Affirmative Action a adressé une contribution écrite au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU), Antonio Guterres, dans le cadre de la deuxième Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine. Celle-ci coïncide également avec les récentes recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD), réclamant une nouvelle fois des recensements basés sur l’appartenance ethnique. Affirmative Action y expose le cas des « 400 000 créoles invisibles », à Maurice.
La deuxième Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine a été proclamée le 17 décembre 2024. C’est une occasion pour l’ONU de passer en revue la situation et de prendre des mesures concrètes pour lutter contre les séquelles de l’esclavage et du colonialisme dans le monde. D’où cette contribution écrite d’Affirmative Action pour dresser un tableau de la situation à Maurice.
Rédigé par l’avocat José Moïrt, le document remonte l’histoire de Maurice et souligne sa dimension multiculturelle, multiethnique et multireligieuse. Dans un tel contexte, souligne Affirmative Action, le recensement basé sur l’appartenance ethnique, demeure un sujet tabou. De même, la Première décennie internationale de personnes d’ascendance africaine n’a jamais été officiellement lancée à Maurice. Elle a tout de même été marquée par la mise sur pied du Musée intercontinental de l’esclavage, en 2020.
Le lancement de la Deuxième décennie est également passé sous silence. Toutefois, lors de l’examen de ses 24e et 25e rapports périodiques, devant le CERD, les 28 et 29 avril dernier, Maurice s’est une nouvelle fois opposé au recensement basé sur l’appartenance ethnique, estimant qu’une telle démarche pourrait mettre en péril l’unité nationale. Cela, en dépit du fait que l’actuel gouvernement ait fait preuve d’une plus grande ouverture d’esprit, notamment, en annonçant la mise sur pied d’un Constitutional Review Commission et en traduisant la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discriminations, en kreol morisien.
Affirmative Action relève ainsi : « La mentalité dominante concernant les données désagrégées basées sur l’auto-identification volontaire demeure un véritable casse-tête. » L’ONG estime toutefois qu’il est important de faire le lien entre la rhétorique sur l’unité nationale et les réalités vécues des créoles à Maurice. « D’après les données soumises au CERD, la communauté créole compte environ 400 000 individus, soit environ un tiers de la population. La première question qui vient à l’esprit est la suivante : pourquoi la publication et la diffusion de telles données seraient-elles ‘politiquement sensibles et socialement divisives’ dans une société multiculturelle, multiethnique et multireligieuse comme Maurice ? », fait ressortir Affirmative Action.
Divide and rule
Se référant à son dernier avis juridique au CERD, en mars 2025, l’ONG dit avoir démontrer en détail comment l’héritage colonial britannique du racisme et de la discrimination raciale a contribué à rendre les créoles invisibles, en tant que minorité nationale. « Sous la domination britannique, les créoles ont été classés comme esclaves (1833), apprentis (1835-1839), ex-apprentis (1846-1860), et enfin relégués dans une communauté résiduelle, appelée la Population Générale », mentionne le document.
Affirmative Action souligne que l’État mauricien a reconnu devant le CERD, que « même avant l’indépendance, les proportions démographiques perçues ont influencé de manière informelle la participation politique, la formation de coalitions et l’allocation des ressources ». Les différents gouvernements après l’indépendance ont été indifférents à cet héritage historique du racisme, poursuit Affirmative Action. « Ce qui permet de continuer de décider de la participation politique, de la formation de coalitions et de l’allocation des ressources sur la base de hiérarchies raciales fictives.»
Une situation qui relève de la politique coloniale « divide and rule » que l’État mauricien n’a pas corrigée jusqu’ici, souligne encore le document. « Comme le dit l’adage : ce qui ne peut être compté ne compte pas! » Le refus de faire des recensements basés sur l’appartenance ethnique, en raison de l’unité nationale, est un faux débat, selon Affirmative Action. D’ailleurs, après les explications de l’État mauricien, le CERD a une nouvelle fois, en 2025, réitéré sa demande pour des données désagrégées.
Pour l’ONG, le discours du « mauricianisme » rappelle l’idéologie « separate but equal », qui est la réalité quotidienne de la discrimination raciale et de l’exclusion sociale pour les Créoles dans tous les aspects de la vie. L’approche du nouveau gouvernement devant le CERD, se référant à des indicateurs géographiques, l’usage de la langue et la stratification socio-économique, est contraire au respect des droits humains. « Il est fallacieux de supposer que maintenir les 400 000 créoles dans l’invisibilité et réduire leur poids dans la vie politique et les institutions publiques contribueront à atténuer la possibilité latente de tensions raciales », dénonce le document.
Affirmative Action cite les recommandations du Forum on Minority Issues de janvier 2025, stipulant que les États doivent « reconnaître l’importance des groupes minoritaires dans la création de sociétés florissantes et stables, ainsi que le rôle de la célébration de la diversité dans la contribution à la cohésion sociale. » Référence est également faite à la Commission Vérité et Justice, qui avait conclu dans son rapport : « Il ne fait aucun doute que la discrimination raciale à l’encontre des Créoles, en particulier, constitue une raison supplémentaire pour que les Créoles se sentent laissés-pour-compte.»
Affirmative Action cite également plusieurs rapports des Nations Unies, dont ceux du Comité contre la torture et du CERD 2025, dénonçant le fait que les créoles étaient particulièrement visés par la police, notamment à travers le « racial profiling ». Les différentes revendications de la communauté, notamment à travers le « malaise créole » évoqué par le père Roger Cerveaux au début des années 90, les émeutes de 1999 et plus récemment, la chanson « Ki zot problem? », où les jeunes artistes attirent l’attention sur la situation, sont aussi citées.
Le document soulève également la question de dépossession des terres, sur laquelle la Commission Vérité et Justice avait également travaillé. Dans son rapport, la Commission avait mentionné avoir été témoin de « l’émotion intense exprimée par les déposants qui estimaient que leurs ancêtres ont, au fil du temps, été victimes d’un système où ceux au pouvoir ont utilisé leur position privilégiée pour dépouiller leurs ancêtres de leurs biens.» En dépit de la mise sur pied d’une Land Research Monitoring Unit et d’une Land Division de la Cour Suprême, le problème demeure entier. « D’énormes sommes d’argent sont en jeu et comme dit l’adage : Money talks louder », précise le document.
Affirmative Action demande ainsi au Secrétaire général de l’ONU, de prendre tous ces éléments en considération, dans son rapport, sur la Deuxième décennie internationale des personnes d’ascendance africaine.