kreol morisien à l’école peut aider ceux qui n’arrivent pas à s’adapter. Elle cite l’exemple d’un de ses cousins, qui avait des difficultés à l’école, mais qui, par la suite, est allé suivre des cours au Collège technique Saint Gabriel. « Il a décroché son CAP et son BEP. Il travaille aujourd’hui pour un grand groupe hôtelier. S’il n’avait pas les aptitudes nécessaires, il n’aurait sans doute jamais décroché ces diplômes. La seule différence est qu’ici, l’enseignement se faisait en français. Je me dis que peut-être la langue – étant donné qu’on utilise l’anglais dans le système national – a été une barrière pour lui, d’où son échec », dit-elle.
Elle souhaite ainsi que le kreol morisien continue à se développer et que les mentalités vont évoluer au regard de ce qu’elle enseigne.